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«Ma surdité n’a jamais été un frein»

Jeremie surdite temoignage

«Dans la famille, c’est ma mère qui est la plus douée en langue signée. Mon grand-père avait plus de mal, avec ses grosses mains de mécano, mais heureusement, avec lui, le courant passait tellement naturellement que nous pouvions nous dire quantité de choses par de simples regards.»

J’ai une passion pour le ski freeride depuis tout jeune. Les piquets, les voies toutes tracées, ce n’est pas mon truc. Quelque chose me grise de liberté dans les descentes sans limites. J’ai même participé au Freeride Tour Junior il y a peu. Ce que les autres compétiteurs ignoraient peut-être, c’est que je n’entendais rien du glissement de mes skis sur la neige. On m’a en effet diagnostiqué une surdité profonde à l’âge de deux ans et demi.

Dès mes premières années, mes parents avaient remarqué que je ne réagissais pas à leur voix. Au début, les médecins soupçonnaient une lenteur dans le développement de cette région de mon corps, ou une forme d’autisme. Mais un examen aux HUG a confirmé que je ne pourrai jamais entendre naturellement. Même un coup de canon tiré à côté resterait nimbé de silence. Un peu de temps s’est écoulé comme ça, jusqu’à mes trois ans et demi, lorsque j’ai pu bénéficier d’un implant à l’oreille droite. À gauche, l’appareil auditif est trop incomplet pour pouvoir fonctionner, même armé d’un tel système. Je n’ai pu convenablement entendre qu’après deux ans de réglages sur l’appareil.

Environnement à l'écoute

Ma scolarité s’est d’abord déroulée à l’école cantonale pour enfants sourds de Lausanne, un choix qui passait pour logique vu ma situation. Les trajets quotidiens étaient interminables et épuisants. Et puis être mis d’office sur une voie parallèle à celle des autres de mon âge m’inspirait un sentiment bizarre. Mes parents ont alors proposé que j’aille à l’école de Gryon. L’avantage, c’est que tout le monde me connaissait ici.

Le sympathique esprit villageois et la solidarité qui peut exister à l’échelle d’une commune de cette taille ont beaucoup aidé. Les professeurs ainsi que d’autres locaux ont souhaité apprendre la langue signée pour communiquer un peu avec moi.

Pas mal de gens savent désormais dire au moins bonjour en langue des signes à Gryon! De mon côté, il m’a fallu me mettre plus sérieusement au français, car jusqu’ici je parlais un peu comme un bébé. Un éducateur m’a accompagné pour bien progresser et rattraper le niveau de mes camarades. Après quatre années à Gryon, j’ai alors pu entrer à l’école catholique d’Aigle, que mes parents ont choisie pour ses petits effectifs. Nous n’étions qu’une dizaine d’élèves par salle, et ainsi j’étais sûr de ne pas être oublié au fond de la classe. D’ailleurs, je ne pouvais pas rester derrière: je me plaçais toujours devant à gauche pour écouter au mieux.

Naturellement en contact

Vers huit ans, j’ai commencé à pratiquer la langue signée complétée, ou code. Ce système combine des signes réalisés avec les doigts et les lèvres, ce qui permet de s’exprimer plus vite. Lorsque j’ai maîtrisé ce nouveau langage, une traductrice m’a accompagné en permanence en classe pour me retranscrire les paroles. Ainsi, j’entendais tout avec seulement deux ou trois secondes de décalage.

Ayant très peu d’amis sourds, j’ai appris des signes simples à mes camarades entendants pour qu’ils puissent plus aisément parler avec moi. Ils ont également vite compris qu’ils devaient se mettre bien face à moi pour que je puisse lire sur leurs lèvres. Avec le temps, cette technique a été plus efficace pour communiquer et la langue signée est un peu passée au second plan dans mes relations avec les autres.

Les yeux parlent aussi

Bien sûr, les gens de ma famille avaient appris à signer, mais leur niveau respectif n’était pas tout à fait le même. C’est ma mère la plus douée. Mon grand-père avait plus de mal, avec ses grosses mains de mécano, mais heureusement, avec lui, le courant passait tellement naturellement que nous pouvions nous dire quantité de choses par de simples regards. En dépit de mes progrès, des logopédistes continuaient de me suivre pour que ma prononciation soit la meilleure possible.

J’ai vraiment passé une étape supplémentaire à mon adolescence, parvenant à articuler plus clairement et me faisant mieux comprendre. Grâce à ça, beaucoup de gens disent oublier que je suis sourd. Mon parcours s’est poursuivi en prégymnasial pour pouvoir intégrer le gymnase de l’Abbaye à Saint-Maurice. J’ai dû refaire une année pour apprendre une nouvelle langue: l’allemand. A force d’acharnement, j’ai rattrapé l’équivalent de cinq ans d’enseignement en seulement deux mois. Après cette période intense, j’ai toujours obtenu la moyenne dans cette matière et même plusieurs prix d’excellence.

Futur à tracer

A Saint-Maurice, j’ai choisi la filière latin-grec, car ce sont des langues écrites, et ma bonne mémoire m’aide beaucoup. En dépit de ma surdité, je suis plutôt à l’aise avec les langues. Plus tard, je me verrais bien devenir physiothérapeute, car ce métier implique surtout un contact physique plus que des conversations. Certes, étant en seconde année, je préfère soigner le moment présent et construire petit à petit mon parcours sans me projeter trop loin.

De nombreux sourds tombent dans la dépression ou quittent la scolarité à cause de la forte pression sur eux. Il faut avouer que pour nous, l’école est plus fatigante, car l’effort et l’attention à fournir sont presque le double. Il nous faut suivre simultanément deux personnes en classe. Je dois d’ailleurs dormir plus longtemps que la moyenne pour bien récupérer, entre huit et dix heures. Les difficultés ne m’empêchent pas de rêver de plein de choses.

Camps scouts et road-trip

L’un de mes grands projets de jeune adulte serait de prendre la route avec un van et aller surfer, une autre de mes passions. Je taquine souvent les vagues à l’île d’Oléron, dans l’ouest de la France, où j’ai intégré un club. Je dois dire que j’ai été très bien accepté dans la plupart des lieux où je suis passé. A Gryon, je suis devenu chef scout et les parents n’ont aucun problème à confier leurs enfants à une personne sourde.

Une fois, plus jeune, on m’a refusé un parcours d’accrobranche dans un parc, au motif que j’étais handicapé. Cela m’est resté en travers de la gorge. C’est forcément agaçant lorsque des inconnus décrètent ce que vous êtes capable ou non de faire. Pour m’inscrire en école de conduite, j’ai aussi dû produire des tonnes de documents attestant de mes aptitudes, avant qu’un médecin dise que ce dossier ne servait à rien. Bien sûr, j’ai eu quelques coups de mou, parfois, mais mes parents m’ont toujours remotivé. Bientôt, je vais passer le permis voiture et je me réjouis d’un gain de liberté. Le début d’une nouvelle étape de ma vie.

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