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«Le sport de haut niveau m’a détruit»

Vecu Sven Papaux Corinne Sporrer

«Quand j’ai décidé d’arrêter, je n’avais plus de force. Physiquement, psychiquement, j’étais lessivé. Le ski m’a aspiré et m’a recraché, démuni et seul. Mon objectif de vie se terminait. J’étais un champ de ruines. A 18 ans.»

© Corinne Sporrer

Je ne serais sans doute plus là sans l’appui de ma famille: le regard bienveillant de mes parents, l’optimisme de mes grands-parents et mes frères et sœurs qui m’ont toujours soutenu. Ils voulaient me voir heureux. Pourtant, dans le sport de haut niveau, je n’aurais jamais cru embrasser une telle solitude. Ça te bouffe de l’intérieur. A un moment, tu comprends que tu ne joues plus, que ça n’est plus pour rigoler. On mise sur toi, on te force à grandir trop vite.

A 16 ans, je me suis retrouvé à Brigue. Je quittais les courses de jeunes pour arriver dans celles des adultes. Découvrant un autre monde, d’autres entraîneurs, une nouvelle philosophie de vie, j’ai pris de grosses claques. Il m’a fallu composer avec les pièces du puzzle qu’on me donnait et créer les manquantes pour arriver au firmament du ski alpin: la Coupe du monde. Arrivé là un peu naïvement, je n’étais pas prêt. La première année, je me sentais encore bien dans mes baskets, ça allait. Et puis, dans ma deuxième année, vers 17-18 ans, j’ai découvert que quelque chose ne jouait plus.

Ça n’était pas ce que je voulais. Je vivais un peu la vie d’une personne que je n’étais pas.

​Rien qu’un dossard

Le ski, c’est un sport magnifique, qui se fait en plein air, dans les montagnes, qui peut s’apparenter à la danse. J’étais un peu un artiste de ballet croisé avec un pianiste répétant ses gammes tous les jours. A la longue, ça peut fatiguer, sombrer dans une répétition lassante. Mais c’est poétique aussi: on cherche perpétuellement le bon mouvement, à atteindre une forme de perfection. Il y a une certaine spontanéité aussi, mais je ne la sentais plus. Il fallait juste accumuler des points et j’ai perdu cette naïveté du jeune skieur qui voulait juste aller plus vite que les autres.

On n’était plus qu’un numéro, un dossard sur lequel on mise. Et si ça ne marche pas, ciao. C’est brutal.

A Zinal, en réunion d’équipe un soir après le souper, à l’hôtel, je regardais toutes les personnes autour de moi. C’était la première course de la saison et j’ai réalisé que je ne voulais plus être là, que j’étais dans une zone grise. Je ne savais plus ce que je voulais, le sport de haut niveau n’était peut-être pas fait pour moi, j’étais en décalage avec mes collègues. Pourtant, j’étais sûr d’être à ma place, avant. Ce fut le début d’une longue descente aux enfers. Durant ma dernière saison en compétition, j’étais un fantôme. L’accumulation de petites et de grosses blessures, en plus de six commotions, devenait pesante. A un moment où ça allait mieux, je suis tombé, fort. Résultat: fracture du nez et nouvelle commotion. J’ai compris que le train était passé pour moi, que j’étais resté à quai.

Des gamins pas armés

Quand j’ai décidé d’arrêter, je n’avais plus de force. Physiquement, psychiquement, j’étais lessivé. Le ski m’a aspiré et m’a recraché, démuni et seul. Mon objectif de vie se terminait. J’étais un champ de ruines. A 18 ans. Dans ma tête, il ne restait qu’un no man’s land où tout était détruit. Je n’arrivais plus rien à faire. Je saturais et, à ce stade, la meilleure idée que j’avais, c’est qu’un monde meilleur m’attendait de l’autre côté… à 18 ans à peine. C’est là que j’en veux beaucoup au sport, aux entraîneurs, aux associations, à ceux qui te laissent comme ça, de côté, abandonné. Quand je lui ai annoncé que j’arrêtais, un entraîneur m’a dit: «Bonne continuation.» La, on se rend compte qu’on n’était rien. C’est peut-être ça qui m’a causé le plus grand vide. C’est là où je me dis que sans ma famille, mes parents, je ne serais pas là. Plus là. C’est rude pour un gamin, on est des gamins à 18 ans, on n’est pas armés face à ce qu’on attend de nous. Le discours n’était pas adapté à notre âge.

On n’est pas prêts à endurer cette épreuve, cette pression. En tout cas moi, je n’étais pas prêt psychologiquement.

Dans le sport de haut niveau, quand tu commences à réfléchir, à te demander ce que ça t’amène, en fait, c’est là que c’est fini. Les sportifs qui réussissent sont des personnes sûres d’elles, mais qui n’ont peut-être pas la même sensibilité. C’est mon ressenti en tout cas. Tu y vas, tu gagnes. C’est tout. Il n’y a pas de réflexion derrière. Dans le sport, on parle souvent d’école de vie mais, plus haut, ce n’est plus une école de vie, c’est un panier de crabes. Tu t’en prends plein la figure. Une fois, en camp d’entraînement, je me suis blessé. Un coach m’a dit: «La douleur, c’est dans la tête, t’as rien.» Finalement, je m’étais déchiré l’aine.

Le plus difficile a été de faire le deuil de ma carrière. A l’intérieur, j’étais mort. J’ai voulu oublier ça en sortant, en faisant la fête, mais il était impossible de ne pas y penser. Je suis resté trois mois chez moi, sans sortir. J’avais envie de rien. J’ai enchaîné avec un apprentissage, c’était catastrophique. Mes études l’étaient aussi. J’essayais de marchander avec mes seules joies pour avancer. J’étais dans une bonne déprime, à l’orée d’une dépression. Cette injustice, ne pas avoir été aidé par le monde du ski, m’a suivi pendant des années.

La renaissance par l’écriture

Je l’ai été, plus tard, par des professionnels, des thérapeutes. Toutefois, cette zone grise s’est étirée sur des années, jusqu’à ce que je trouve quelque chose qui me permette de passer au-dessus. Ça a été l’écriture. Ma reconstruction, pierre par pierre.

Je suis quand même reconnaissant au sport de haut niveau sur certains points: il m’a amené la rigueur, l’ambition et cette envie de me surpasser.

J’ai décidé de me reprendre en main, de me trouver une nouvelle passion. Je me suis lancé dans le journalisme, avec la création d’un site, The Apologist, avec ma sœur en 2016, et j’écris pour des médias. L’écriture m’a vraiment aidé dans ce renouveau. Toujours grâce à l’appui indéfectible de mes parents, j’ai pu traverser mon deuil, l’exorciser et arriver, à 29 ans, à publier un premier livre*. Une fierté et un soulagement. J’y raconte mon histoire et cette reconstruction.

*A paraître l’été prochain aux Ed. Slatkine

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