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Je suis calme quand je travaille

J’aime être concentrée dans ce que je fais. L’une de mes patronnes me demande souvent comment je fais pour ne pas être stressée. Je ne sais pas, j’ai toujours été comme ça. Je suis devenue femme de ménage depuis mon arrivée en Suisse en 1998.

Mon mari était décédé d’un cancer, j’avais des dettes à cause de sa maladie. Avant qu’il ne tombe malade, on vivait bien, on avait une boutique de bijoux fantaisistes. J’ai bien essayé de vendre notre stock pour payer les factures, mais cela n’a pas suffi. Mes enfants étaient encore petits, 8 et 13 ans... Chez moi en Amérique du Sud, il n’y a pas de rente de veuve et d’orphelins, j’ai donc décidé de rejoindre une tante de mon mari en Suisse pour gagner de l’argent.

J’avais 33 ans

J’ai laissé mes enfants avec les parents de leur père sachant qu’ils seraient bien. Après un an, j’ai voulu les faire venir en Suisse, mais ma belle-mère s’y est opposée. J’ai dû accepter. Au début pour mon fils, ça a été dur. Et puis il s’est fait à mon absence. Aujourd’hui, il a trouvé du travail et va à l’université le soir.

Ma fille aînée a mieux accepté la situation. Elle s’est mariée il y a deux ans, mais je n’ai pas pu me rendre au mariage. Je ne connais ni son mari ni sa fille... Elle me dit souvent: «Je comprends pourquoi tu l’as fait mais je ne sais pas si j’aurais eu ce courage-là.»

Le plus dur quand on arrive en Suisse, c’est de trouver un logement

Nous, les sans-papiers, ne pouvons pas nous inscrire dans une gérance. On doit se débrouiller autrement, en sous-louant par exemple. Je n’ai jamais eu de problème, sauf une fois. En 2007, je sous-louais le studio d’une per personne recherchée par la police. Je ne savais pas pourquoi je ne la voyais jamais, il y avait juste son nom sur la boîte aux lettres. Cela faisait plus de deux ans que je vivais là. Plusieurs fois, la concierge qui m’aimait bien m’avait dit que la police était passée, mais je pensais que ce n’était pas important.

Jusqu’à ce matin-là. C’était avant 7 heures, j’allais travailler quand je me suis fait arrêter. J’ai dû présenter mes papiers. Je n’avais que mon passeport. Aucun autre permis, même si je cotise à l’AVS, je paie mon assurance-maladie… Ils m’ont emmenée au poste. J’ai dû payer 300 francs d’amende et l’agent de police m’a donné une lettre précisant que tel jour à telle heure je devais quitter la Suisse. Je l’ai montrée à l’un de mes patrons, il m’a dit: «Tu vois ce que j’en fais de ta lettre… et il l’a déchirée en petits morceaux.» J’ai déménagé. La tante de mon mari qui a épousé un Suisse a loué un studio pour moi. Tout va bien maintenant. Depuis, j’ai décidé de me rayer de toutes les listes et de ne payer mes factures que par Internet.

Etre clandestine ne m’a jamais empêchée de dormir

Au début, quand je ne parlais pas français, j’étais un peu inquiète. On me disait qu’il ne fallait pas me faire remarquer, toujours prendre le ticket pour le bus, ne pas traverser au feu rouge, des choses comme ça. Aujourd’hui, je passe à côté d’un agent de police et je lui dis: «Bonjour Monsieur» et il me répond: «Bonjour Madame». Mon arrestation m’a tout de même fait réfléchir.

Mes enfants ont grandi

Je continue à leur envoyer de l’argent ainsi qu’à ma mère, mais je veux aussi penser à moi. L’an dernier, par l’intermédiaire de leur tante, je me suis acheté une maison dans ma ville. Elle est petite, elle coûte 65 000 dollars. Quand j’aurais fini de la payer, je rentrerai au pays. J’aurais quelque chose à moi.

La Suisse va me manquer, mais je ne vois pas ce qui pourrait me retenir. Surtout pas un homme. Mon père a quitté ma mère lorsque j’avais 11 ans en nous abandonnant mes six frères et sœurs et moi. Je n’ai jamais compris comment il avait pu faire une chose pareille. Certains jours nous n’avions rien à manger.

Je n’ai pas voulu que cela se reproduise pour mes enfants

J’ai préféré me sacrifier. Je ne suis rentrée dans mon pays qu’une fois, en 2003. Repartir a été horrible. C’était si douloureux de quitter mes enfants une nouvelle fois. Ils ne sont jamais venus en Suisse, mais sont très présents dans ma vie, on communique par Internet, on se téléphone.

Durant cinq ans, j’ai eu un ami. L’an dernier, il m’a quittée pour se marier avec une femme plus jeune. Sinon, j’ai toujours bien travaillé. Les premières années, j’avais un emploi stable dans un hôtel: je gérais les femmes de ménage. Nous étions quatre. Toutes de mon pays, toutes clandestines. C’était bien. Nous avions deux jours de congé par semaine et des vacances payées. Un jour une nouvelle femme de mon pays est arrivée. C’est moi qui lui avais dit qu’il y avait une place. Après quelques mois elle a commencé à se montrer jalouse de moi. Elle n’appréciait pas la relation de confiance que j’avais avec notre patronne. Alors elle a dénoncé l’hôtel. Il y a eu un procès, qu’elle a perdu, mais nous avons toutes dû quitter notre emploi, elle aussi.

Depuis je fais des ménages chez des privés

Régulariser ma situation, je n’y songe même pas. Ma tante va obtenir un permis C, mais elle ne fait que payer des factures. Des impôts aussi. Moi je garde mon argent. Il y a deux ans, je me suis inscrite pour un voyage à Rome. Mon premier voyage en Europe. La dame qui les organise sait que nous sommes des clandestins. Pour sortir de Suisse, pas de problème, mais au retour…

Je me souviens encore de ce lundi, il devait être 22 heures et nous étions à l’entrée du tunnel du Grand-Saint-Bernard, côté Italie. Le policier de contrôle s’est approché pour nous dire qu’on allait devoir attendre parce qu’il y avait eu un accident. Dans l’autocar, on entendait voler les mouches. On osait à peine respirer. J’avais mal au ventre, j’avais peur. Finalement on a passé et ils ne nous ont rien demandé. On s’est retenu pendant quelques kilomètres, après, ça a été la folie dans cet autocar. On hurlait de joie. On a applaudi notre chauffeur. J’ai adoré Rome.

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