témoignages
«Je suis chasseuse de squelettes»
Ce projet fou a commencé presque par hasard. Photographe de métier, je devais participer à une exposition collective dont le thème était la mort. J’avais l’intention de réaliser des vanitas, forme de nature morte dont les protagonistes sont des crânes. J’en avais donc apporté plusieurs au studio. Oui, oui, de véritables crânes! Ils se dénichent facilement sur internet.
En faisant quelques recherches, j’ai rapidement compris que les plus célèbres vanitas, réalisées par d’illustres peintres, ne me correspondaient absolument pas. En effet, chacune des œuvres que je contemplais pour trouver l’inspiration plaçait le crâne humain aux côtés de toiles d’araignée, de bouquins poussiéreux, de chandelles renversées… un univers austère qui n’est absolument pas ma tasse de thé! J’ai fini par nourrir une réflexion sur ma propre finitude.
Premier rendez-vous
Après l’expo, je voulais absolument continuer à explorer cette thématique, mais l’inspiration manquait. Je devais en voir davantage. C’est alors qu’une amie m’a parlé de saint Pancrace, un squelette résidant à Wil, dans le canton de Saint-Gall. Sans la moindre hésitation, j’ai sauté dans ma voiture pour partir à sa rencontre. J’avais l’impression de vivre un film d’aventures. C’était fantastique. Il était là, debout, dans son armure argentée et rehaussée d’or, à me regarder.
J’ai toujours été intriguée par tout ce qui s’apparente à l’au-delà et j’avoue que je suis plutôt curieuse de voir ce qui se cache sous ma peau. Petite, lorsque je trouvais une dent de vache abandonnée sur le sol, je la ramenais à la maison, surexcitée, impatiente de montrer mon trésor à tout le monde.
Sur les traces des gisants
Saint Pancrace a été le premier d’une très longue série: après lui, j’ai visité plus de 250 sites, abbayes, couvents, églises, partout en Suisse. J’ai sillonné le pays durant trois ans, à la recherche d’autres ossements. Les squelettes qui m’intéressaient sont des gisants [des représentations funéraires de personnages couchés] de martyrs, ces premiers chrétiens ayant versé leur sang pour le Christ. Très souvent, ils sont couverts de pierreries, d’étoffes précieuses et de broderies, formant des trésors inestimables.
J’ai interrogé les hommes d’Église, puisé dans des bouquins ou sur internet, sans cesse à l’affût des trajectoires des ossements et des zones réputées pour héberger de nombreux gisants. J’ai même fini par apprendre à lire les symboles recouvrant les reliquaires.
Je visitais les sites qui me semblaient prometteurs, espérant y rencontrer un gisant, toujours au volant de ma voiture, avec mon GPS. J’avais imprimé une carte de la Suisse parsemée de petites croix. Parfois, j’étais accompagnée de ma fille ou de mon chien. C’était palpitant, je ne me lassais pas de cette aventure.
Appelez-moi Indiana Bones!
Au fur et à mesure que mes recherches et mes connaissances s’affinaient, j’ai décidé de rassembler toutes ces photographies dans un livre. Quoique mes proches se demandaient si j’allais un jour parvenir à boucler ce projet, rien ne m’arrêtait. Je ne cessais de leur annoncer que j’avais trouvé de nouveaux squelettes ou une nouvelle piste à suivre.
Lorsque je me trouvais dans des ossuaires, je ne pouvais m’empêcher de leur imaginer des scénarios de vie et constatais automatiquement que l’un m’aurait été plus sympathique que l’autre. Je pense que je possède une sensibilité particulière. Quand je les découvre, j’ai l’impression qu’un vrai contact se crée.
Apprivoser la mort
Ce qui ne devait être qu’une recherche d’inspiration s’est transformé en une quête d’une autre vision de la mort, d’une façon de l’apprivoiser. Autrefois, le dialogue funéraire suisse était complètement différent et beaucoup plus terre à terre. Aujourd’hui, nous avons tendance à trouver cela macabre, effrayant, écœurant… mais à l’époque, les gens allaient prier devant les ossements de ces martyrs pour leur demander de les sauver d’une maladie ou d’une douleur accablante.
Depuis que j’ai réalisé ce projet, ma soif d’aventure s’est un peu assouvie, mais j’ai encore énormément d’envies pour le futur. Je ne m’arrêterai pas là!