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«J’ai été physio auprès des réfugiés en Grèce»

Femina Alexandra Physio Refugies corinne sporrer

«Tout le monde est un peu victime de ce qui se passe sur cette île, qui est comme coincée dans un angle mort que personne ne souhaite regarder. Pourtant, ce que les migrants y subissent au quotidien a de quoi donner des frissons.»

© Corinne Sporrer

Avec une immense soif de voyage à étancher, en juin 2019, j’ai décidé de démissionner du cabinet de physiothérapie qui m’employait. Une odyssée à vélo en Colombie, quelques années plus tôt, m’avait donné le goût des périples sur deux roues. Mon projet? Traverser les Balkans seule avec ma bicyclette «Capucine», puis rejoindre l’île de Samos, en Grèce. J’allais y passer quatre mois comme physiothérapeute bénévole pour les réfugiés du camp de Vathy. Après avoir mis un mois pour traverser la Croatie, le Monténégro, puis l’Albanie, j’ai fait une pause d’une semaine dans les Météores, une région montagneuse de Grèce, avant de descendre vers Athènes pour prendre le ferry qui me conduirait à Samos. Je trouvais immédiatement à l’île quelque chose de séduisant; ses paysages, ses routes modernes font penser à la Suisse et détonnent par rapport à d’autres régions du pays.

Vathy, ville principale, est quasi un village avec ses 6000 habitants. J’y fus accueillie par l’association pour qui j’allais œuvrer comme volontaire. Toutefois, je fus rapidement sidérée par ce qu’il y avait de l’autre côté. Le camp. Sa réalité. Là-bas, 8000 personnes, hommes, femmes et enfants, vivent dans un secteur aménagé à l’origine pour en accueillir 700. Beaucoup sont installés dans des containers. Ils s’y entassent à dix, parfois à vingt.

Les autres, obligés de se débrouiller, construisent leurs tentes ou leurs abris de fortune dans une sorte de jungle tout autour, alors que l’hiver amène des températures réfrigérantes. La plupart dorment parterre. Les plus chanceux, ceux qui peuvent compter sur une aide de leur famille résidant en Europe, louent un petit appartement en ville en attendant l’examen de leur dossier. Toutefois, la majeure partie des gens sont condamnés à hanter ce camp.

Tensions avec les locaux

Et si sa population a été multipliée par dix, les infrastructures, elles, sont restées presque inchangées. Un seul robinet pour 1000individus, un WC pour 700. Au-delà de la dimension absurde de la situation, j’ai aussi découvert les tensions entre les locaux et les réfugiés. Lorsque la crise migratoire a débuté, au milieu des années 2010, les habitants étaient fiers de pouvoir aider ceux qui arrivaient depuis la rive turque, mais avec le temps et les arrivées toujours plus nombreuses, les relations se sont dégradées, les touristes sont partis. Les habitants de Samos ont aujourd’hui pas mal de rancœur envers cette situation.

Tout le monde est un peu victime de ce qui se passe sur cette île, qui est comme coincée dans un angle mort que personne ne souhaite regarder. Pourtant, ce que les migrants y subissent au quotidien a de quoi donner des frissons. Après avoir, pour la plupart, tout perdu, ils y laissent leur humanité. Je logeais dans une maison de l’ONG qui m’employait, à Vathy, avec mes collègues, bénévoles eux aussi, et n’entrais jamais dans le camp, pour des raisons de sécurité. Cependant, je pouvais voir le résultat de ce qui s’y passait avec les 200 patients que nous recevions chaque jour à la clinique: des intoxications alimentaires dues à la nourriture distribuée, souvent avariée; des brûlures causées par les bonbonnes de gaz servant pour la cuisine; des morsures de rats ou de vipères; des entorses, des maux de dos et bien d’autres blessures héritées de la situation de leur pays ou résultant de la violence sur place. Ils pouvaient venir librement chez nous.

Mais pour voir le médecin grec du camp et se faire prescrire un traitement au début, les réfugiés doivent faire la queue depuis trois heures du matin. Ils attendent parfois une consultation jusqu’à six mois. Sans garantie d’aller mieux après. Beaucoup de maladies, dont la tuberculose, qui circule pas mal ici, ne sont pas médicamentées. Par ailleurs, faute de temps, certains patients venus pour un bras cassé retournaient au camp sans avoir reçu de soins, qualifiés de cas non prioritaires.

Des enfants livrés à eux-mêmes

Les quelques médecins grecs travaillant surplace étant les seuls autorisés à prescrire des traitements, nous ne pouvions que leur donner des produits en vente libre en pharmacie pour les soulager. Sans parler de l’inexistence de soins psychiatriques, notamment pour les femmes, dont beaucoup ont subi un viol lors de leur séjour ici. Des enfants ont des envies de suicide. Il faut dire que l’Hôpital de Vathy, qui accueille à la fois les locaux et les personnes du camp, est surchargé en permanence.

Face à un tableau aussi dramatique, je ne pouvais pas faire grand-chose à mon échelle, mais c’était toujours ça. Avec mes soins de physiothérapeute, je posais en quelque sorte des pansements sur cette situation. Lors de leur passage à la clinique, nombre de patients se disaient heureux d’être traités comme des êtres humains. Ils étaient même surpris qu’on vienne travailler gratuitement.

Leurs récits m’ont fait comprendre à quel point ce qui se jouait dans ce camp était abject et révoltant, comme un piège qui se refermait sur eux. En Suisse, la loi oblige à donner une réponse dans les 140 jours à un requérant d’asile. A Samos, nombre de réfugiés sont là depuis un ou deux ans, avec des dossiers qui ne reviennent jamais, sans avoir pour autant le droit de quitter les lieux. L’effet miroir est terrible, car on voit des gens de notre âge, là-bas.

Le sentiment d’impuissance était intense, mais je voulais continuer. J’avais finalement projeté de rester plus longtemps, jusqu’en juin, mais la pandémie de coronavirus a mis à mal mes plans. Nous avons dû repartir en catastrophe en mars, les frontières menaçant d’être fermées. L’ONG redoutait une perte de contrôle de la situation à Samos et un climat dangereux pour nous. Je suis revenue triste, je n’arrivais pas à oublier ces images. Ce sont des choses qui travaillent. Cependant dès que la situation le permettra, j’aimerais pouvoir recommencer. Une telle expérience vous ouvre les yeux à jamais sur certaines choses et influence les choix de tous les jours.

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