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«J'ai construit des logements sociaux au Nicaragua»

30 Vecu Melanie Corinne Sporrer

J’ai petit à petit rencontré des familles déplacées par la guérilla, des familles en situation vulnérable, pauvres, puis des ex-combattants. J’ai compris que si la paix avait bien été signée, il n’y avait rien pour reconstruire.

© Corinne Sporrer

Déjà adolescente, je voulais travailler dans l’humanitaire. Je me rappelle très bien du moment où je l’ai su: dans la cour de récré, à l’école, il y avait un chantier pour l’extension du collège et les plans étaient affichés. Je me suis dit: «Wouah, je veux faire ça: de l’humanitaire en construisant!»

Evidemment, quand j’ai commencé à me renseigner auprès de l’Hepia, la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève, un responsable m’a conseillé de faire architecture, parce que c’était «plus féminin». J’ai essayé une année, mais ça ne me correspondait pas. Du coup, je suis partie faire un stage chez Losinger Marazzi, sur des chantiers. Il y avait du béton, ce fut une révélation! J’ai changé pour une formation d’ingénieure en génie civil et j’ai obtenu mon diplôme en 2011. Je n’ai pas voulu tout de suite me lancer dans l’humanitaire, je voulais d’abord acquérir de l’expérience. J’ai donc travaillé cinq ans comme cheffe de chantier. J’ai eu de la chance, mon premier chantier, à Genève, était conséquent. Un projet immobilier à 120 millions de francs.

C’est vrai que c’est un milieu qui compte peu de femmes, mais je dois dire que le plus dur était plutôt le fait d’être jeune. Quand on se retrouve, à 21 ans, autour d’une table avec une vingtaine de sous-traitants de 40-50 ans, qui ont de la bouteille, et à qui tu dois dire que tu n’es pas d’accord, c’est dur. Surtout que j’étais très timide à l’époque. Ce fut une excellente école! Le plus étonnant dans cette expérience, c’est que malgré le travail conséquent que je faisais, on m’a souvent demandé:

«Alors, tu finis quand ton stage?» Pas sûre qu’on posait la même question à mes collègues masculins.

Projets sociaux au Nicaragua

En 2016, je suis partie au Nicaragua pour une association locale qui permet à des familles peu favorisées économiquement d’accéder à un logement digne. A la base, ma mission était de former des ouvriers de l’association pour construire des logements sociaux de meilleure qualité, mais je me suis peu à peu impliquée davantage dans la coordination globale des projets. On a fait plusieurs gros chantiers. L’un d’entre eux était une coopérative de logements dans laquelle les futurs habitants participaient à la construction, c’était génial. Un autre projet consistait en 21 maisons dans le nord du pays. Nous étions deux femmes ingénieures de moins de 30 ans pour gérer 80 ouvriers. Une belle expérience. Étonnamment, le plus surprenant a été la réaction machiste de la part des femmes de la communauté. Habituées à voir des hommes sur le chantier, elles ont eu du mal à accepter que des femmes puissent aussi construire et superviser des ouvriers. Ce fut humainement assez difficile, on ne s’y attendait pas, mais aussi très formateur. Finalement, tout s’est arrangé lorsqu’on a remis les maisons et qu’elles ont vu qu’elles tenaient debout!

Tous ces projets m’ont permis, petit à petit, d’affiner les détails de ma propre vision d’un logement social digne. Parce que quand je remettais les clés d’une maison terminée à une famille, ça bouillonnait dans ma tête.

J’étais très heureuse mais, d’un autre côté, je trouvais ces maisons trop petites.

Quarante-deux mètres carrés pour une famille, ça engendre parfois un manque d’intimité, des risques de violences. Ce n’est pas sain. J’ai pu faire des propositions auprès de l’association nicaraguayenne pour améliorer certains points, notamment en matière de mixité sociale – ce qui ne se fait pas trop là-bas – et, début 2018, j’ai décidé de prolonger ma mission d’une année. Malheureusement, quelques jours après avoir pris cette décision, le 19 avril 2018, un conflit politique a éclaté. La police tirait à balles réelles sur les étudiants dans la rue. Je suis restée enfermée 13 jours dans ma maison et tous les projets en cours se sont arrêtés.

Chez d’ex-combattants des FARC

Je suis donc partie mais, avant de revenir en Suisse, je voulais confronter mon idée d’entreprise sociale et ma vision du logement digne à la réalité du terrain en Amérique centrale et du Sud. J’ai donc décidé d’interviewer des familles qui vivaient dans des logements sociaux et informels, du Guatemala au Brésil. C’est comme ça que j’ai finalement atterri en Colombie. J’allais voir mon ex-colocataire du Nicaragua qui y travaillait pour l’ONU. C’est là que j’ai commencé à découvrir la situation avec les FARC, les forces armées révolutionnaires colombiennes, qui ont déposé les armes en 2016, mais dont l’intégration dans la société est un défi permanent.

J’ai petit à petit rencontré des familles déplacées par la guérilla, des familles en situation vulnérable, pauvres, puis des ex-combattants. J’ai compris que si la paix avait bien été signée, il n’y avait rien pour reconstruire.

L’Etat laissait les gens seuls et les différentes factions se regardaient un peu en chien de faïence. Après un séjour au Brésil pour apprendre le portugais, rencontrer les habitants des favelas et créer mon site internet, de retour en Colombie, les choses se sont accélérées. J’ai décroché un rendez-vous avec un certain Rodrigo, du parti FARC. Je croyais rencontrer un responsable local dans un café pour une rencontre informelle, je me suis retrouvée au siège du mouvement et j’ai rencontré le No 1 du parti qui, a son tour, m’a introduite auprès de Pastor (les gens s’appellent toujours par leur prénom), qui était carrément un des anciens commandants des FARC, très haut placé. J’étais tellement intimidée que ma présentation fut maladroite, mais il a confirmé son intérêt à travailler avec mon entreprise sociale, Hurbanity, sous l’égide du Conseil national de réincorporation, une entité qui vérifie la neutralité des projets en lien avec les accords de paix.

C’est comme ça qu’en mai 2019, notre entreprise sociale a été retenue quand le maire d’un village proche de Medellín recherchait des partenaires pour un projet immobilier. Il mettait à disposition un terrain de 2 hectares pour construire des logements sociaux, à condition d’y inclure des anciens combattants. Nous ne sommes qu’au début du projet, mais les choses avancent. Nous avons permis la rencontre d’ex-leaders des FARC et de familles déplacées par la guérilla qui, grâce à cet espace de dialogue, sont maintenant prêts à vivre ensemble. C’est un projet en collaboration avec les Nations Unies, c’est juste incroyable. En ce moment, je suis en Suisse pour récolter des fonds afin de pouvoir continuer et on vient de recevoir le soutien financier de la Ville de Genève. C’est fantastique!

Si le Covid le permet, je retourne en Colombie en septembre. C’est dur de rester motivée et de gérer tout ça à distance, même si nous faisons du mieux que nous pouvons, avec mes collaborateurs, pour nous adapter à la situation. Je pense que je fais aujourd’hui facilement le travail de quatre personnes, mais je sais que tout cela en vaut la peine. Il faut oser construire ses rêves.

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