témoignage
Elodie-Jane Mettraux: «Les navigatrices doivent pouvoir se sentir légitimes»
J’ai toujours aimé naviguer. Enfant, je passais toutes mes vacances d’été sur le bateau de mon père. Voguer sur le Léman, sauter dans l’eau au port de Versoix, dévorer des glaces… Ça m’a donné envie de faire de la voile, à moi, l’aînée, ainsi qu’à mes frères et sœurs, toutes et tous navigateurs professionnels.
Mon parcours a débuté par un concours de circonstances: j’étais étudiante à l’HEPIA en bachelor de gestion de la nature lorsque Dona Bertarelli a monté un équipage féminin professionnel en D35 sur le lac Léman. J’ai été sélectionnée, c’était alors mon job d’étudiante. Puis ma carrière a été ponctuée de divers projets féminins: après avoir géré pendant plus d’un an le centre d’entraînement à la régate de la Ville de Genève, j’ai postulé pour The Ocean Race dans un équipage uniquement composé de navigatrices.
Ma première transatlantique a été une claque, un véritable apprentissage. C’est peut-être un peu cliché, mais se retrouver face à la puissance des éléments, admirer des vagues de 4 ou 5 mètres de haut, parvenir à maîtriser son embarcation dans le gros temps, c’est tellement beau.
Une équipe de course au large 100% féminine
Début mai 2024, j’ai commencé la saison au sein d’un nouveau programme lancé par MerConcept, l’écurie de course au large fondée par le skipper français François Gabart. UpWind by Mer Concept est une équipe 100% féminine qui a pour objectif de favoriser la carrière des navigatrices dans un métier encore majoritairement masculin. J’ai été choisie aux côtés de six autres femmes venues du monde entier: Lisa Farthofer, Anne-Claire Le Berre, Tiphaine Ragueneau, Michaela Robinson, Sara Stone et Arianne van de Loosdrecht.
Le grand challenge de la saison estivale? Notre première transatlantique avec le team UpWind by Mer Concept et l’édition inaugurale de la Route des Terre-Neuvas: plus de 2000 milles à travers l’Atlantique Nord, d’ouest en est, entre le 16 et le 21 août 2024. Au départ de Saint-Pierre-et-Miquelon, proche du Canada, Francesca Clapcich, Anne-Claire Le Berre et moi-même avons démarré notre voyage de six jours face à neuf autres équipages, direction Saint-Quay-Portrieux en Bretagne.
Les conditions météorologiques n’étaient pas évidentes. Des dépressions orageuses ont compliqué notre itinéraire et nous avons essuyé des dégâts sur la dérive de notre Ocean Fifty lorsque nous avons heurté un morceau de bois. À bord de ces multicoques, on évite de se trouver dans des grosses vagues pour pouvoir rester rapides. Après le choc, nous n’avons plus eu la possibilité d’exploiter le maximum du potentiel du bateau, et nous nous sommes retrouvées malgré nous dans des conditions météo compliquées avec beaucoup de vent. On a donc dû prendre soin du bateau, quitte à ne plus rechercher la performance maximale.
La non-mixité, un outil d’empowerment
Entre Francesca, Anne-Claire et moi, je peux dire que la mayonnaise a pris. Nous sommes des navigatrices complémentaires. J’apprécie la mixité à bord, mais un team 100% féminin, c’est comme naviguer avec ses copines! Parfois, j’observe qu’en présence d’hommes, les femmes ne vont peut-être pas s’autoriser à prendre le leadership.
Certains circuits évoluent, comme le Vendée Globe, mais selon moi cela reste encore niche. Heureusement que des associations comme le Magenta Project existent pour favoriser l’inclusion des femmes dans la navigation professionnelle. Les capitaines, les skippers ont aussi leur rôle à jouer dans l’engagement des femmes, afin qu’elles puissent accumuler de l’expérience pour oser postuler ensuite dans des équipes et, à terme, mener leur carrière comme les hommes. C’est-à-dire collaborer sur plusieurs projets en même temps afin d’être correctement rémunérées.
Un combat pour l’égalité de genre
Les inégalités me motivent à m’engager pour la visibilisation et la représentation des femmes dans la navigation. J’ai moi-même expérimenté des conditions de travail sexistes. En novembre 2023 par exemple, j’ai été sélectionnée pour la Women’s America’s Cup avec Alinghi Red Bull Racing. Un rêve! Malheureusement, l’équipe n’avait pas prévu de budget pour rémunérer son team féminin. J’ai essayé de leur faire entendre raison, demandé une juste rémunération, car je ne peux pas travailler gratuitement. Sans succès. Malgré mes 15 ans d’expérience, ils m’ont fait ressentir que celle-ci n’avait aucune valeur, parce que je suis une femme. Les mentalités doivent changer, et les projets comme UpWind by Mer Concept y participent. Nos familles sont prises en compte.
Je fais en sorte de gagner ma vie et je passe le plus de temps possible à la maison, c’est ma priorité. Toutefois, chez MerConcept, je suis respectée. On croit en moi et on m’offre des responsabilités techniques. Je me sens privilégiée!
J’ai quelques semaines pour me reposer, et mon prochain défi, c’est la Med Max Occitanie sur la Méditerranée, de Port-Camargue à Saïdia Resort au Maroc. Je pars le 29 septembre avec Anne-Claire Le Berre. Ce sera ma première grosse course en double. Je crois bien que la dernière était les Cinq Jours du Léman, aux côtés de ma sœur Justine Mettraux, il y a des années de cela.
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