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«Dans la boulangerie, il y a très peu de femmes»

Vecu Gina Boulangere Corinne Sporrer

Chez moi, c’est encore à l’ancienne, on peut voir le pain qui lève gentiment et ma maman travaille à la vente. Je n’ose pas dire son âge, c’est une maman comme on n’en fait plus. Si je suis là aujourd’hui, malgré les difficultés, c’est vraiment grâce à elle.

© Corinne Sporrer

Je suis tombée en amour pour un cuisinier à l’âge de 15 ans, durant des vacances en Italie. Je ne l’avais jamais vu travailler, mais c’était décidé, je voulais cuisiner. Un peu comme Johnny quand il a vu Elvis, ce fut une révélation! Mais je sais que depuis toujours, je voulais faire quelque chose de mes mains.

Alors, de retour en Suisse, j’ai tout de suite commencé à chercher une place d’apprentissage. Comme j’étais déjà végétarienne, j’ai décidé de me tourner vers un autre métier de bouche comme on dit, celui de pâtissier confiseur glacier. Autant dire que c’était la croix et la bannière pour trouver une place, avec de nombreux patrons qui me disaient: «On ne prend pas de dames», sans autre explication. C’était les années 1980, on ne posait pas de questions, mais ça m’a fait bizarre.

Finalement, j’ai décroché un stage de 3 semaines, en remplacement d’un homme parti au service militaire. Une expérience extraordinaire, qui m’a vraiment plu, et le patron a ensuite réussi à me trouver une place d’apprentissage. C’était dans une confiserie, sous-gare, à Lausanne, et j’étais la première femme qu’ils formaient. Mon CFC de confiseur en poche, j’ai décidé de rempiler avec une formation de boulangère-pâtissière, toujours à Lausanne, dans une grosse boulangerie. J’étais la seule femme à suivre les cours durant l’apprentissage, étonnamment. Il faut dire que les métiers de bouche en général sont ingrats, encore plus pour une femme. Un mari a parfois de la peine à voir sa femme se lever au milieu de la nuit, il y a comme un problème, ils ont de la peine à comprendre… c’est aussi pour ça que je n’ai toujours pas trouvé chaussure à mon pied!

Sentir les odeurs, entendre le pétrin qui tourne, c’est magique.

La fille au four, la maman à la caisse

Arrivée à la veille de mes 30 ans, je me suis dit qu’il était temps de me mettre à mon compte. Parce que dans ces métiers, on sait à quelle heure on se lève, mais jamais quand on finit! Alors, toutes ces heures supplémentaires, au moins que ce soit pour moi. C’est comme ça que j’ai atterri à Chardonne, à la fin du siècle dernier.

J’y suis restée près de 20 ans. Ce n’est que quand j’ai dû fermer ma boulangerie que j’ai réalisé le bien que j’avais fait autour de moi. J’ai été si surprise par le nombre de messages d’habitants de la région tristes de me voir partir. C’est pour ça que, malgré les difficultés, j’ai rouvert en septembre dernier, à la rue de l’Eglise Catholique, à Montreux. Quel stress que ce déménagement! Mais aujourd’hui, je ne me verrais pas faire autre chose.

J’essaie de dormir au moins 5 heures par nuit et je pars travailler pour minuit, 1 heure du matin. Je n’ai pas vraiment d’horaires, tout dépend de la quantité de travail qui m’attend. Le but du jeu est de pouvoir proposer du pain et des croissants à 7 heures du matin! Quand j’entre dans mon laboratoire, j’allume la lumière, et je dis «bonjour!» au lieu. Je pèse mes farines, la levure, je fabrique mes pâtes chaque nuit, je les laisse tourner et fermenter, je façonne mes pièces et dès que le four est à 230-240 degrés, j’enfourne. J’aime tout ce que je fais, mais je crois que mes clients ont un faible pour mon Gâteau de Montreux, un genre de salée au sucre avec un ingrédient secret, mes croissants au jambon, mon gâteau aux pommes, mon truffé… je crois que ce qu’on fait avec amour réussit toujours.

Des gens m’ont déjà dit: «Ça sent l’amour dans ce magasin» et rien ne me fait plus plaisir.

Evidemment, ces derniers temps, avec le confinement, cela a été passablement dur. On aurait dû cartonner, mais les gens sont allés acheter de la farine et de la levure en supermarché pour faire leur pain et ils nous ont – pour certains – laissés sur le carreau. J’ai envie de leur dire: «Venez à la boulangerie plutôt, faites fonctionner les petits commerçants!» Heureusement, certains ont continué à venir. Et si des curieux me font la demande, je leur fais visiter mon laboratoire, sentir les odeurs, entendre le pétrin qui tourne, c’est magique. Car chez moi, tout est frais du jour. Certains grands groupes ont un peu déformé la profession et préparent les produits un jour avant, mettant les pâtes dans des chambres de pousse en attendant de les passer au four. C’est pour ça qu’on peut, dans certaines enseignes, avoir parfois la sensation de manger un croissant un peu sec ou un pain de la veille; pour ça aussi que dans les vitrines des grands groupes, si vous débarquez à l’ouverture, tout sera déjà prêt, des mille-feuilles aux tartelettes en passant par les sandwiches. Ici, si quelqu’un débarque à 7 heures et en demande un, eh bien! je vais aller chercher un pain, découper mon jambon, ma tomate, mon œuf, rien n’est fait à l’avance.

Chez moi, c’est encore à l’ancienne, on peut voir le pain qui lève gentiment et ma maman travaille à la vente. Je n’ose pas dire son âge, c’est une maman comme on n’en fait plus. Si je suis là aujourd’hui, malgré les difficultés, c’est vraiment grâce à elle.

Parce que même si les choses ont évolué, la boulangerie est un métier d’hommes. D’ailleurs, je suis l’une des rares boulangères de Suisse romande! On parle plus souvent de la femme du boulanger, qui sert les clients ou nettoie le matériel, que de boulangère, par exemple. De toute façon, quel que soit son domaine, une femme doit toujours se battre deux fois plus, prouver deux fois plus qu’un homme ce qu’elle vaut. Cela valait quand j’ai commencé et c’est encore le cas aujourd’hui. Toutefois, avant d’être un métier macho, c’est avant tout un métier solitaire, parce qu’on travaille seul et parce qu’on a des horaires de nuit. Ces petits aléas ne m’empêcheront pas de continuer. Honnêtement, je ne pense pas que je deviendrai riche avec la boulangerie, mais le plaisir de faire plaisir sera toujours là.

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