C'est votre histoire
«Avec mon pinceau, je redonne vie aux murs»
A 18 ans, lorsque j’étudiais le latin et le grec au lycée de Porrentruy, je ne me voyais pas devenir archéologue. Pourtant, j’adore les vieilles pierres, mais je n’arrivais pas à concevoir la finalité de ces études. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de devenir peintre en bâtiment. Lorsque j’ai annoncé à mes parents que je voulais faire un apprentissage, ils m’ont bien sûr soutenue, même si leur entourage leur disait que c’était de la folie de me laisser arrêter les études.
Mon père est carreleur et je savais donc bien dans quoi je m’engageais professionnellement. J’ai trois frères et je suis la seule qui se soit lancée dans le bâtiment. En tant que femme, jamais je ne me suis posé la question de savoir si ce métier était fait pour moi ou pas. Moi qui voulais une finalité à mes études, je trouvais que de pouvoir redonner vie aux vieux murs à coups de pinceau était très gratifiant et que le résultat pouvait se voir tout de suite.
Avant de commencer mon CFC de peintre, j’ai quand même tenté de passer ma maturité, mais j’ai échoué d’un cheveu. Parfois, le hasard fait bien les choses, car au lieu d’aller fêter la réussite de mes examens, je suis restée à Vendlincourt (JU) pour passer la soirée chez des amis. C’est là que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari, un Genevois qui avait le bon goût d’avoir des amis jurassiens. Depuis cette soirée, il est mon plus fidèle soutien. Il est présent à chaque étape de mon parcours de peintre, depuis le début.
Un métier de passionnés
J’ai fait mon CFC à Porrentruy et les deux premiers mois la fatigue physique était intense. En rentrant chez moi le soir, j’avais juste la force de me doucher et de lancer un coup de fil à mon amoureux avant de m’écrouler dans mon lit. Mon CFC en poche, je l’ai rejoint à Genève où j’ai travaillé dans plusieurs entreprises du bâtiment. Pour devenir maître peintre, la formation en emploi impliquait que je sacrifie tous mes samedis pendant six ans. C’était très fatigant et nous avions peu de loisirs le week-end, mais ce métier est tellement gratifiant. Le monde du bâtiment est incroyablement varié, tant pour les corps de métier représentés que dans la diversité des gens qu’on y rencontre.
Sur les chantiers, j’ai eu la chance de côtoyer des personnes aussi passionnées que moi. Mon pinceau m’a aussi permis d’entrer dans l’intimité des clients. Quand on passe une semaine à repeindre une pièce chez un particulier ou plusieurs semaines à rénover une entrée luxueuse, on finit par faire un peu partie de leur quotidien. Je connais tout Genève à force d’en avoir sillonné les rues à vélo!
Je suis passionnée par mon métier, pourtant je me suis toujours considérée comme moyenne… mais après toutes ces années sur les chantiers, je me suis rendu compte que j’étais quand même assez douée grâce à ma formation et à la validation de mon talent par mes pairs. Quand on passe six couches de peinture et qu’on fait six ponçages pour une cage d’escalier dans une résidence de luxe, on apprend la patience et on affine son savoir-faire. Ce métier n’est pas protégé et n’importe qui peut s’improviser peintre. Au pire, la peinture sera moche. Mais il y a des techniques à apprendre pour y arriver. C’est ce que j’ai essayé de faire comprendre aux apprentis que je formais dans l’entreprise où je travaillais. Il faut vraiment être motivé, et environ un peintre sur cent fait une maîtrise.
Ma maison de rêve
Il y a peu de femmes qui font ce métier, à Genève encore moins que dans le Jura. Quand mon mari me présente en disant que je suis peintre, les gens pensent artiste, pas peintre en bâtiment. La touche artistique est pourtant bien présente quand on fait ce métier. Dès que j’entre dans une maison, j’en vois le potentiel et le résultat fini. Lorsque des particuliers me disent qu’ils veulent du blanc sur leurs murs en croyant que ça agrandit l’espace, je leur explique que ce n’est pas forcément vrai. Une touche de couleur peut structurer l’espace et donner du style à ses murs n’est pas une question de budget.
C’est d’ailleurs ce que j’ai essayé de faire dans la maison que nous avons achetée avec mon mari, à Vendlincourt. Depuis toute petite, c’était la maison de mes rêves et à chaque fois que je passais devant pour aller à l’école, je me disais que ça serait la mienne. Ça a été le cadeau de mes 25 ans. J’avoue que le jour où j’y ai emmené mon mari pour la première fois, elle était complètement délabrée… mais dès que j’y suis entrée, mes yeux se sont allumés. Je voyais combien elle serait belle une fois rénovée. Je me suis occupée du plâtre et de la peinture, mon père du carrelage. Nous y avons passé tous les samedis où je n’avais pas cours à Genève pendant cinq ans! La fin des travaux a été un peu précipitée, car avant de finir ma maîtrise – et la maison —, mon mari et moi avons reçu une magnifique nouvelle: notre demande d’adoption avait été acceptée et nous allions être parents de deux enfants thaïs. C’était il y a trois ans.
Nous pensions avoir le temps de nous préparer, mais tout est allé très vite. Cinq semaines après cette annonce, nous étions en Thaïlande. Il a fallu finir la maison et la peinture était juste sèche quand nous avons accueilli notre fille et notre fils. Pour chaque pièce, j’ai choisi des couleurs différentes: bleu profond pour la chambre de ma fille, un mur en orange vif et les trois autres en jaune pâle pour celle de mon fils, vert pour le bureau… je crois qu’il n’y a que la buanderie qui ait des murs blancs.
La boucle est bouclée
Une fois la famille installée, j’ai fini ma maîtrise et j’ai choisi le thème de la création d’entreprise comme travail de diplôme. Du coup, logiquement, j’ai monté mon entreprise de peinture dans la foulée. Depuis deux ans, j’ai installé mon atelier dans la grange attenante à notre maison. J’ai beaucoup de mandats et entre les enfants et la maison, ce n’est pas évident de tout combiner. D’autant plus que mon mari travaille à Berne. Je me suis donc associée à un de mes anciens formateurs, qui a l’âge de mon père, et ça soulage mon quotidien. C’est drôle d’en être arrivée là à 33 ans, car depuis mon premier jour d’apprentissage, c’est exactement ce que je voyais, et je me souviens l’avoir dit à mes camarades de classe.
Depuis la rentrée scolaire je suis aussi devenue maître d’enseignement une demi-journée par semaine dans l’établissement où j’ai fait mon apprentissage. La boucle est ainsi bouclée, mais je ne compte pas m’arrêter et je n’ai pas prévu de me poser. J’aimerais agrandir la maison, l’atelier, et m’engager en politique aussi, en tant qu’entrepreneuse et peintre, car je suis convaincue que la transition écologique passe par les entreprises et que les métiers comme le mien doivent être valorisés. Etre peintre demande de la finesse, des connaissances et je n’ai pas fini de transmettre ma passion.
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