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Je suis coiffeuse dans un prestigieux salon de Neuchâtel depuis huit ans. Un métier que j’aime et dont je suis fière. Mais qui dit coiffure, dit luxe, mode, apparence. Un monde un peu… superficiel. Un peu éloigné des problèmes auxquels est confrontée notre société. Il y a trois-quatre ans, j’ai ressenti le besoin d’être utile. L’envie de donner de mon temps aux autres, pour être plus en phase avec mes valeurs. Mais que faire, quand on n’est «que» coiffeuse?

J’ai cherché pendant un moment des ONG locales dans lesquelles je pouvais être active. A chaque fois, j’ai abandonné, ne voyant pas ce que je pouvais leur apporter. Et puis, un jour, je suis tombée sur une petite annonce dans le journal régional. C’était l’année passée: le Dispensaire des rues de Neuchâtel cherchait une coiffeuse bénévole pour couper, un après-midi par mois, les cheveux aux plus démunis. Pour moi qui suis maman d’une petite fille et qui travaille à 50%, c’était idéal. Je n’ai pas hésité un instant. Sans savoir de quoi il s’agissait – j’ai toujours pensé que les dispensaires ne prodiguaient que des soins – j’ai téléphoné.

Avant de commencer, j’ai rencontré une des coiffeuses bénévoles. Elle m’a expliqué que ça ne serait pas toujours facile: j’allais travailler dans un cadre éloigné de ma réalité professionnelle, devoir abandonner l’aspect artistique pour me concentrer sur une coiffure purement «fonctionnelle» et, surtout, me préparer à accueillir une clientèle différente, aux parcours de vie souvent chaotiques. Certaines consœurs qui avaient voulu tenter l’expérience ont déposé les pl aques après deux après-midi seulement. Comme je suis jeune, j’imagine qu’elle a pensé nécessaire de bien planter le décor. Ça ne m’a de loin pas découragée. Au contraire!

Oublier le trac

Le premier jour, j’avais les jambes en coton, les mains qui tremblaient. Ça a été un moment intense. Entre mon entourage professionnel qui m’avait prédit le pire et mes propres aspirations «sociales», j’avais eu le temps de me faire des films. Le «salon» où je devais officier – un coin de 2 m2 au fond des douches dans lequel avaient été installés une chaise, une table et un miroir – était sombre et rudimentaire. N’ayant pas à accueillir les gens, encore moins à afficher une certaine «allure», je me suis d’abord sentie déstabilisée et perdue. Très vite, j’ai oublié mon trac pour me concentrer sur mon travail, avec en tête les règles très strictes du dispensaire à respecter: ne pas dévoiler mon nom de famille, ne pas parler de ma vie privée ni professionnelle, et toujours vouvoyer les «clients». Les premières personnes sont arrivées et le temps a filé sans que je m’en rende compte. Au terme de l’après-midi, je suis rentrée fatiguée, mais profondément heureuse.

Ce sentiment-là, je l’éprouve à chaque fois. C’est vrai que travailler dans un dispensaire nous amène à rencontrer des catégories de la population souvent ignorées, quand ce n’est oubliées. Il y a les personnes vivant dans la précarité, celles souffrant de problèmes d’addiction, des hommes et des femmes seuls, des personnes âgées, des étrangers… Ils me parlent de la pluie et du beau temps. Parfois de leur vie, de leur famille. Il arrive que certains soient tristes. Ça me touche beaucoup. J’essaie alors de faire en sorte qu’ils passent un bon moment, qu’ils oublient un temps leurs tracas. De les faire rire. Dans l’ensemble, j’ai toujours un bon contact. Ils sont tellement heureux de venir chez la coiffeuse, de pouvoir se payer une coupe – ils doivent verser la somme symbolique de 3 fr. au dispensaire. Pourtant, je ne fais que le strict minimum: laver les cheveux, couper et coiffer. Ne rajoutant aucun autre produit, si ce n’est un peu de gel que j’apporte avec moi, pour le plus grand bonheur des enfants. En guise de remerciements, certaines personnes m’offrent parfois de petits présents, comme des chocolats ou des savons. Des gestes qui me vont droit au cœur.

Et puis elles repartent avec leur nouvelle tête, heureuses: elles se sentent belles. Comme si, avec mes ciseaux, je leur avais rendu un peu de dignité. Je ne m’étais jamais rendu compte auparavant à quel point une simple coupe pouvait être importante.

Gagner en humilité

Chaque mois, j’y retourne avec le même plaisir. J’aime ce cadre où tout le monde s’active pour les autres. L’entraide n’y est pas qu’un concept creux. Il y a beaucoup d’humanité. C’est un lieu aussi très vivant. Les gens viennent pour discuter, boire un café, faire une lessive, prendre une douche ou se faire ausculter par les soignants bénévoles du dispensaire. J’ai le sentiment de faire partie d’une équipe. D’avoir aussi gagné en humilité. Réaliser qu’en bas de chez soi des personnes vivent dans la misère, ça change le rapport au monde. Ça permet de relativiser les petites tracasseries du quotidien. De prendre du recul aussi par rapport à son travail. Et aux exigences parfois un peu futiles de la clientèle.

J’espère continuer encore longtemps. Je sais que dans mon entourage certains me trouvent bien jeune pour m’engager ainsi dans le bénévolat… comme si j’avais dû attendre mes 60 ans pour le faire! D’autres ne comprennent pas que je puisse donner de mon temps sans être payée. Mais ce que je reçois en retour vaut plus que de l’argent. Le plaisir d’être utile. Pouvoir améliorer, avec ma seule paire de ciseaux, le quotidien des gens sans rien gagner en retour, c’est quelque chose d’indicible.

Si aujourd’hui j’ai un métier qui me plaît, une vie de famille bien remplie – je suis enceinte de mon deuxième enfant – il m’arrive de me projeter dans l’avenir. Aider mon prochain en Suisse, m’y consacrer totalement, est un rêve que j’espère un jour pouvoir réaliser.

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