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«Accepter que ma fille puisse mourir est impossible»

«Accepter que ma fille puisse mourir est impossible»

La petite Chloé, bientôt deux ans, entourée de ses parents, Adriana et Camil.

© Sophie Brasey

Parfois, je me surprends à penser que je suis en plein cauchemar. Mais non, malheureusement, je ne me réveille jamais. Et la réalité me rattrape à toute vitesse. Pendant six mois, notre merveille, notre petite Chloé, était en parfaite santé. Elle grandissait, souriait, progressait. Puis, quelque chose s’est dégradé, les premiers symptômes sont apparus au mois de juin 2019. Elle ne tenait plus très bien les objets dans ses mains, elle mettait toujours les bras derrière le dos, avait du mal à tenir sa tête. J’avais peur qu’elle ait été blessée. Le pédiatre nous a recommandé de faire des séances de physio. Mais la spécialiste a refusé de la toucher, tout comme l’ostéopathe: toutes les deux avaient l’impression que Chloé souffrait, qu’il valait mieux ne pas la manipuler.

6 mois pour un diagnostic

C’est alors qu’a commencé notre long périple à l’hôpital. Alors qu’il faut habituellement quelques semaines pour obtenir un diagnostic, nous avons dû patienter durant six interminables mois. Le neurologue de Bienne a décelé de minis taches blanches sur l’IRM, il nous a envoyés à Berne. Chloé a alors subi un nombre impressionnants de tests durant toute une semaine. Mais ensuite, les résultats n’arrivaient pas. On nous a finalement rappelés pour effectuer d’autres analyses, une ponction lombaire et une biopsie de la peau. Les jours passaient sans que nous ayons la moindre nouvelle. Puis à trois reprises, nous avons dû retourner à l’hôpital pour une prise de sang, car ils avaient trop tardé avant de l’envoyer au laboratoire de Zurich. Pour finir, nous avons pris nous-même notre voiture pour faire le trajet et amener les échantillons de Chloé. C’était invraisemblable.

Ces 6 mois dans l’incertitude étaient horribles. La voir subir tout cela nous brisait le cœur, c’était atroce.

Pour chaque prise de sang, il fallait piquer Chloé 4 à 5 fois, ils essayaient partout, sur tout son petit corps. Un véritable déchirement. Elle a enduré plus de tests que moi durant toute ma vie. Et ça me rend malade qu’autant d’erreurs aient été commises sur un enfant qui ne peut pas s’exprimer, se défendre. En septembre, on était tellement désespérés que l’on a pris contact avec un hôpital à Turin en Italie, à la pointe dans toutes les maladies du métabolisme. On s’y est rendus et on a été très bien accueillis, ils ont effectué deux tests différents. Après deux semaines déjà, ils nous ont donné le résultat. On l’a reçu presque en même temps que celui de Berne, six mois après les premières analyses.

Rester dans le doute était atroce, mais recevoir le diagnostic au téléphone était encore pire. La doctoresse de Berne n’a pas pris la peine de me demander si j’étais au travail ou en voiture lorsqu’elle m’a appelée, elle m’a juste balancé cela comme on annonce quelque chose de totalement banal. Ce n’était pas humain. Et ça a été très dur à encaisser, car au fond de nous, on gardait l’espoir que ce soit une autre maladie, une affection qui ne serait pas mortelle. Chloé souffre de la maladie de Krabbe, un trouble génétique rare et fatal. L’espérance de vie est de 2 à 3 ans, elle fait perdre aux enfants tous leurs acquis. Mon mari et moi sommes tous les deux porteurs sains, nous avons le même défaut génétique. C’est tellement rare! Nous n’en avions aucune idée, il n’y a aucun antécédent dans nos familles. Et il y avait seulement une chance sur quatre d’avoir un enfant comme Chloé: elle a pris les deux mauvais gênes. C’est comme gagner au loto, mais dans le mauvais sens du terme. On ne se pose plus la question de savoir pourquoi cela nous arrive à nous, ça nous rend malade et ça ne sert à rien. On essaie d’avancer, on se bat. On doit vivre le moment présent, car on ne sait jamais à quoi ressemblera le jour suivant.

Cette terrible maladie est très peu connue en Suisse. Aucune solution nous a été proposée, c’est comme si on nous avait dit: «C’est comme ça, votre fille va mourir. Il n’y a rien à faire, rentrez à la maison.» C’est tellement déchirant! En tant que parents, il nous paraissait impossible de ne rien faire, de ne rien tenter pour Chloé.

Via Facebook, j’ai découvert un groupe dédié aux parents des enfants atteints de la maladie. C’est par ce biais que j’ai pu demander conseils, trouver du soutien. Nous aimerions mettre plusieurs thérapies en place pour Chloé, c’est dans cette optique que nous avons lancé une demande de fonds via notre site Internet. Dans quelques mois, notre fille pourra faire partie du projet de recherche expérimentale mené par la société Apteeus à Lille. Le but est d’identifier une molécule permettant de traiter la maladie. Mais cela a un coût: plus de 100’000 fr.

Elle mérite tellement que l’on tente tout, c’est notre championne, notre combattante. Il n’y a pas d’autres options possibles: il faut continuer, se battre.

Se mettre ainsi en avant sur la Toile, raconter notre histoire n’est pas quelque chose de facile pour nous. Mais cela devenait de plus en plus difficile de croiser des gens dans la rue qui nous demandait comment allait Chloé, si elle parlait, marchait désormais. Leur répondre «Non, elle ne va pas bien, sa vie est engagée» était au-dessus de nos forces. Comment aborder un tel sujet? Dévoiler le combat que nous menons sur Internet nous a semblé être une bonne option. Je ne connais aucun autre cas en Suisse, mais ce site nous permet aussi de tendre la main à une famille qui pourrait traverser la même épreuve et se sentir seule.

Trois vies qui basculent

Mentalement, physiquement, Chloé a besoin de nous 24 heures sur 24. Nous ne dormons pas beaucoup, nos nuits sont agitées. Notre quotidien a été totalement bouleversé. On est passé par toutes les émotions: on était transportés de joie à sa naissance, soulagés d’avoir un enfant en pleine santé. On avait plein de rêves, on faisait des projets. Et tout a été remis en question, six mois plus tard seulement. Plus rien ne sera jamais comme avant.

Ce n’est pas facile de demander de l’aide, de déléguer certaines choses. Chloé ne peut pas parler, mais en tant que parents, on la comprend, on sait exactement ce dont elle a besoin. Il suffit qu’elle fasse un petit geste de la main ou qu’elle émette un son pour que l’on décrypte le message. Le lien qu’il y a entre nous est tellement fort. Parfois, je m’interroge sur la façon dont on arrive à avancer encore. Cela demande tellement d’énergie. Entre les soucis, les moments de désespoir, toutes les démarches à entreprendre… La peur ne me quitte jamais, je la ressens dans mon corps. On sait ce qui nous attend, on essaie de s’y préparer, mais c’est impossible. On fait tout ce qui est en notre pouvoir pour repousser l’échéance au maximum. Perdre son enfant, c’est probablement la pire épreuve que l’on puisse traverser.

Parfois on se sent à bout, exténués, on n’en peut plus. Mais il suffit de la voir pour être à nouveau dans la bataille: elle n’a rien demandé et nous donne tellement d’amour.

Via le site et les réseaux, nous recevons beaucoup de messages. Ça nous touche énormément et nous donne de la force. On était tellement dans notre bulle, coupés du reste du monde. On voulait la protéger. Mais on est sorti de notre zone de confort, on l’a fait pour Chloé. Elle mérite que l’on parle d’elle, de notre petite lionne et de sa force incroyable. C’est elle qui nous montre le chemin.

Nous nous battons également pour que la maladie de Krabbe fasse partie du dépistage néonatal, effectué sur chaque nouveau-né au quatrième jour de vie. Car si l’on constate très tôt que le bébé est atteint, une transplantation de moelle osseuse ou de cellules souches peut lui sauver la vie. Chloé n’a pas eu cette chance, mais nous ferons le maximum pour l’offrir à d’autres enfants. Et éviter ainsi à d’autres familles de traverser le calvaire que l’on vit aujourd’hui.

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