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Interview

Ce que le porno nous apprend sur notre société

Ce que le porno nous apprend sur notre societe

«La fiction pornographique est clairement la fiction la plus consommée aujourd’hui, elle écrase tout, la littérature, les séries… les porn studies, en s’emparant de cette matière, peuvent ainsi nous apprendre énormément de choses sur la place de la sexualité dans notre société», partage Sébastien Hubier, auteur de Pornologie (Ed. du Murmure).

© Dainis Graveris / Unsplash

Oser amener le porno sous la loupe des chercheurs en sciences humaines. Tel est le credo de Sébastien Hubier, professeur en littérature comparée et études culturelles à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Dans son essai, Pornologie (Ed. du Murmure), le Français invite le monde de la recherche européenne à davantage s’intéresser aux porn studies, beaucoup plus populaires dans les universités anglo-américaines.

L’enjeu? PornHub, Xhamster et autres YouPorn peuvent être, pour les sociologues, les psychologues et même les philosophes, un terrain d’étude sans équivalent pour explorer la place de la sexualité et du genre dans nos sociétés. Entretien.

FEMINA Pourquoi avoir voulu écrire un ouvrage sur ce thème?
Professeur Sébastien Hubier:
L’idée m’est venue à l’issue d’un cours de master sur cette thématique. Je me suis rendu compte que la plupart des sources disponibles étaient anglo-américaines, ce qui paraît finalement curieux pour un sujet concernant tous les pays. Les porn studies sont, aujourd’hui, clairement minoritaires dans nos contrées. On recense quelques travaux statistiques depuis ces dernières années, mais le discours philosophique, sociologique ou littéraire ne s’est pas encore emparé du sujet du porno de façon importante.

Comment expliquer que les porn studies soient apparues dans ces régions, alors qu’elles figurent parmi les pays où la politique est la plus hostile au porno?
Ces travaux ont d’abord émergé en Angleterre, avant de se diffuser aux Etats-Unis, se développant sur le terreau fertile des études culturelles apparues dès les années 60. On pense que ces pays sont plus hostiles aux représentations de la pornographie, pourtant ils s’avèrent bien plus ouverts aux porn studies que nous. Eux n’ont pas de complexes à se lancer dans des travaux académiques sur de tels contenus.

Aux USA, la prestigieuse université de Berkeley, grand centre historique d’émancipation, avait par exemple commencé il y a longtemps à montrer des films pornos aux étudiants pour déconstruire leurs réactions. En revanche, en Europe continentale, il y a un certain rejet des genres perçus comme non nobles, parmi lesquels la BD, les séries TV et toute la culture pop en général. Les chercheurs ne s’intéressent qu’aux textes érotiques dits sérieux, d’une certaine valeur littéraire. Cela tient sans doute au fait qu’une partie de la critique pense qu’il n’y a rien à dire de ces œuvres trop vulgaires, populaires.

Une erreur, selon vous?
30% du trafic internet mondial concerne le porno en ligne. On enregistre plusieurs milliers de connexions par seconde pour un seul site. La fiction pornographique est clairement la fiction la plus consommée aujourd’hui, elle écrase tout, la littérature, les séries… les porn studies, en s’emparant de cette matière, peuvent ainsi nous apprendre énormément de choses sur la place de la sexualité dans notre société. On remarque au passage que les codes du porno sont déjà, depuis plusieurs années, intégrés à notre quotidien, notamment dans les films grand public. Les films récents d’Abdellatif Kechiche comme La vie d’Adèle, ou encore Love, de Gaspar Noé, témoignent d’une influence très nette. On voit que la pornographie, aujourd’hui, n’est plus cantonnée à des sphères confidentielles et cela en dit beaucoup sur notre monde actuel.

Elle est le reflet de beaucoup de choses réelles, en prise directe avec son temps: le rapport des jeunes à la sexualité, la question du genre, les canons de beauté aussi.

Contrairement à ce qu’on peut imaginer, les porn stars sont souvent plus proches des idéaux physiques de notre époque que le sont les acteurs ou les mannequins mainstream.

Mais est-il possible d’aborder l’étude du porno avec un regard aussi neutre qu’on le ferait avec des sujets plus conventionnels?
Nous avons en effet encore tendance à percevoir ces représentations à travers un fort prisme idéologique et politique, avec un jugement moral hérité des idées du XIXe siècle sur la condamnation de l’indécence et de la pornographie.

On entend protéger les femmes et les enfants, ce qui est une façon de considérer celles-ci comme mineures, sauf que la plupart des constats selon lesquels le porno est nocif et dangereux découlent de croyances et de critères vieux de plusieurs siècles.

Menées avec de tels préjugés, les porn studies peuvent ainsi déboucher sur des condamnations trop expéditives du porno, en grossissant les méfaits au détriment des bienfaits. Pourtant nous disposons de nos jours d’une grande quantité d’informations, de données, qui permettent une étude objective de ces représentations, par exemple via les statistiques exhaustives que publie chaque année la plateforme PornHub.

Justement, que nous apprend le porno actuel sur nos sociétés?
L’acceptation des différences sexuelles, notamment, se voit au fil des décennies, avec une démocratisation des représentations homosexuelles dans de nombreux pays. On voit également que les scènes montrées sont de moins en moins stéréotypées.

Il y a quarante ans, on voyait l’arrivée du réparateur, du plombier, du médecin ou de l’infirmière et puis le sexe commençait. Désormais, les codes et les scénarios sont bien plus variés, démontrant une diversification des goûts et des obsessions, des perversions aurait dit Freud. Cela est évidemment un effet de la globalisation. Les influences de schémas et d’érotisme de plusieurs pays se rencontrent. Les grandes plateformes classées X sont des mondes reproduits en miniature, des microcosmes comprenant tout ce qui existe.

Voit-on néanmoins de grandes tendances se découper, attendues ou plus surprenantes? Les fantasmes du web sont-ils les fantasmes dont on entend parler au quotidien?
Oui, assurément, internet est à la fois le produit et le reflet de notre monde hypermoderne. Dans cette perspective il est naturel que la pornographie qu’on y observe ne soit guère surprenante. C’est pourquoi on y trouve les obsessions majeures de notre époque: la jeunesse (d’où l’importance de toutes les vidéos mettant en scène des teens), l’exotisme sexualisé, la fascination pour les relations de domination ou encore le contrôle permanent des corps et des désirs (d’où la récurrence des vidéos tournées par une caméra cachée ou prétendument cachée).

© Dainis Graveris / Unsplash

Malgré les échanges entre porno et culture mainstream que vous évoquiez, on a quand même l’impression que cet univers demeure tabou?
Ce qui me fait souvent sourire, c’est qu’à écouter les gens, personne ne regarde du porno. Or, les mathématiques tendent plutôt à prouver l’inverse! Il est d’autant plus difficile d’évoquer ce sujet librement en public qu’on assiste à un très net retour à l’ordre moral depuis le début des années 2000. Ce phénomène s’est amplifié progressivement et participe à dépeindre le porno comme un problème, un écueil pour notre société.

On cherche parfois à le contrôler, tantôt pour protéger les jeunes, tantôt par motivation féministe, tantôt pour contrer la violence. Tout ceci part souvent d’une bonne volonté, mais à peu près rien n’est étayé par des études psychologiques solides sur ces problématiques.

Reste quand même la question des enfants: aux Etats-Unis, l’âge moyen pour le visionnage du premier contenu porno est aujourd’hui de onze ans… on comprend qu’il faut justement développer les porn studies pour mieux estimer l’impact potentiel de ces représentations sur les ados.

Certains pays cherchent d’ailleurs à empêcher tout accès au porno par les mineurs et certains politiques incriminent ces contenus parfois au même titre que les jeux vidéo extrêmes.
On a fréquemment relié le porno à la culture du viol dans les discours politiques ou médiatiques. Cependant, les quelques études sur la thématique montrent plutôt le rôle cathartique de la consommation de ces contenus. Sans eux, il est probable que les violences sexuelles seraient plus importantes dans notre société.

Tous ces sujets sont délicats à aborder et, pour un chercheur, il faut savoir passer au-dessus de la connotation scabreuse de ce matériau d’étude. Les criminologues ne sont pas eux-mêmes des tueurs, alors il faut arrêter de croire que les universitaires se penchant sur les porn studies sont des obsédés!

Les 1001 fantasmes du porno

55 Tel est le nombre de thématiques de fantasmes recensées chez les hommes et les femmes, selon une étude canadienne parue en 2014. Enseignement majeur de ces travaux pionniers en la matière: il existe peu de registres rares.

En-dehors des deux fantasmes pathologiques et illégaux que sont la pédophilie et la zoophilie, qui ne se retrouvent que chez 2% des gens, les 53 autres sont tous assez répandus. On apprend ainsi que le sadomasochisme intéresse plus de la moitié des individus et que deux tiers des gens en couple nourrissent des fantasmes sur une autre personne que leur moitié.

Domination masculine Le panel des catégories de fantasmes a beau être extrêmement varié sur le web, une seule thématique obsède la plupart des hommes: la domination de l’autre. Dans un livre paru en 2020, le chercheur Florian Vörös, l’un des rares à se pencher sur les porn studies en France, observe en effet que les internautes masculins recherchent majoritairement des contenus représentant des jeunes femmes ou des jeunes hommes soumis. Un archétype laissant entendre que la virilité demeure un repère cardinal de la sexualité masculine.

Le plan à trois avec un couple semble être un fantasme beaucoup plus répandu chez les femmes: on le retrouve chez 56% d’entre elles, tandis que moins d’un homme sur six en rêve. En revanche, l’idée d’un trio avec deux femmes excite 84% de ces messieurs, quand faire l’amour avec deux hommes n’émoustille que 30% des femmes.

96% des femmes déclarent avoir des fantasmes, et 80% de celles-ci souhaiteraient en réaliser au moins un, constate une enquête Ipsos menée en 2020. Parmi les thématiques les plus souvent évoquées? Coucher avec une autre femme, se faire dominer ou encore observer d’autres personnes faire l’amour.

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