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Enquête

Un enfant? Non merci!

Dossier femmes qui ne veulent pas denfant

Les trentenaires, considérées comme pile-poil dans la fenêtre de tir idéale pour enfanter et qui osent dire non merci sont loin de recueillir le soutien enthousiaste de leurs proches.

© Julia Caesar

Ces mots, ces phrases, elles ont l’habitude de les entendre. On les traite «d’égoïstes», «d’inconscientes», on leur promet qu’elles «vont changer d’avis» ou que, plus tard, elles le «regretteront». Droites dans leurs bottes, sûres de leur fait, ces femmes, trentenaires pour la plupart, en ont gros sur le cœur. Elles aimeraient bien qu’on les laisse tranquilles, elles et leurs utérus en parfait état de marche. Leur tort? Affirmer que la maternité n’est pas un passage obligé et que non, avoir un enfant ne fait pas partie de leur projet de vie.

En Suisse, où le taux de fécondité oscille autour d’un enfant et demi par femme, où le vieillissement de la population s’accélère et où le pilier de la patrie reste encore et toujours la famille, se refuser à procréer passe mal.

Un phénomène non marginal

Pourtant, le nombre de femmes sans enfants est loin d’être marginal. Selon la dernière enquête sur les familles et les générations, menée en 2013 par l’Office fédéral de la statistique, 20% des femmes âgées entre 50 et 59 n’ont pas d’enfants. Ce taux grimpe même à 30% chez celles qui ont fait des études supérieures. Ces chiffres prennent bien sûr en compte l’infécondité subie des childless (aléas de la vie, problème de fertilité…) et l’infécondité choisie des childfree (celles qui l’ont décidé), selon les termes un peu barbares des spécialistes de la démographie.

Ces chiffres sont préoccupants mais néanmoins peu surprenants, selon Claudine Sauvain-Dugerdil, professeure honoraire en démographie de la famille à l’Université de Genève. Auteure, l’an dernier, d’un article scientifique intitulé Une vie florissante sans enfants? Le cas de la Suisse, elle précise que, dans cette même enquête, «seules 8% des femmes dans la tranche des 25-29 ans déclarent ne pas vouloir d’enfant. Par ailleurs, je suis sceptique sur le fait qu’on puisse être si catégorique si jeune. Le phénomène est très présent en Suisse, mais n’augmente pas, contrairement à nos voisins de langue allemande et d’Europe du Sud chez lesquels les niveaux d’infécondité sont par ailleurs les plus élevés.» La tendance est stable donc, mais la pression ne faiblit pas sur celles qui revendiquent ce choix.

Infécondité choisie

À 36 ans, Lucie, cheffe d’entreprise et bien dans ses baskets, ne se voit pas mère: «Une femme n’est pas un monstre parce qu’elle n’a pas d’enfants!» Des remarques, des questions, la Vaudoise, qui est en couple depuis quatorze ans, en entend sans cesse: «Je dirais que ça a commencé autour des 25 ans, quand nos amis ont commencé à fonder des familles. De mon côté, je n’en ai jamais eu envie, je n’ai jamais ressenti de besoin au fond de moi. Petite, je me voyais travailler, voyager, faire du sport. C’est exactement la vie que je mène aujourd’hui.»

«Je suis très heureuse ainsi et mon ami est comme moi. Ce qui est drôle, c’est que ses copains lui disent souvent qu’il a de la chance d’avoir une copine qui ne lui met pas la pression avec son désir d’enfants.»

A 35 ans, Sabrina refuse elle aussi d’être mère: «Rien ne me fait envie là-dedans. Porter le bébé, attendre avec les autres mamans à la sortie de l’école, les goûters d’anniversaire, l’adolescence dans un monde aussi hostile… j’ai déjà du mal à trouver la sérénité et je ne me vois pas fourguer mes névroses à un être qui devra les éponger.»

Pour d’autres, c’est carrément une évidence. Christine, 48 ans, vétérinaire, ne s’est ainsi tout simplement pas posé la question: «Ça n’a jamais été une priorité, ça ne m’a jamais fait envie ni suscité de réflexion profonde. Petite, je n’ai jamais voulu de poupée alors que j’avais une ribambelle d’animaux en peluche. Cet état d’esprit a fait qu’instinctivement, je me suis entourée de gens qui pensent comme moi, qui ne m’ont jamais mis la pression.»

Désir d’enfant… ou pas

Car, oui, certaines femmes n’éprouvent tout simplement jamais l’envie de donner la vie. Ainsi, Simone de Beauvoir, à travers la phrase emblématique: «On ne naît pas femme, on le devient», tentait d’enterrer, comme quelques années après elle Élisabeth Badinter, la notion d’instinct maternel. Isabelle Tilmant, psychothérapeute clinicienne belge et auteure du livre Une vie sans enfants, le bonheur est possible (Ed. De Boeck Supérieur) n’est quant à elle pas aussi catégorique que ces deux figures du féminisme:

«Chez certaines femmes, le désir d’enfant est très présent, depuis toujours, comme un appel physique. D’autres n’ont absolument pas ce ressenti. C’est compliqué de décider si cette envie fait partie de l’inné ou de l’acquis.»

Désir de liberté, angoisse de la maternité… les raisons de ne pas vouloir devenir mères sont aussi multiples que personnelles. Claudine Sauvain-Dugerdil, ajoute que «certaines femmes ont peur de ne pas être à la hauteur. À notre époque, les parents mettent la barre très haut au niveau éducation. Il faut réussir partout. Être une bonne mère, performer dans son job. Pour des femmes citadines qui ont fait de longues études, il y a d’autres choix.» Cette pesante injonction de réussite est également évoquée par Isabelle Tilmant: «L’engagement des parents n’a jamais été aussi intense. Ils sont épuisés. C’est un burn-out généralisé. Or, être parents, c’est désormais être éducateur à temps complet, même dans les activités de loisirs.»

Au final, peu importent les raisons évoquées. Les trentenaires, considérées comme pile-poil dans la fenêtre de tir idéale pour enfanter et qui osent dire non merci sont loin de recueillir le soutien enthousiaste de leurs proches. À 27 ans, Emmanuelle sent déjà «cette pression de la part, non seulement de mon entourage, mais de la société en général.»

«Ces pressions sont injustes car elles culpabilisent énormément. Ça me met mal à l’aise, d’autant qu’elles viennent de personnes qui, souvent, ne connaissent rien de moi.»

Fécondité au centre

Pour Anne Gotman, sociologue, chercheuse au CNRS et auteure de Pas d’enfant, la volonté de ne pas engendrer (Éd. de la Maison des sciences de l’homme), le mauvais accueil fait au refus de la maternité est «lié à la question de la fécondité, qui a toujours été quelque chose de fondamental. Les premières sculptures de l’humanité représentent des déesses de la fécondité. Par ailleurs, dans les religions, la principale punition que Dieu peut infliger à une femme, c’est de la rendre stérile.» Si le sentiment individuel du no kids a toujours existé, il trouve aujourd’hui un écho avec l’effet de groupe sur les réseaux sociaux, comme par exemple, le compte Instagram @bordel.de.mere, qui reprend des posts autour du poids de la charge mentale maternelle et de l’injonction d’être mère.

Aux États-Unis, le mouvement childfree donne la parole tant aux modérés, qui revendiquent de pouvoir faire leur choix en toute sérénité, qu’aux extrémistes, qui prônent carrément la création de zones interdites aux personnes avec enfants. Plus récemment, actu oblige, le dérèglement climatique et la surpopulation de la planète ont également été avancés par des adultes refusant de mettre des enfants au monde dans ce chaos annoncé. Pour Anne Gotman, les raisons politiques ont toujours existé et n’ont jamais fait drastiquement chuter la courbe de la natalité «On a eu un précédent au moment de la guerre froide, quand planait le risque d’une menace atomique: on ne voulait pas d’enfants promis à un hiver nucléaire. Ce type d’arguments est présentable, car il n’est pas égoïste mais il n’est souvent pas la raison première.»

Pour la sociologue, «une norme de la reproduction existe, qu’on la trouve légitime ou non. Toutefois, il faut que celles qui y dérogent ne soient ni maltraitées ni stigmatisées.»

Et les hommes alors?

Si les femmes en âge de procréer subissent remarques et injonctions, il n’en est pas de même pour les hommes, qui semblent jouir d’une relative tranquillité. Bastien, 36 ans, marié depuis un an, avoue que rares sont ceux qui lui posent la question d’une paternité future. Son choix de ne pas être père, le jeune homme passionné de voyage ne le voit pas comme une posture égoïste: «J’ai une vision très consciente de ce que ça demande. Je sais que c’est énormément de travail et qu’il faut mettre la barre assez haut. Ce que je trouve égoïste, ce sont les pères qui ne s’investissent pas et qui laissent tout le poids des responsabilités à l’autre. Je n’ai pas envie de me dire que je vais entièrement me reposer sur ma nana, qui n’en a pas plus envie que moi d’ailleurs.»

Jean-Marie LeGoff, maître d’enseignement et de recherches à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne, explique: «Longtemps, dans la famille, le rôle de l’homme était réduit à celui de gagne-pain. Il s’impliquait peu dans l’éducation des enfants. La pression était du côté des mères. Avec le travail des femmes et une répartition plus égalitaires des tâches, son rôle a évolué.»

Plus au clair des responsabilités que le fait de devenir père entraînent, les hommes aussi revendiquent leur choix, comme le souligne Anne Gotman: «Le rôle des parents est devenu tellement lourd, tellement exigeant, qu’il en décourage plus d’un, homme comme femme. Le métier de parents subit une énorme pression.» S’il n’est, contrairement à la femme, pas soumis à l’horloge biologique, l’homme évolue dans ses sentiments:

«Alors que les femmes ont toujours eu un rapport affectif avec la maternité, les hommes l’ont longtemps associée à la transmission. Aujourd’hui, leur vision est plus proche de celle de la femme», précise la psychothérapeute Isabelle Timant.

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