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«Quiet quitting»: faut-il démissionner silencieusement pour être heureux-se?

Quiet quitting faut il demissionner silencieusement pour etre heureux se

«J’identifie le quiet quitting comme une sorte de démission intérieure, mais je fais la distinction entre la démission silencieuse - soit un désinvestissement - et la démission intérieure où la personne a décidé de quitter l’entreprise pour laquelle elle travaille.» - Nadia Droz, spécialiste en santé au travail

© GETTY IMAGES/WE ARE

Un post sur notre feed, puis deux, puis trois. Et l'évidence, en cette rentrée 2022, dans un monde post-Covid à l’horizon noir, le terme quiet quitting est omniprésent. Sur TikTok, la démission silencieuse, soit l’envie de ne plus tout donner à son travail au risque de perdre sa santé mentale, génère des millions de vues. Apparu dans une Amérique au marché du travail global fort, le verbe n’en finit pas d’intéresser les médias anglo-saxons. Si le Guardian titrait le 12 août, «Quiet quitting, pourquoi faire le minimum au travail est devenu global», le Wall Street Journal, décryptait, plus pédagogue, «Si vos collègues sont en train de démissionner silencieusement, voilà ce que vous devez savoir».

En peu de temps, le quiet quitting a gagné l’Europe comme une traînée de poudre, avec, à ses trousses, des employé-e-s en quête de sens et avides d’ajuster leur balance vie privée-vie pro. En cette rentrée 2022, on s’interroge si ce phénomène se retrouve aussi dans notre pays bordé par une France où une démission est donnée toutes les quatre minutes depuis le début de l’année (source: Dares, Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques), du jamais vu depuis 2008. Un pays voisin qui voit également 42% de ses moins de 35 ans envisager de quitter leur emploi, et qui se demande en Une de Society; «Et si on ne retournait pas au travail?»

De notre côté, on voit dans le quiet quitting une forme positive de lâcher-prise, ou mieux: une pensée midalienne, soit une bonne raison de se ficher la paix au boulot. Alors concrètement, est-ce que remplir grosso modo son cahier des charges suffit à retrouver le bien-être au travail? On a posé la question à Fabrice Midal, philosophe et auteur, entre autres, de Foutez-vous la paix et commencez à vivre (Éd. Flammarion) et à Nadia Droz, psychologue FSP, spécialiste en santé au travail et co-autrice de Burnout, la maladie du XX siècle (Éd. Favre).

Stratégie de survie

Dans une vidéo postée sur TikTok, un utilisateur américain dénommé Zaiad Khan résume ainsi le quiet quitting: «Vous remplissez toujours vos fonctions, mais vous n’adhérez plus mentalement à la culture de l'agitation selon laquelle le travail doit être toute notre vie.» À cela, une autre utilisatrice du réseau commente son vécu:

«J’ai démissionné silencieusement il y a six mois, et devinez quoi? Même salaire, même reconnaissance, mais moins de stress.»

Depuis son observatoire parisien, Fabrice Midal corrèle l’agenda de la rentrée également au manque de reconnaissance des managers envers leurs équipes: «Je sens un épuisement profond, souffle le philosophe. Beaucoup de gens, rentrant de vacances, sentent une forme d’angoisse de ne plus pouvoir répondre à ce qu’on leur demande. Il y a derrière ces questions, celle du manque profond de considération.»

Pour Nadia Droz, spécialiste en santé au travail installée à Lausanne, le terme de quiet quitting est à ranger dans la famille de la grande démission (ou big quit) observée aux États-Unis depuis le début de la pandémie de Covid (41 millions d’Américains ont quitté leur job en 2021, ndlr). «J’identifie le quiet quitting comme une sorte de démission intérieure, explique la psychologue FSP, mais je fais la distinction entre la démission silencieuse - soit un désinvestissement - et la démission intérieure où la personne a décidé de quitter l’entreprise pour laquelle elle travaille, mais reste en attendant de trouver un autre poste.»

Si Nadia Droz n’observe pas de claire utilisation du terme quiet quitting lors de ses consultations, ou de big quit version helvétique, elle constate néanmoins que le souhait de mettre à distance la pression professionnelle «apporte à l’employé-e une stratégie individuelle de protection, une sorte de mantra du type je m’en fous, je pars, utile à calmer le surinvestissement. Même son de cloche pour l’écrivain Fabrice Midal qui alerte sur la charge de travail oppressante mise sur les collaboratrices et collaborateurs:

«Le quiet quitting correspond à une stratégie de survie dans un monde où la pression devient insoutenable, où les êtres humains se sentent de plus en plus instrumentalisés et interchangeables.»

En outre, pour l’auteur de Comment rester serein quand tout s’effondre (Éd. Flammarion), l’enjeu principal dans le monde du travail d’aujourd’hui est de «réussir à ne pas répondre à toutes les formes de pression qui ne cessent de se multiplier et menacent notre santé physique et mentale.»

Relâcher la pression

Toutefois, il convient de se poser la question de ce qui est abandonné en appliquant le quiet quitting: «La passion pour son travail? Cela serait dommage, concède Fabrice Midal. Ou la pression qui nous détruit? C’est là, en revanche, un acte nécessaire.»

Alors, est-il possible d'appliquer le quiet quitting et de faire baisser notre taux de cortisol, tout en gardant l'étincelle pour son poste? Pour le philosophe, c'est le cas: «Ce qui me semble nécessaire, c’est d’arriver à repérer comment la pression nous envahit: on peut ressentir un sentiment d’impuissance, de culpabilité, une submersion d’émotions, ou au contraire ne plus trop ressentir de lien au monde», détaille le philosophe, même si celui-ci rappelle avec bienveillance que la perception et la gestion du stress sont différentes pour tout le monde.

Aux personnes qui ne savent pas dire non aux heures supplémentaires et qui sont séduites par le quiet quitting, Nadia Droz, suggère, comme Fabrice Midal, de s’interroger: «Pourquoi suis-je si surinvesti-e?

«Qu’est-ce qui m’amène à me sentir proche de cette démission silencieuse?

Avec ce mindset, ressens-je un confort instantané ou un mal être profond?» Si le malaise persiste, la spécialiste en burnout note qu’il s’agit souvent d’un contexte de travail qui présente plus de facteurs de contrainte que de ressources, ou alors un problème de valeurs, et suggère aux personnes concernées de se questionner une fois de plus: «Mes valeurs sont-elles en désaccord avec celles de l’entreprise pour laquelle je travaille?»

Applicable sur une durée limitée?

Ainsi, le phénomène du quiet quitting, ou le néo-présentéisme, s’inscrit dans une société qui se situe au croisement d’un contrecoup pandémique et d’une révolution du travail insufflée par l’essor du télétravail, avec en background, la crise climatique. Néanmoins, il semble souvent pouvoir s’appliquer uniquement dans une durée limitée, pour le mieux-être personnel comme celui du collectif: «Dans le cas d’une démission silencieuse, les gens sont physiquement au travail, mais en termes de motivation, il n’y a pas grand monde, nuance Nadia Droz. Pour l’employeur, la stratégie s’avère dommageable, car la productivité est mauvaise.»

Plus «complexe» que le projet de démission, l’état d’esprit du quiet quitting s'avère être un puits de questionnements de sens nécessaires (valeurs, investissement, considération, ambition, salaire, etc.), et une béquille psychologique pour aider à retrouver une juste place qu’on souhaite donner au travail.

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