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L'hyperémotivité: comment la reconnaître pour mieux la vivre

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«Durant la crise sanitaire, des personnes d'apparence calme et joyeuse ont pu se rendre compte qu'elles avaient mis en place un perfectionnisme extrême afin de conjurer leur hyperémotivité et un potentiel sentiment d'effondrement. [...] Mais la volonté de bien faire, afin de ne pas souffrir ou faire souffrir, finit par s’apparenter à une sorte de prison.» - Virginie Megglé, psychanalyste et auteure de Hyperémotifs: Survivre à la tempête intérieure (Ed. Eyrolles)

© iStock / Getty Images Plus

FEMINA Comment savoir si l’on est hyperémotif (et non juste «émotif»)?
Virginie Megglé
Le plus souvent, cet état d'être nous apparaît par le biais de notre relation aux autres. En effet, une personne hyperémotive se sent régulièrement débordée par ses émotions, parfois sans cause apparente. Par exemple, le fait d'être confrontée à un simple refus pourra, selon son histoire personnelle, susciter un effondrement. Et bien que cela lui semble normal, puisqu'elle le ressent ainsi, la personne en face d'elle ne comprendra pas toujours ce soudain bouleversement. Son entourage peinera à saisir l'intensité de ses émotions, ce qui tendra à créer un hiatus entre elle et les autres. Ces fortes émotions, qu'elles soient négatives (inquiétude, peur, colère, tristesse) ou positives (joie, enthousiasme) risquent donc également de s'avérer débordantes pour l'entourage.

On parle beaucoup d'hypersensibilité, aujourd'hui. Quelle est la différence avec l'hyperémotivité?
C'est un point très important, car les deux sont bien distinctes. On peut être hypersensible sans être hyperémotif, et vice-versa. Il est vrai que l'hyperémotivité surgit souvent sur un terrain d'hypersensibilité, mais cette dernière se traduit différemment. Elle correspond à une extrême finesse de perception et se caractérise par de l’hyperesthésie (le fait d'avoir des sens très aiguisés) qui nous donne à ressentir tout avec acuité. Elle peut être source de plaisir, et donc un atout. Or, l'hyperémotivité est presque toujours plus difficile à vivre, car elle nous perturbe, nous envahit. Elle possède un côté plus névrotique, que l’on ne doit surtout pas se reprocher, car il ne s'agit pas de pointer un défaut, mais de prendre en compte une réalité; la nôtre.

En quoi la crise a-t-elle pu exacerber ou révéler l'hyperémotivité de certaines personnes?
Certaines personnes se savent animées depuis toujours d’une émotivité très forte, mais l'assumaient jusque-là grâce à une évidente confiance en elles et, le plus souvent, une grande ambition bien assumée. Leur hyperémotivité ne leur semblait pas un obstacle. Il est vrai que celle-ci est moins encombrante lorsqu'on la vit essentiellement dans la joie. Ou qu’elle est portée par l’enthousiasme. Mais le début de la crise sanitaire a marqué l'arrivée de la peur, la plus dramatique des émotions. Cette période l’a révélée à différents niveaux. Le surgissement d'un élément inconnu, déstabilisant, a suscité des peurs inhabituelles au quotidien comme de celle de contaminer ses proches, ou celle de se mettre dans son tort.

Depuis le début de cette période, un rien suffit à ébranler les personnes hyperémotives: tout est mis à vif, rendant leurs relations plus difficiles. Elles se sentent devenues plus vulnérables.
© Joshua Rawson Harris / Unsplash

Que font généralement personnes hyperémotives, face à la peur?
On observe souvent une forme de déni ou de négation. La peur est dans un premier temps peu avouable et rarement avouée. On se convainc que rien n’est grave et on préfère agir comme si l'émotion n'existait pas. On la refoule, on la retient, on veut absolument prouver qu'on ne la ressent pas. C'est presque systématique: le mot «peur» suffit à effrayer au point que l’on met tout en œuvre pour la nier.

Mais cette volonté absolue d'éviter l'émotion crée comme une prison mentale et, tôt ou tard, les émotions niées se vengent. Et resurgissent plus violentes.

Alors comment faut-il réagir, face à la peur, sans la nier et sans la laisser nous paralyser complètement?
Tout d’abord, en l'accueillant et en acceptant qu'un élément ou une situation nous a effrayés ou angoissés. Cette peur nous coupe temporairement dans nos élans vitaux, nous affaiblit, nous pousse à nous retirer, pour nous protéger. Chacun ne la vit pas de la même manière et, en ce sens, il est important de reconnaître ce qui l'a provoquée, en toute subjectivité. Puis, plutôt que d'essayer de la nier ou même de l'analyser, il convient de prendre un moment pour l'observer, prendre soin de soi, retrouver tous ses moyens. Sur le moment, il ne sert à rien de se dire qu'on n'a aucune raison d'avoir peur car, comme l'enfant craignant de trouver un alligator dans son placard, nous sommes persuadés que le danger est réel. Reconnaître avant toute chose le choc produit par notre émotion encourage à la clémence envers soi-même et aide à récupérer de bonnes forces.

Dans votre ouvrage, vous précisez que l'hyperémotivité peut être favorisée, renforcée ou entretenue par certaines expériences. Elle n'est donc pas forcément innée?

Non, elle peut effectivement être provoquée par certains événements de la vie, qui créent un terrain de fragilité. À nouveau, on constate la différence avec l'hypersensibilité qui peut être innée. L'hyperémotivité, à l'inverse, est presque toujours liée à un trauma, qu'il soit conscient ou non, et s'ancre souvent dans l'enfance.

Vous consacrez un chapitre aux personnes hyperémotives qui nient leurs émotions. Comment reconnaître ce comportement?
Le déni est vraiment de l'ordre de l'inconscient. D'une certaine façon, dès le moment où l'on réalise qu'on est dans le déni, on en sort. C'est à partir de là que l'on peut avoir accès aux motivations inconscientes qui provoquent l'hyperémotivité. Le déni apparaît souvent chez des personnes qui, durant l'enfance, ont été inconsidérées, soumises à des règles excessives ou ayant vécu des situations intenses et des traumatismes. Adultes, elles se protègent en général derrière une hyper-maîtrise d’elle-même, qui rend les imperméables aux émotions des autres et leur permet de s’imposer. Il est inutile de leur souligner leur déni, car elles prendront un malin plaisir à prouver qu'elles ne ressentent rien. Tout en se jouant de votre propre émotivité.

Quelles sont ces motivations inconscientes?
Ce sont des émotions ou des sensations qui ont été refoulées car elles nous mettaient en difficulté. Nous avons eu alors recours, par réflexe de protection, à des mécanismes de défense dans l’espoir de les dissimuler et même de les juguler. Ces mécanismes de défense interviennent spontanément chaque fois que l’on est ébranlé. Mais la peur, la honte, ressenties continuent à agir à notre insu et à motiver notre comportement. C’est ainsi que l’on emprisonne notre hyperémotivité et que l’on porte atteinte à notre organisme tant psychique que physique.

Par la suite, un peu comme avec la boîte de Pandore que l’on n'ose ouvrir, on craint d’aller voir ce que recèle notre inconscient. Pourtant, c'est en l'ouvrant que l'on découvre les raisons pour lesquelles on feint de ne pas avoir mal, de ne pas avoir peur. C’est alors que l’on peut entamer un chemin de métamorphose vers l’apaisement.

Mais alors faut-il plutôt vivre ses émotions à fond?
Les personnes qui osent les ressentir à fond, sans les nier, témoignent d'une volonté de s'en libérer. C’est un premier pas! Les larmes par exemple, qu’elles soient de chagrin ou de joie, sont précieuses pour cela, vraiment libératrices. Elles sont l'un des meilleurs moyens dont nous disposons pour nous soulager d’un trop plein d’émotivité, qu’elles permettent d’extérioriser.

En revanche, l’expression affichée de l’hyperémotivité n’est pas toujours libératrice: elle peut répondre par exemple à un rôle attribué au sein d'une famille ou d'un groupe. La personne hyperémotive devient celle dont on attend les explosions de joie ou les cris d’effroi. L’expression de son émotion répond à un automatisme sur commande qui l’emprisonne. Elle finit par s'y habituer, comme on s'habitue au stress, pour finalement ne plus le prendre en compte.

© Cassidy Phillips / Unsplash

Pourquoi l’hyperémotivité peut-elle provoquer d’autres difficultés, telles que le perfectionnisme excessif ou l’angoisse?
La question du perfectionnisme m'est apparue durant la crise sanitaire: des personnes d'apparence calme et joyeuse ont pu se rendre compte qu'elles avaient mis en place un perfectionnisme extrême afin de conjurer leur hyperémotivité et un potentiel sentiment d'effondrement. Au plus elles se sentaient stressées sans pouvoir l’avouer au plus leur perfectionnisme se faisaient tyrannique. La volonté de bien faire, afin de ne pas souffrir ou faire souffrir, finit par s’apparenter là encore à une sorte de prison. C'est alors que pointe le déni, puisqu'on fait tout pour enrayer les situations pouvant créer des émotions vives.

Il faut ouvrir les barreaux pour les laisser s’exprimer et savoir qu'on parviendra à les gérer. C'est un démarche de soin de soi qu'on peut poursuivre seul, ou avec l'aide d'un.e thérapeute.

Que diriez-vous aux personnes qui se sont reconnues dans vos propos et se sentent un peu bouleversées?
Et oui, lorsqu'on découvre son hyperémotivité, la première réaction sera... hyperémotive. Mais il est toujours préférable d'en avoir conscience, de se poser des questions: après tout, l'hyperémotivité nous renseigne sur quelque chose qui existe ! On apprend à respecter nos besoins vitaux, à écarter ce qui peut nous ébranler. Par exemple, on cesse de regarder des films d'horreur, car on sait que cela ne nous convient pas. Il ne s'agit pas de guérir, mais de mieux vivre: on se préserve, sans se convaincre que tout va bien. On n’essaie pas de s’insensibiliser en affirmant «même pas mal». On reconnait son fonctionnement, on pense en termes d'équilibre et d'harmonie. Cela implique un travail sur soi et le fait d'apprendre de nouveaux gestes, de nouveaux rapports, demande évidemment de la patience.

C'est un chemin de découverte et de soin de soi qui débute et ne finit pas. Mais de plus en plus plaisant, car il facilite notre relation au monde.

Et la douceur est-elle l’antidote à l’hyperémotivité?
Oui, je dirais qu'il faut accepter de la recevoir. Mais ce n'est pas facile dans nos sociétés qui ont tendance à créer des contextes de tensions et de pressions. Justement, apprendre à mieux vivre son hyperémotivité, ce n'est pas s'endurcir encore plus, mais cultiver la douceur pour acquérir de nouvelles protections. L'accueillir et l'accepter, c'est s'accorder le soin qui nous a manqué enfant, aller à la source de ces émotions fortes et mieux développer notre puissance.

À lire:

Hyperémotifs: Survivre à la tempête intérieure, de Virginie Megglé (Ed. Eyrolles), sortie le 2 septembre 2021.

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