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Interview

Les mots de la violence

Les mots de la violence conjugale interview valeria salome

«La violence reste un des langages privilégiés de la peur. Dans le cas de l’auteur de la violence conjugale, il peut y avoir une ressuscitation possible de la violence au travers de la peur de l’autre.»

© Getty

Début mars 2020, comme s’il avait pressenti la crise, le psychosociologue et écrivain français Jacques Salomé publiait un ouvrage consacré aux violences domestiques, co-écrit avec son épouse Valeria. Intitulé Violences conjugales: ce sont aussi des mots (Ed. Hugo), le livre aborde les paroles toxiques qui, par accumulation, peuvent engendrer une grande souffrance psychique et créer un terrain favorable aux violences physiques. Alors que les partenaires sont excédés et fragilisés par l’incertitude qu’impose la situation actuelle, les peurs sont exacerbées, les angoisses ressuscitées. La porte s’ouvre alors au genre d’attaques verbales dont peut naître la violence. A l’aube du déconfinement, Valeria Salomé nous a accordé une interview:

FEMINA Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de rappeler la place des mots dans les situations de violence conjugale?
Valeria Salomé Nous vivons depuis plusieurs années un accroissement de toutes les sortes de violence. Si certaines ont pu être dévoilées, analysées, punies et combattues, d’autres violences, comme celles qui se déroulent dans notre intimité, demeurent encore dans le silence. Un silence mortifère, car ces actions invisibles continuent à ronger l’esprit, à blesser l’âme et à faire naître des peurs et des doutes incroyablement lourds.

Notre livre fait suite aux nombreux témoignages individuels que nous avons reçus. Ils nous ont conduits à exprimer la souffrance qui demeure silencieuse dans les couples, souvent produite par l’incommunication ou la puissance de quelques mots violents catapultés sur l’autre. Il fait aussi écho aux statistiques récentes montrant qu’en France les violences conjugales concernent une femme sur sept.

En quoi les violences invisibles que constituent les mots peuvent-elles, par accumulation, donner lieu à des violences visibles, donc physiques?
Un être humain qui ne parvient pas à mettre des mots sur ses ressentis s’exprime souvent au quotidien par une pratique de mise en cause d’autrui. Dans cette dynamique, c’est un mécanisme pervers qui s’installe, une forme de violence verbale. Il s’agit d’ailleurs de la forme la plus répandue dans notre société. Pratiquée sur le long terme, elle dévitalisera la relation, fragilisera la personne et créera le terrain propice à toute autre forme de violence.

Quels sont les types de violences que peuvent porter les paroles d'un individu, au sein d'une relation de couple?
Par la parole proférée, naît la violence morale, à base de chantage («Si tu ne me fais pas l’amour, je…»), de manipulation émotionnelle («C’est parce que je t’aime…») et de peur («Je vais t’en faire baver… tu vas en crever!»). On cite également la violence psychologique, portant atteinte à l’intégrité psychique de l’autre. Elle se définit par toute action d’humiliation, de dénigrement et de dévalorisation («T’es bonne à rien!»). On parle aussi de violence affective qui impose la présence d’un tiers tels que l’alcool, la drogue ou une autre personne. Le partenaire est alors obligé de supporter cette cohabitation. («C’est comme ça: je fume, je bois…»). Enfin, il reste les violences relationnelles qui imposent à l’autre des désirs ou des exigences physiques atypiques. Il peut s’agir de croyances autour de la nourriture, de vêtements ou encore de choix de vie («Je te veux ainsi…»). Cela peut mener à une perte totale d’autonomie et de confiance.

Où cette violence peut-elle prendre racine?
Un comportement violent est le résultat des expériences traumatiques vécues directement ou indirectement par la personne tout au long de son existence, mais surtout au début de sa vie. Nous savons aujourd’hui que des traumatismes vécus durant l’enfance et l’adolescence constituent un terreau fertile pour la victimisation à l’âge adulte. Le traumatisme inscrit en nous une souffrance, ainsi que la peur de souffrir à nouveau.

Plus tard, un élément déclencheur peut réveiller cette souffrance. Puis, pour s’exprimer ou se libérer, la souffrance se transforme en langage et en passage à l’acte.

Pourquoi la personne concernée risque-t-elle alors de la déverser sur son ou sa partenaire?
La violence est un cycle déclenché le plus souvent par des peurs, des incompréhensions ou des projections. On peut être mené à attribuer à l’autre un sentiment qu’on porte en soi. Elle peut être un mode d’expression pour dire l’indicible, un moyen d’être reconnu, une tentative désespérée pour exister. Pour répondre à votre question, il est nécessaire d'analyser chaque cas et d’identifier ce qui pousse le porteur de violence à l’entretenir en lui sur un mode répétitif, la nourrir de rancœurs, d’accusations ou de justifications et se transformer en un vrai bourreau vis-à-vis de l’autre. Il faut aussi clarifier la situation du récepteur de violence qui accepte de vivre en victime, sans parvenir à se positionner ou à se respecter en s’éloignant.

Comment se caractérisent les mots toxiques pour une relation?
Le plus souvent de nature inconsciente et difficile à répertorier, ces types de messages s’apparentent au départ à de simples désaccords entre les deux partenaires. Répétés et amplifiés ils vont créer dans le temps un fort sentiment de malaise, de rejet ou d’opposition. Ils résultent soit d’un repli sur soi, avec une perte de confiance et des peurs diverses, soit par une attitude offensive réactionnelle et agressive. Dans les échanges quotidiens, les premiers signes sont souvent la pugnacité d’un message (dévalorisant ou menaçant), sa force destructrice et le malaise qu’il suscite. Cela devrait alerter chacun des partenaires quant à leur attitude.

Votre livre détaille également la notion de «terrorisme conjugal», qui peut passer inaperçu et durer très longtemps. Comment le reconnaître?
La notion de terrorisme conjugal fait référence aux conduites plus ou moins conscientes qui sont proposées par l’un des partenaires pour imposer ses propres désirs à l’autre et le mettre au service de ses propres idées, croyances ou besoins. Invoquées au nom de l’amour qu’il lui porte («c’est parce que je t’aime, moi!»), du désir de le protéger («c’est pour ton bien!») ou de l’importance qu’il lui accorde («je te comprends mieux que tous!»), ces conduites passent le plus souvent inaperçues et se prolongent dans le temps pour devenir le terreau d’une grande souffrance due au déséquilibre des pouvoirs.

Tous les schémas que vous décryptez dans votre livre tendent à infantiliser ou humilier l'autre, à le rendre dépendant ou à le faire vivre dans la peur…
La violence reste un des langages privilégiés de la peur. Dans le cas de l’auteur de la violence conjugale, il peut y avoir une ressuscitation possible de la violence au travers de la peur de l’autre. Sa puissance, sa force, son pouvoir peuvent se manifester seulement s’il exerce une pression par une mise en dépendance de l’autre. Il pratique alors le pouvoir d’influence et préserve un climat de tension lui permettant de garder une position dominante sur l’autre et de continuer à le manipuler.

Ce mélange d’attitudes maintient chez les protagonistes des positions infantiles et infantilisantes paradoxales. A un moment ou à un autre, celui qui s’y soumet fait payer à l’autre sa propre soumission et celui qui l’exerce finit par en vouloir à celui qui se soumet.

Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux personnes vivant des violences domestiques?
Osez! Osez parler! Osez vous respecter dans une relation par une prise de position, par l’affirmation devant l’autre, et non contre lui, en lui permettant d’entendre ce qui fait votre unicité et la sienne, autant que ce qui fait vos altérités! Osez vous faire accompagner pour reprendre votre liberté!

Les réflexes d'urgence

Les professionnels sont constamment aux aguets, prêts à soutenir les personnes concernées, que ce soit pendant ou en-dehors de la période de crise sanitaire. N’hésitez jamais à composer le 117 en cas d’urgence ou à faire appel à une maison d’accueil, en vous rendant sur les sites violencequefaire ou frauenhaus-schweiz. À Genève, un hôtel a été mis à disposition des personnes vivant des violences conjugales, afin de leur offrir une échappatoire. «Ne pensez surtout pas que vous êtes seul dans cette situation, affirme Marc-Antoine La Torre, directeur du foyer d’hébergement genevois Arabelle. N’attendez pas que la violence monte pour faire appel au réseau et pour dénoncer la situation. Parlez-en à vos voisins, quittez le domicile aussi vite que possible et ne restez pas isolés!»

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