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Le couple à l’épreuve de la parentalité

Le couple à l’épreuve de la parentalité

«La tension et l’anxiété entraînent en effet un besoin de contrôle qui péjore les interactions, note Stephan Eliez. Aussi, le sarcasme, le retrait, l’agressivité, la certitude de savoir ce que l’autre vit, une tendance à être catégorique, à figer et à étiqueter l’autre, vont à l’encontre d’une communication réussie.»

© Getty Images

«Je suis à toi, je te veux, je pense à nous. Tu es mon homme, tu es mon idéal. Je te suivrai n’importe où […] Je suis enceinte», chante Jeanne Cherhal dans Brandt Rhapsodie, en duo avec Benjamin Biolay. Quatre minutes plus tard, les mots d’amour font place à des messages froids et lapidaires laissés sur la messagerie ou le frigidaire… le couple se sépare. L’histoire est tristement banale. En Suisse, deux mariages sur cinq se terminent par un divorce. La vie de couple n’a en effet souvent rien d’un long fleuve tranquille. L’arrivée d’un enfant, au-delà d’un grand bonheur, représente une véritable épreuve. Comment préserver le sentiment amoureux lorsqu’on est face à un double engagement, celui du couple et celui de la parentalité? C’est tout l’objet d’Etre parents et s’aimer comme avant (Ed. Odile Jacob, 2020), dernier ouvrage de Stephan Eliez, professeur au département de psychiatrie de l’Université de Genève.

Un effort pris sur le couple

Beaucoup s’imaginent la naissance d’un enfant comme un événement qui va consolider la relation, alors qu’il s’agit d’un facteur de stress majeur qui peut la fragiliser. «Etre parent est un effort pris sur le couple. L’enfant est une charge supplémentaire qui complexifie l’existence», commente Stephan Eliez. «Ma vie était plus simple avant. J’ai perdu une certaine liberté. Mon compagnon, même s’il est très engagé, est loin des sacrifices que je dois faire en tant que mère. Il y a pas mal de tensions entre nous liées au stress et à la fatigue», raconte Joséphine*, maman d’une fillette de 14 mois. En effet, tous les couples n’y sont pas préparés, comme en témoigne le docteur Katharina Auberjonois, psychiatre, responsable de la consultation psychothérapeutique pour familles et couples des Hôpitaux universitaires de Genève: «Les thérapeutes de couple et de famille rencontrent de plus en plus de jeunes familles avec de petits enfants en détresse, comme si l’accès à la parentalité n’allait plus de soi et bouleversait trop l’équilibre conjugal. A cela s’ajoute parfois l’isolement géographique, qui prive les jeunes parents du soutien précieux de leur famille d’origine et rend d’autant plus dure la transition à la parentalité.»

«Quand apparaissent des conflits répétitifs devenus prévisibles, lorsqu’on a le sentiment d’un divorce affectif, en cas de dénigrement, de menaces de rupture, de souffrance mutuelle ou de l’intégration des enfants dans les conflits, il faut se faire aider»

Katharina Auberjonois

Psychiatre, responsable de la consultation psychothérapeutique pour familles et couples des HUG

Les défis auxquels il faut faire face sont nombreux: élargir l’intimité du couple à l’enfant, assumer la responsabilité du rôle parental, se conformer aux normes familiales et sociétales, revoir le partage des tâches et l’investissement de chacun en termes de temps, d’émotions et de finances. Le temps consacré au couple diminue inévitablement. Les études montrent que les nouveaux parents n’ont plus les mêmes activités et font davantage les choses séparément. «Il est rare qu’on soit tous les deux. On a tendance à diviser les tâches. Je sors la petite pendant que ma femme fait le ménage», explique Antoine*, père de Luna*, 15 mois.

Lorsqu’on accède au statut de parent, «on n’est plus dans une identité unique, mais dans une identité partagée», explique Stephan Eliez. «Je suis compagne, mère, étudiante, mais j’ai l’impression de n’être que maman. Même quand je suis seule avec une copine et que mon compagnon s’occupe de notre fille, je pense au retour et conserve une partie de la charge mentale», regrette Joséphine. Comme elle, beaucoup mettent leurs différents rôles en opposition alors qu’ils se nourrissent l’un l’autre. Une posture psychique délétère, selon l’expert: «Il faut résister à cette tentation!»

La force de la mentalisation

Pour traverser ces changements, le professeur Eliez souligne l’importance d’une bonne communication dans le couple, facteur prédicteur de sa longévité: «Les études montrent que le style de l’interaction et la forme que prennent les échanges ont un impact bien plus décisif que leur contenu.» Le spécialiste évoque la force de ce qu’il nomme la mentalisation. Selon cette approche anglo-saxonne, mentaliser consiste à s’efforcer «d’imaginer, chez l’autre comme chez soi, les pensées, les sentiments, les croyances, les désirs, les buts et les raisons qui nous poussent à agir. Se regarder de l’extérieur et se mettre dans la perspective de l’autre», explique-t-il. La mentalisation, c’est toujours avoir à l’esprit son propre état d’esprit et celui de l’autre. C’est aussi être en mesure de se confronter à l’être aimé plutôt que de lui assigner telle ou telle vérité. Antoine et Maya* l’ont bien compris: «Avant la naissance de notre fille, j’ai traversé une sorte de crise qui s’est répercutée sur notre couple. J’avais tendance à projeter mes peurs et mes doutes sur mon mari. Un jour, j’ai compris que je devais faire l’effort d’aller à sa rencontre pour le comprendre. Le piège est de rester dans la colère, l’égoïsme et le jugement. Depuis, on a trouvé nos codes.»

Pour être capable de mentalisation, un minimum de régulation émotionnelle est nécessaire. L’anxiété, qui se résout par la fuite ou le combat, peut être un frein à cette ouverture à l’autre.

Difficile, dans un tel climat, de se comprendre. «Je suis une mère très protectrice et j’ai besoin de tout contrôler. Quand on se parle avec mon compagnon, la sérénité est rarement au rendez-vous. Quand j’exprime mon point de vue, il se sent opprimé et nul», déclare Joséphine. «La tension et l’anxiété entraînent en effet un besoin de contrôle qui péjore les interactions, confirme Stephan Eliez. Aussi, le sarcasme, le retrait, l’agressivité, la certitude de savoir ce que l’autre vit, une tendance à être catégorique, à figer et à étiqueter l’autre, vont à l’encontre d’une communication réussie.» Or, durant la vie de couple, les sujets de désaccord, voire les points de blocage, sont nombreux, qu’il s’agisse de l’éducation des enfants, de la répartition des tâches, de la gestion de l’argent ou de la sexualité. Sur ces terrains de confrontation, chacun réagit en fonction de ses valeurs et de sa propre histoire. «J’ai grandi dans le dialogue et le partage avec mes parents. Mon compagnon est, lui, très secret. Lorsque je dis non à ma fille, je me mets à sa hauteur et je lui explique pourquoi. Mon compagnon gère différemment, ce que j’ai du mal à accepter», reconnaît Joséphine.

Pour que la communication soit fructueuse, Stephan Eliez recommande d’expliciter le plus possible ce qu’on pense, ce qu’on ressent et ce qu’on imagine de l’autre. Le tout dans un esprit de bienveillance. «La recherche a démontré qu’une critique nécessite cinq compliments pour être équilibrée!» rappelle Katharina Auberjonois. Le dialogue est d’autant plus nécessaire que le couple n’est pas une entité figée. Entre le moment de la rencontre, la naissance des enfants, les expériences accumulées, chacun évolue, redéfinit ses priorités et s’ancre dans des valeurs qui lui correspondent. Des échanges de qualité sont des occasions de retrouver des valeurs communes. «Avant de devenir parents, nous avons mis les choses à plat. Nous sortions beaucoup, mais nous avons décidé de nous consacrer à notre fille, de privilégier ses besoins et de remettre notre confort à plus tard», s’accordent Maya et Antoine.

Quand l’insatisfaction gagne du terrain

Mais tout n’est pas toujours aussi évident. «Quand apparaissent des conflits répétitifs devenus prévisibles, lorsqu’on a le sentiment d’un divorce affectif, en cas de dénigrement, de menaces de rupture, de souffrance mutuelle ou de l’intégration des enfants dans les conflits, il faut se faire aider», déclare la thérapeute. Et mieux vaut réagir avant qu’il ne soit trop tard. «Les études montrent qu’une part importante des couples qui consultent se sépare», observe le professeur Eliez. Avec les années, en effet, le risque est grand de voir s’accumuler amertume, ressentiment et frustrations. Pourtant, livres, stages et thérapies peuvent aider à surmonter les difficultés. «Beaucoup de couples trouvent leurs propres solutions», se réjouit-il.

Pour préserver le lien amoureux dans le tumulte de la vie parentale, il vaut mieux ne pas céder à une vision normative. «La vie de couple a ses mystères. Elle échappe à un mode d’emploi et c’est tant mieux!» s’exclame Katharina Auberjonois.

Néanmoins, la décision commune de faire durer la relation est cruciale. Aussi, il est bon de pouvoir considérer les phases de crise comme naturelles et de saisir l’occasion de revoir sa façon d’être ensemble sans pour autant remettre en question la survie du couple. Le partage des tâches, le soutien de la famille élargie, le fait d’avoir des projets, des intérêts et un réseau social communs, une sexualité épanouie, un crédit de bienveillance envers l’autre sont des facteurs protecteurs. Enfin, se rappeler régulièrement qu’on formait un couple avant d’être parents, pour maintenir des rituels et se réserver des moments à deux: «Les enfants apprécient de voir leurs parents s’occuper d’eux-mêmes en tant que couple. C’est un modèle rassurant pour eux et une vision d’avenir», conclut le docteur Auberjonois.

* Noms connus de la rédaction

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