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Interview: La crise a-t-elle changé notre perspective sur la vie?

Crise change perspective sur la vie

«Comme après toute crise, un changement aura lieu: nous ne serons plus comme avant. Certains en ressortiront plus forts et d’autres plus fragilisés. Cette crise laissera une trace dans nos vies à tous et elle fera partie de notre histoire.»

© Armando Castillejo / Unsplash

L'incertitude généralisée qui plane sur notre existence depuis le début de l'année 2020 semble nous avoir figés dans un présent immuable. Face à l'impossibilité de se projeter ou d'anticiper la suite des événements, nous tentons de vivre au jour le jour. Et le confinement, véritable cauchemar pour certains, parenthèse sereine pour d'autres, est loin d'avoir suscité les mêmes émotions chez tout le monde. De même, le déconfinement a un effet complètement variable, selon notre situation personnelle.

Ce moment de crise, ainsi que nous l'ont expliqué plusieurs experts ces derniers jours, laisse peu de place pour l'entre-deux. Situation frisant l'extrême, elle nous confronte aux différents aspects de notre vie, qu'ils soient négatifs ou positifs, et les exacerbe, les rendant impossibles à ignorer. Certains ont retrouvé le bonheur des choses simples, d'autres prennent conscience de ce qui n'allait pas dans leur quotidien pré-crise. Mais la pandémie a-t-elle suscité des effets plus généraux, au niveau de notre manière de considérer notre existence? À présent que les portes se sont entre-ouvertes, nous avons demandé l'avis de la psychologue et psychothérapeute FSP Marjorie Faivre. Quelques jours après le déconfinement, qui n'a toutefois pas marqué la fin du défi, elle dresse le bilan.

FEMINA Quelles réactions à la crise sanitaire avez-vous pu observer chez vos patients, de manière générale?
Marjorie Faivre
Tout d’abord, je tiens à dire qu’il est important de ne pas pathologiser les effets psychologiques de cette crise, ni de les banaliser. Il est normal de se sentir, par moments, plus anxieux durant cette période. La peur est un signal qui nous informe de la présence d'un danger et c'est le cas, avec ce virus. D’autres réactions tout à fait légitimes sont également présentes durant cette période, comme l’impuissance, l’insécurité, le sentiment d’inutilité, l’abattement, le manque de motivation, un sentiment de déprime, l’épuisement...

Schématiquement, j’observe deux types de réactions. Le premier groupe correspond aux personnes qui se sont adaptées rapidement, qui ont pu prendre le positif de cette situation et qui ont eu la capacité d’activer leurs ressources internes. Le second regroupe les personnes qui, fragiles avant cette crise, se retrouvent déstabilisées et ont de la peine à fonctionner au quotidien.

Le confinement, la peur de la mort, l’éloignement avec les proches peuvent réactiver certains événements douloureux «non digérés», comme par exemple une hospitalisation, une période difficile de chômage, une séparation ou un décès.

Pensez-vous que la situation a potentiellement changé le regard que certaines personnes posent sur leur vie?
Cette crise sanitaire, et en particulier le confinement, nous renvoie le miroir de là où nous en sommes dans nos vies. C'est comme si on regardait dans un rétroviseur. Pour certains l’image renvoyée est un agrandissement à la loupe. De ce fait, cette situation pousse à l’introspection. La rupture avec le quotidien permet de réfléchir à distance sur notre manière de vivre: quelles sont mes valeurs profondes? Dans quelles mesures mes actes sont-ils alignés à mes valeurs? Quel est le sens de telle ou telle action? Quels sont les changements que je pourrais effectuer?

Par ailleurs, le ralentissement et la diminution des stimulations offrent davantage d’espace pour penser. Je peux voir chez certains patients une accélération dans la prise de décisions.

J’ai une patiente qui, avant la pandémie, avait débuté une réflexion sur l’équilibre entre son rôle de mère et son rôle professionnel, cette crise a probablement permis d’accélérer sa réflexion. Elle a pris la décision de vivre son rôle de mère à temps plein et a donné sa démission.

Nous avons été privés de certains plaisirs simples que nous prenions peut-être un peu pour acquis: cela peut-il avoir eu pour effet de nous ramener à l'essentiel?
Notre liberté a été drastiquement diminuée. Nous avons réalisé qu’elle était fragile et qu’elle n’était pas acquise... Cette diminution de liberté nous a aussi permis de voir que l’épanouissement ne se cache pas forcément là où on pensait.

Nous avons aussi été privés d'un élément essentiel: la présence de certains de nos proches, avec lesquels nous devons toujours maintenir une distance de sécurité. Cela a-t-il pu changer notre vision de nos relations?
L’Homme est un animal social, nous avons besoin des autres pour grandir, nous avons besoin d’être en lien pour vivre. Lorsqu’une famille traverse une crise, comme par exemple la maladie de l'un de ses membres, un mouvement centripète est présent: on va se réunir autour du membre malade et se soutenir en se voyant régulièrement, en se prenant dans les bras. Dans cette crise sanitaire, nous devons maintenir un éloignement physique, pour prendre soin des autres. Cette situation est à l’inverse du mouvement naturel, elle nous coupe de nos rituels et nos ressources habituelles. Le défi devient alors d’être solidaire à distance.

Daniel Tafjord / Unsplash

Qu'aimeriez-vous dire à ceux et celles qui sortent d'un confinement difficile, et se comparent à ceux qui affirment en avoir tiré du positif?
Le confinement, bien qu’utile pour se protéger physiquement, est une agression psychique. C’est un huis clos imposé qui est étouffant. J’ai pu constater la présence d’une injonction sociale forte de «bien réussir son confinement». Ce message est très culpabilisant pour certaines personnes, notamment les parents qui ont se sentir débordés par la multiplication des tâches et des rôles à accomplir. J’ai beaucoup été amenée à déculpabiliser mes patients. Face à une telle crise, nous sommes en situation de survie, on affronte la le virus. L'essentiel se limite à notre santé, le nôtre et celui de nos proches. Le reste n’est que bonus!

Pensez-vous que le sentiment de «normalité» finira par reprendre le dessus?
Comme après toute crise, un changement aura lieu: nous en ressortirons différents, nous ne serons plus comme avant.

Certains ressortiront plus forts et d’autres plus fragilisés. Cette crise laissera à tous une trace dans nos vies et elle fera partie de notre histoire.

Et maintenant que nous sommes déconfinés?
Le déconfinement peut faire vivre une insécurité qui est légitime. Personne ne sait comment cela va réellement se passer. J’encourage la communication en couple et en famille sur la manière de se déconfiner, d’échanger sur nos craintes, nos besoins et de trouver une posture commune. J’ai une pensée particulière pour les personnes à risque et leurs proches. Le risque zéro n’existe pas, mais quel risque chacun est-il prêt à prendre? L’essentiel est d’être suffisamment à l’aise avec ses choix et ses actions.

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