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FEMINA Pourquoi la fragilité n’est-elle pas valorisée dans nos sociétés?
Muriel Mazet
Elle est de moins en moins perçue comme un atout, c’est vrai. Nous vivons dans une société hyper normative: on doit être performant, jeune, dynamique… Bref, parfait! Tout ce qui est lié à l’émotion et à la remise en question de soi-même n’est pas bien vu. On veut toujours plus d’efficacité, on se dirige vers l’homme-robot. L’homme sensible et vulnérable n’a pas la cote. Et c’est bien dommage.

Fragilité et sensibilité sont-ils des synonymes?
Oui, du moins dans notre quotidien. Sensibilité est égal à fragilité de par la norme qui pèse sur nous tous. Je déplore le sens négatif qui est associé à chacun de ces termes, la sensibilité est au contraire un grand atout pour l’artiste, pour l’être créatif. Il en faut pour créer de très belles choses.

Comment transformer sa fragilité en force?
Il faut déjà apprendre à ne pas se prendre au sérieux, ne pas jouer au plus fort, accepter ce qu’on est avec humour. Et ne pas se moquer de soi mais se prendre avec ses qualités et ses défauts. Je crois que, du coup, on peut transformer sa fragilité en force. En s’assumant tel que l’on est, avec ses forces et ses faiblesses, on accepte le tout. La fragilité fait partie de nous-même. En nous, nous avons tous des sensibilités et des forces, on a tous la capacité de s’autoriser à être fragile. C’est cela la vraie force. C’est une question de regard que l’on porte sur soi.

Sommes-nous réellement tous fragiles, mêmes les gens qui nous impressionnent, qui nous paraissent très forts?
Bien sûr! Comme nous, ce ne sont que des humains. On naît fragile et on continue à l’être en grandissant. Dans la vie, on n’arrête pas de passer des étapes difficiles. Nous sommes en apprentissage, en épreuve constante. Cela est inhérent à la nature humaine, nous ne sommes pas des surhommes. Effectivement, les gens qui se donnent une apparence très sûre d’eux sont également passés par les épreuves de la vie. Personne n’est à l’abri, cela permet de relativiser. Derrière la façade, ceux qui nous impressionnent sont comme tout le monde.

En quoi combattre sa fragilité est-il un danger?
Lorsque l’on nie cette part de nous-même, on risque de passer à côté de très belles valeurs humaines. La fragilité, c’est l’humanité, c’est nous rendre capable de nous mettre à la place de l’autre. Lorsque l’on bloque cette part de sensibilité, on se met une armure et l’on devient dur, sec. On se sent alors déshumanisé, il n’y a plus que la carapace et le rôle à jouer. Cela fait des dégâts et peut avoir de graves conséquences.

Pourquoi est-il important de «donner la main à l’enfant que nous étions»?
Quand on perd de vue sa fragilité, quand on la bafoue, on devient dur avec soi-même. A partir du moment où l’on se penche sur son enfant intérieur, cela amène beaucoup de douceur. Je parle dans mon livre d’un truc que je suggère souvent à mes patients: lorsque l’on est malheureux, je conseille de chercher une photo de soi petit, un cliché où l’on s’aime bien, où l’on se trouve gentil, joli, drôle. Regarder cette image permet d’acquérir beaucoup plus de vulnérabilité via le regard de l’enfant retrouvé. C’est un geste tendre, attachant.

Comment peut-on se lancer lorsque l’on n’a pas du tout l’habitude de faire parler ses émotions?
Ce n’est pas facile, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Vouloir se forcer à être un autre que ce qu’on est devenu d’un seul coup, ça n’est pas possible, cela demande un cheminement, du temps, de la patience. Il n’y a pas de truc magique, il faut apprendre à être gentil et doux vis-à-vis de soi afin de perdre sa carapace. Petit à petit, on arrive à faire fondre la glace. Pour se radoucir, il faut se réapproprier cette part de soi que l’on a perdu de vue. Se faire aider par un professionnel est souvent salvateur. Retrouver ses souvenirs d’enfance et en parler est également très bénéfique. L’émerveillement, la spontanéité, la joie de vivre qui colorent ces derniers permettent de se retrouver.

Qu’est-ce qui change une fois que l’on s’autorise à être fragile?
On accepte une énorme part de soi-même. En se prenant tel que l’on est, on se juge moins et on juge moins les autres. On cultive de meilleurs liens, un regard moins critique, des rencontres plus vraies, d’être à être, au-delà de tout costume. On arrive à beaucoup plus d’humanité, tout simplement.

Qu’est-ce que vous avez envie de dire aux femmes et aux hommes qui redoutent de se montrer faibles?
Les femmes y parviennent plus facilement que les hommes. Elles se remettent beaucoup plus en question, assument davantage leurs failles. On a dit aux garçons de ne pas pleurer comme des mauviettes, d’être les plus forts… C’est plus dur pour eux d’accepter cette part-là. Il ne s’agit pas d’étaler sa faiblesse mais de se montrer plus humain. Quand on peut soi-même considérer sa fragilité comme une force, on peut la révéler plus facilement aux autres. Soyez ce que vous êtes, faibles et forts, lumineux et assombris par moments. Plus on accepte sa fragilité, plus on prend confiance en soi.

Muriel Mazet, «La force des fragiles», Editions Eyrolles.


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