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Psycho et Disney

«Encanto»: Les messages cachés qui parleront à chaque famille

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Et si, comme dans le superbe dessin animé signé Disney, nous avions tous des pouvoirs magiques, au sein de notre fratrie? Deux spécialistes décortiquent les métaphores du film et nous en disent plus quant à ces «rôles» (la forte, le sensible, la clown, le responsable etc...), qui peuvent à la fois nous aider et nous bloquer.

© 2021 Disney. All Rights Reserved.

Mise à jour: Le 27 mars 2022, Encanto a remporté l'Oscar du meilleur film d'animation à l'occasion de la 94e cérémonie des Oscars.

Voilà trois semaines que nous entonnons We don't talk about Bruno en boucle, si bien que notre entourage nous demande sans cesse «mais qui est ce Bruno?!» La réponse est pourtant simple: Bruno, c'est un personnage du nouveau Disney Encanto, sorti en novembre 2021 aux Etats-Unis et disponible depuis début 2022 sur Disney+. Et son morceau phare, lequel explose allégrement tous les records d'écoutes sur les plateformes audio (dépassant même Easy On Me d'Adèle), est seulement l'une des raisons pour lesquelles ce film est extraordinaire à nos yeux. Car en plus de renfermer ce genre de pépites musicales, il offre une allégorie familiale brillante, tissée entre magie, traumas et blessures d'enfance. On l'a d'ailleurs tellement aimé qu'il nous a paru indispensable d'en explorer les messages psychologiques: et ceux-ci sont susceptibles de toucher chacun-e d'entre nous, surtout si l'on a des frères et sœurs.

Pour vous faire un bref topo, le dessin animé raconte le quotidien fabuleux de la famille Madrigal et nous emmène dans le luxuriant paysage de la Colombie. Chaque membre de cette large tribu, fondatrice de son village, possède en effet un pouvoir magique: Maman Julieta est capable de guérir n'importe qui grâce aux plats qu'elle cuisine. Isabela est la perfection incarnée et parsème des fleurs sur son passage. Luisa est dotée d'une force herculéenne et rend service à toute la communauté. Tante Pepa influence la météo selon ses émotions (hypersensibles, vous vous reconnaissez?) et le petit Antonio converse avec les animaux. Or, le pouvoir respectif de chacun caractérise et les conditionne tellement qu'il finit par un peu les bloquer, leur infligeant de fortes pressions dans leur quotidien: comment être soi-même quand, à l'instar d'Isabela, on est censée être «parfaite et angélique» tout le temps?! La famille connaît toutefois une exception en la personne de Mirabel, sœur cadette de la parfaite Isabela et de la costaude Luisa: la pauvre ne possède pas de pouvoir (ou ainsi le croit-elle), ce qui la complexe affreusement. Voilà un scénario qui s'apparente à un véritable bouquet de philosophie!

Les rôles attribués dès l'enfance

Et si, comme dans Encanto, nous possédions tous-tes une place et un attribut précis, dans notre cercle le plus proche? À défaut d'un pouvoir magique, il s'agirait d'une qualité qui nous représente et forge notre identité. Pour la psychologue et psychothérapeute FSP Camille Imesch, cette hypothèse est fort plausible: «Dès son plus jeune âge, l’enfant se voit attribuer des rôles par son entourage et évidemment l’impact du parent, ou du grand-parent en l’occurrence dans ce film, est particulièrement important. L’enfant comprend très vite ce qu’on attend de lui ou d’elle et voudra satisfaire les adultes auxquels il ou elle est attaché.»

C'est dans ce contexte que nous sont données nos premières étiquettes, souvent attribuées de manière bienveillante ou inconsciente: «Face aux comportements variés et multiples de l'enfant, l'adulte pointe souvent ceux qui correspondent à une certaine catégorie, poursuit notre experte. Il tendra à nommer ce rôle ("l'enfant sage", "le clown", "le ou la turbulent-e", "le ou la sensible", "le ou la dur-e à cuire", etc.), ce qui aura pour effet de généraliser les comportements qui y sont associés. Par exemple, le fait d'affirmer à une fillette qui vient de faire rire ses proches qu'elle est le clown de la famille, peut susciter un renforcement circulaire: plus l'enfant entendra cette étiquette, plus il ou elle se comportera de la sorte, et vice versa.» Aussi Camille Imesch ajoute-t-elle que le genre peut jouer un rôle important dans l'attribution et le choix de ces rôles: on renforcera par exemple davantage la petite fille douce et gentille et le petit garçon courageux. Puis, de cette manière, au travers du regard des autres, nous commençons à nous construire.

© 2021 Disney. All Rights Reserved.

Mirabel (devant, au centre) est la sœur cadette d'Isabela (à droite) et Luisa (en deuxième position depuis la droite). Au centre, on aperçoit leur grand-mère, Abuela, à l'origine des pouvoirs magiques de la famille.

Le pouvoir de l'aîné et du cadet

Autre point de variation important: l'ordre d'arrivée dans la fratrie. «Dans l’approche systémique, on considère que chacun peut obtenir une place au sein d’une fratrie, les invitant à endosser certains rôles et à acquérir certains pouvoirs, explique Frédéric Leuba, psychologue spécialisé en psychothérapie FSP et thérapeute de famille ASTHEFIS. Ceux des aînés sont souvent différents de ceux des cadets. Mais cela n’est évidemment pas une généralité, tout dépend des familles.»

Alors, au nom de tous les aîné-e-s (dont les personnages d'Isabela et Dolores, laquelle entend tout ce qui se murmure), quels sont ces attributs? «Il faut bien sûr éviter de caricaturer ou de figer trop les choses, poursuit l'expert. Mais en travaillant avec des fratries, on peut parfois observer que l’aîné-e tend à se montrer plus responsable et peut représenter un modèle, en ouvrant la voie à ses cadets. C’est lui, en quelque sorte, qui crée la famille, puisque les parents ont appris à devenir des parents à travers lui. Ce rôle comprend pas mal de pressions et d’attentes, mais aussi des privilèges. Il reste toutefois celui qui perd sa place d’enfant unique, lorsque d’autres frères et sœurs débarquent: on lui confère parfois beaucoup d’adaptation et une grande sensibilité aux injustices.» Dans ce sens, Frédéric Leuba rappelle que les 7 premiers astronautes à être partis dans l’espace sont tous des enfants aînés, ouvreurs de voies.

Du côté de l'enfant cadet, le spécialiste évoque un brin de malice, quelque chose de drôle, de charmant et de léger: «Le ou la plus jeune est souvent considéré-e comme le petit chouchou, qui reçoit l’attention de parents déjà expérimentés et plus confiants. En revanche, ces attributs viennent à un prix, sachant que le “petit” sera peut-être moins pris au sérieux. Si l’aîné ouvre les portes, le cadet doit les refermer, ce qui n’est pas toujours facile.»

Enfin, on n'oublie pas l'enfant du milieu, qui connaît souvent les désavantages et les avantages des deux premiers, avec un peu moins de stabilité: «Il ou elle sera peut-être moins surveillé-e et moins au centre de l’attention, ce qui lui offre aussi davantage de liberté et d’indépendance». À nouveau, tout dépend évidemment des événements de vie de chacun-e.

Quand nos rôles nous figent

Dans le film (sans vous spoiler), on constate en effet que les pouvoirs magiques de chaque personnage se transforment peu à peu en prison, les empêchant d'être pleinement eux-mêmes. Or, pas de panique, car dans la réalité, ces rôles ne sont pas forcément négatifs et participent à la construction du soi: «Nous existons à travers ces récits qu'on a de nous-mêmes, affirme Camille Imesch. Certaines croyances nous permettent même de nous dépasser en cas de difficultés ("je suis fort-e, j'ai les capacités d'y parvenir").»

Et Frédéric Leuba d'ajouter: «Ces rôles peuvent représenter un point d’ancrage, sachant que nous avons besoin du regard des autres pour grandir.»

Le problème survient lorsque les croyances nous tirent vers le bas ou qu'elles nous figent dans un rôle qui nous restreint ou ne nous convient plus, à l'instar de certains personnages d'Encanto tels qu'Isabela. Camille Imesch évoque par exemple l'individu généreux qui sera aimé de tous mais qui aura tendance à se faire marcher dessus (comme le personnage de Luisa). Ou encore la personne indépendante qui sera capable de se gérer toute seule mais qui aura de la peine à s’attacher à autrui. «La bonne nouvelle, c’est que ces rôles et ces pensées sur nous-mêmes sont le fruit d’un apprentissage et qu’il est donc possible de les nuancer, de les désapprendre et d’en apprendre de nouvelles à la place!»

© 2021 Disney. All Rights Reserved.

Exigence de perfection et angoisse

Au cœur du film, on trouve le personnage touchant et exigeant d'Abuela, la grand-maman de la tribu, à l'origine de la magie qui habite la famille. Ayant connu de terribles épreuves au moment de devenir mère, elle considère les pouvoirs magiques comme une protection indispensable pour ceux qui lui sont chers: sa plus grande peur est que cette force ne l'abandonne.

«Un des processus pouvant impliquer une fixation dans des rôles est la transmission transgenerationnelle du traumatisme, explique Camille Imesch. Le personnage d'Abuela a vécu l’horreur et elle est donc persuadée que la vie est menaçante et dangereuse. Son rôle est de s’assurer que tout le monde soit assez fort, assez magique, alors que leur existence est désormais sûre. L’angoisse de cette grand-mère vient figer chaque membre de la famille dans un rôle bien précis dont il ne faut surtout pas s’éloigner. Chacun-e est piégé dans son pouvoir et doit suivre le script qui lui correspond, car la menace portée par l’angoisse d'Abuela leur est constamment rappelée.

L’exigence de cette grand-mère, bien que partie d’une intention bienveillante, pèse sur les membres de la famille, car elle les pousse à vouloir atteindre la perfection.»

Voilà ce qui peut également rendre très difficile de s'aventurer en-dehors de nos rôles (magiques ou non): ainsi que le souligne Frédéric Leuba, chacun-e d'entre nous est habité-e des loyautés envers ce que ses parents nous ont donné. Casser le rôle qu'ils nous ont attribué peut donc représenter un défi, car cela nous évoquerait une vraie trahison. C'est notamment ce que découvre Luisa lorsqu'elle perd son pouvoir magique et se demande «à quoi elle sert» si elle n'est pas la plus forte, capable d'aider tout le monde.

Comment s'en libérer?

Bien que l'idée de déraciner une certaine perception de nous-mêmes puisse sembler effrayante, Frédéric Leuba nous rassure: «Si ce rôle nous gêne ou nous bloque, l’objectif n’est pas de changer complètement qui l'on est, mais d’oser se libérer, amener quelques petites modifications à notre façon d’être, en se posant les bonnes questions et en s’autorisant à être soi-même. Accepter l’idée qu’on a été conditionné par nos histoires familiales et aller à la rencontre de qui nous sommes, c’est l’aventure d’une vie!» En effet, à la fin du film (si vous êtes arrivés jusqu'ici, vous l'avez probablement vu!), Isabela se lasse des fleurs parfaites qu'elle fait pousser partout et produit soudainement... un cactus! Enfin, elle peut être qui elle est véritablement, imparfaite et authentique.

Même son de cloche pour Camille Imesch, qui estime que l'on peut tout à fait désapprendre ce qu'on a appris, pour construire d'autres choses à la place: «La première étape pour y arriver consiste à s’observer soi-même, nos pensées, notre discours intérieur à propos de qui nous sommes, de quelles voix nous le tenons... Dans un second temps, il s'agira de chercher à modifier les croyances et les comportements, petit à petit, en se faisant accompagner si nécessaire.»

Si ce chemin est le vôtre, on ne peut donc que vous conseiller de visionner Encanto, un chef d'œuvre riche en culture, leçons philosophiques et apprentissages. Et, accessoirement, de chansons incroyables.

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