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Abus sexuels

Donner les outils pour démanteler l’inceste

Donner les outils pour demanteler linceste

«Les gens commencent à en parler quand il s’agit de viol ou de tripotage parce qu’on sait que ce n’est pas normal. En revanche, pour l’incestuel, c’est plus difficile car il s’agit parfois plus d’ambiances, d’un manque de pudeur ou de sphères de l’intimité qui sont toujours intrusées par les parents. Pas d’acte, donc pas de problème.» - Inès Gauthier, psychologue clinicienne spécialisée en psychocriminologie

© Getty Images

«Il me regardait dans les yeux. Il a fait un pas en avant, et m’a embrassée sur la bouche. Le mot inceste s’est immédiatement formé dans ma tête. J’ai pensé en le formulant: “Tiens, ça m’arrive à moi, ça!?” Ce sont les mots de Christine Angot dans son dernier roman, Le voyage dans l’est» (Ed. Flammarion), pour décrire le premier geste incestueux de son père sur l’enfant qu’elle était. Une relation destructrice que la romancière détricote depuis plus de vingt ans dans ses livres.

Auparavant, il y a eu le livre choc de Camille Kouchner, La Familia Grande (Ed. Seuil), qui narrait l’inceste commis sur son jumeau puis, plus près de nous, les confessions de Sarah Briguet, ex-miss Suisse, qui s’engage pour que l’inceste ne soit plus un tabou. Si les témoignages jouent un rôle important dans la libération de la parole autour de l’inceste, en décrire les mécanismes pour mieux les comprendre, les enrayer voire même les prévenir, est essentiel.

C’est ce à quoi s’emploient Bruno Clavier, psychanalyste et Inès Gauthier, psychologue spécialisée en psychocriminologie dans L’inceste ne fait pas de bruit. Des violences sexuelles et des moyens d’en guérir (Ed. Payot), en mettant des mots plus théoriques sur des ressentis bruts tant du point de vue des victimes que des agresseurs, avec pour but de guérir, pour ne plus souffrir et pour ne plus détruire. Interview croisée.

FEMINA Quels rôles jouent les livres témoignages dans la libération de la parole autour de l’inceste?
Bruno Clavier
La libération n’est pas encore suffisante, ce n’est que le début et il va falloir qu’il y ait encore beaucoup de témoignages. S’ils sont certes nécessaires et indispensables, ils n’éclaircissent pas forcément ce qui se joue dans l’inceste. C’est important de revenir sur les mécanismes de part et d'autre, et sur les conséquences aussi qui ne sont pas toujours très claires dans des livres comme La Familia Grande ou Le Consentement, qui offrent un point de vue subjectif. Les romans ne donnent pas forcément toutes les clés, et c’est essentiel qu’on puisse mettre du sens sinon on ne va nulle part. On va juste dénoncer et dire que ce n’est pas bien.

Vous proposez d’aller plus loin en donnant de véritables outils?
Inès Gauthier
Les victimes vont livrer leur ressenti brut, vont parler de leur histoire avec émotion, sans forcément avoir pris du recul. On a les outils théoriques pour expliquer ce qui se joue quand la personne décrit qu’elle ne pouvait pas parler chez elle parce que c’était le patriarche qui disait comment s’exprimer, s’habiller ou qui fréquenter.

C’est ça l’emprise, c’est ça l’incestuel, c’est un parent tout puissant, homme ou femme, qui va faire régner son pouvoir sur une famille qu’il va maintenir en huis clos. On ne va pas aller voir à l’extérieur s’il y a d’autres modèles qui pourraient remettre en question le modèle familial dysfonctionnel instauré.

Notre but est de mettre des mots plus théoriques sur des ressentis bruts afin de donner des repères, une grille de lecture quant à cette emprise. Si on a ce genre de signaux, on a le droit de remettre en question, d’aller en parler, de porter plainte. Si ça se passe comme ça, voilà comment on peut agir, réparer.

Vous évoquez la répétition de ces mécanismes d’abus, parfois transgénérationnels. Est-ce qu’elle est inévitable?
Inès Gauthier Du côté des agresseurs, il y a des problèmes de confiance en soi, une peur de devenir adulte, mais tout le monde qui n’a pas confiance en soi ou qui n’a pas eu de père ne va pas devenir pédophile. L’origine est dans la sphère familiale en fonction du modèle qu’on a eu. Je ne vois pas d’autre explication à pourquoi l’un va prendre une route et pas l’autre.

Si dans une famille où un grand-père ou un oncle utilisait la petite nièce pour se faire du bien quand il était stressé et que c’est quelque chose qu’on sait et qui a transpiré, l’info va être: utilise la sexualité quand tu ne vas pas bien, mais une sexualité dysfonctionnelle, avec des repères brouillés.

Le message: sous stress, qu’est-ce que tu fais pour te soulager? Le modèle: prend une personne qui est accessible, comme ton oncle l’a fait.

Questionner ces modèles de fonctionnement et révolutionner toute la famille?
Bruno Clavier
Ce sont des familles qui ont des lois, mais des lois hors la loi. Automatiquement, tout travail là-dessus va secouer la famille.

Dès que la victime parle, ça déstabilise tout l’édifice. Une sœur peut choisir de parler alors que l’autre va prendre la défense du père. Soit c’est une révolution familiale, soit on ne va pas y toucher.

Il y a aussi des collatéraux qui vont s’ouvrir, par exemple quand les mères complices réalisent qu’elles ont été complices puis arrivent à en discuter. Parfois pas, et ces mères s’arqueboutent pour leur mari et leur fille est rejetée. Ce sont des systèmes complexes, mais l’important c’est que ça bouge pour les enfants à venir. On aimerait endiguer en amont.

Comment est-ce possible d’agir en amont?
Inès Gauthier
Je travaille beaucoup en amont avec de potentiels agresseurs, dont certains ont parfois déjà dérapé. Certains viennent me voir d’eux-mêmes, et on est alors déjà dans la prévention. Ils arrivent en me disant avoir des vues sur leur nièce ou leur belle-fille, en racontant que leur femme est enceinte ou que leurs enfants sont encore petits, mais qu’ils ont peur de leur réaction lorsque leur fille sera pubère. Ils anticipent, reconnaissent qu’il y a un problème en amont, et c’est important de leur mettre des repères: non, vous ne dormez pas avec, vous n’allez pas avec dans la salle de bain, vous faites attention si elle ramène des copines à la maison de ne pas rester seul avec dans une pièce.

Je leur donne des outils pour limiter les facteurs à risques d’un passage à l’acte. S’ils sont conscients de ce qui peut se produire, le phénomène est maîtrisé, car l’anticipation permet d’apprivoiser ce qui peut se passer. C’est en mettant des pare-feu que l’on peut prévenir.

Est-ce que les victimes osent plus en parler aujourd’hui?
Inès Gauthier
Oui, les gens commencent à en parler quand il s’agit de viol ou de tripotage parce qu’on sait que ce n’est pas normal. En revanche, pour l’incestuel, c’est plus difficile car il s’agit parfois plus d’ambiances, d’un manque de pudeur ou de sphères de l’intimité qui sont toujours intrusées par les parents.

Pas d’acte, donc pas de problème. Il faut arriver à un niveau plus subtil des repérages de dysfonctionnement, comme des remarques répétées d’un père à sa fille qui lui dirait de cacher ses seins parce qu’au fond ça l’excite, car ça fait les mêmes traumatismes que si l’enfant était touché physiquement.

C’est insidieux, on s’en rend moins compte, mais ces comportements que l’on croit être naturels et qui peuvent se répéter laissent de grosses séquelles traumatiques. L’inceste commence à être repéré et on en parle, l’incestuel, c’est vraiment le début.

Bruno Clavier sera présent samedi 2 octobre 2021 pour une conférence autour de La mémoire des corps au Festival du livre à Collonge (GE). Plus d'infos

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