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Acceptation de soi et puberté: les messages cachés d'«Alerte Rouge»

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Première production Pixar réalisée par une équipe 100% féminine, le film aborde directement la question des règles et l'émancipation d'une adolescente, en pleine découverte de sa véritable personnalité.

© PIXAR

À moins de s'être imposé une détox d'écrans de plusieurs semaines, impossible d'avoir loupé cet énorme panda roux au regard un peu inquiet. Depuis le mois de mars 2022, Pixar fait sensation avec Alerte Rouge, le tout premier film d'animation produit par une équipe entièrement féminine. À sa tête, on redécouvre la jeune réalisatrice canadienne d'origine chinoise, Domee Shi: à seulement 32 ans, la créatrice du court-métrage oscarisé Bao (2018) présente donc son premier film complet, basé sur une métaphore aussi insolite que touchante. En effet, le dessin animé entier s'évertue à déstigmatiser les défis de la puberté, au travers du personnage de Mei, 13 ans, tiraillée entre ses véritables passions et les attentes sévères de sa maman, dont elle est très proche. Les choses se compliquent en effet lorsqu'un matin, après avoir subi une scène très embarrassante la veille, Mei se réveille dans la peau... d'un immense panda roux!

Paniquée, l'adolescente ne reconnaît plus son corps, se sent trahie, observe l'arrivée soudaine de ces nouveaux poils, se trouve une odeur corporelle inhabituelle... Sa mère, alertée par les cris de sa fille, se précipite dans la salle de bain pour s'emparer d'une boîte de serviettes hygiéniques, pensant que Mei a eu ses règles pour la première fois. Vous l'aurez compris, le panda roux, apparaissant sous le coup des émotions exacerbées du personnage, symbolise les menstruations et autres bouleversements de l'adolescence. Rapidement, Mei apprend que la transformation s'opère lorsqu'elle sent une vague de joie, de colère, de tristesse ou de honte l'envahir: en restant aussi calme que possible, elle parvient plus ou moins à maintenir son apparence humaine. Or, il ne s'agit pas d'une mission facile, lorsqu'on a treize ans... et encore moins quand on menstrue!

De scène en scène, le film dépeint les montagnes russes émotionnelles de Mei et de ses trois charismatiques copines, notamment quand elles apprennent que leur boys band préféré s'apprête à donner un concert à Toronto: cette nouvelle résulte d'explosions de joie, de fantasmes et d'espoirs fous, que chacun-e d'entre nous peut se souvenir d'avoir vécus aussi, à cet âge-là. Passions enflammées, rêves de liberté, coups de foudre instantanés... l'adolescence est représentée de manière si réaliste et sincère que certains passages sont presque douloureux à voir, tant on se sent gêné-e pour Mei. Le terme cringe trouve ici une place maîtresse, par exemple quand la maman de l'héroïne se rend à son école pour lui apporter bruyamment le paquet de tampons qu'elle a oubliés. «Ces scènes étaient déjà présentes dès la toute première version du film, raconte Domee Shi auprès de l'Independent. Elles m'évoquent la réalité de cette période de vie telle qu'elle est, et je voulais foncer droit dedans, plutôt que de tourner autour du pot.»

Afin de mieux comprendre les messages et figures de styles présents dans Alerte rouge nous avons demandé l'avis de deux spécialistes. Et comme nous, si vous avez déjà vu le film, vous risquez d'avoir envie de le visionner une deuxième fois!

Les règles et la puissance féminine

Dans sa version originale, Turning Red, le titre du film évoque à la fois la transformation en panda roux et le fait de rougir de honte (l'émotion qui induit la première métamorphose), mais peut aussi suggérer les menstruations. Aussi le changement que vit le personnage évoque-t-il clairement ce moment important dans la vie d'une jeune femme. Il est inédit qu'un film d'animation issu d'une si grande entreprise tourne entièrement autour de cette thématique importante, encore sujette à un certain tabou, même aujourd'hui.

«Le fait que ce film mentionne plus ou moins directement la question des règles est une grande avancée dans la normalisation de ce phénomène naturel, analyse Léonie Chiquet, psychologue-psychothérapeute FSP. Un des défis actuels de notre société est de de lever le tabou des règles, afin d’atténuer la honte imposée aux femmes. Ceci passe par le fait d’en parler ouvertement dans les films, les séries, les magazines et les médias en général, en utilisant les mots justes et les couleurs appropriées. Les surnoms souvent ridicules donnés aux menstruations, ainsi que le liquide bleu utilisé pour représenter les règles dans les publicités contribuent à perpétuer la honte et le tabou d’un phénomène dont il s’agira d’être davantage fière car il représente un élément de puissance féminine. Il en est de même pour les poils, évoqués dans le film par la transformation de Mei en panda, animal poilu.»

Cette question de puissance féminine est effectivement primordiale dans le film. Sans vous spoiler, on peut souligner l'évolution des sentiments qu'éprouve Mei pour son «alter-ego» panda: d'abord très inconfortable et désireuse de se débarrasser de cette «malédiction», elle finit par comprendre qu'il s'agit d'une part d'elle, une force, quelque chose d'unique qu'elle se doit de chérir et d'accueillir, comme toute facette de sa personnalité. Il est intéressant de noter que sa mère, sa grand-mère et ses tantes, également dotées d'un alter-ego panda roux, ont tout fait pour le cacher, trop embarrassées pour le révéler au monde extérieur. Le message est véhiculé de manière assez subtile (on parle quand même d'un panda de deux mètres de haut!), mais lorsqu'on y pense, cela suggère que les règles ne devraient plus être taboues ou sujet de honte, mais acceptées pour leur aspect naturel et leur beauté.

Des émotions à vif

Or, le film n'aborde pas uniquement la question des menstruations, mais aussi l'intensité caractéristique de l'âge auquel elles apparaissent. Ainsi, il est possible de considérer que la taille impressionnante du panda roux symbolise la puissance des émotions survenant durant l'adolescence:. «Il s'agit d'une période de changement hormonal et de bouleversements émotionnels, poursuit Léonie Chiquet. L’entourage et en particulier les parents, ne reconnaissent souvent pas l’adulte en devenir qui est face à lui, tant les changements émotionnels peuvent être soudains et intenses. Il en est de même pour les adolescent-e-s eux-elles-mêmes que ces changements brutaux peuvent effrayer. Iels vont avoir besoin de temps et de soutien pour apprendre à s’accepter et à canaliser leurs émotions pour ensuite devenir des adultes davantage équilibré.e.s sur le plan émotionnel.

Une des ressources principales durant cette période est le groupe de pairs, qui, comme dans le film, représente un espace de sécurité permettant aux fortes émotions de s’apaiser.»

En effet, la relation phare du film, hormis celle de Mei et de sa maman, est celle de son groupe de copines. C'est leur amour inconditionnel et leur complicité qui, au début, permettent à l'héroïne de contrôler peu à peu ses métamorphoses impromptues: il lui suffit de penser à elles pour se sentir plus calme, acceptée et sereine.

Néanmoins, malgré toutes leurs meilleures tentatives de rester zen, les quatre jeunes filles vivent un véritable feu d'artifice émotionnel lorsque leurs parents leur interdisent de se rendre au concert de leurs rêves. S'en suivent des scènes reconnaissables, typiques de l'adolescence: Mei implore ses parents, tente de leur prouver (via une présentation Powerpoint) pourquoi elle doit se rendre au spectacle... puis, face à leur refus, sent la colère et le désespoir la submerger. «L'émotion qui revient passablement dans la bouche des ados en séance est celle du sentiment d'injustice, constate Jon Schmidt, psychologue et thérapeute de famille. C'est un âge où l'on peut devenir particulièrement sensible à cela. Au-delà des injustices ressenties pour des questions de temps d'écran ou d'heure de sortie, l'adolescent devient plus sensible aux injustices sociétales. On peut le voir par la préoccupation des jeunes pour les enjeux du climat par exemple. C'est l'âge où l'on choisit ses premiers combats où l'on se projette d'avoir un impact sur le monde et la société.»

La quête de soi

En effet (à nouveau sans vous spoiler), Mei finit par s'affranchir quelque peu des règles qui lui ont toujours été fermement inculquées par sa famille, pour adoucir les angles et intégrer davantage de ses véritables passions et valeurs à son identité. Par exemple, plutôt que de cacher à ses parents son amour pour la musique pop, elle ose le revendiquer et assumer davantage qui elle est réellement. Aussi cherche-t-elle son rôle, son but, autre que d'incarner la perfection aux yeux de ses parents. En acceptant le panda pour ses trésors, délaissant l'idée d'un sombre «alter-ego à dompter», elle découvre ce qui la distingue des autres, sans le craindre, sans se sentir inadéquate ou monstrueuse.

«Les adolescent-e-s sont, quasiment du jour au lendemain, projeté-e-s dans un nouvel univers rempli de nouveaux défis, explique Léonie Chiquet. Iels quittent un monde de l’enfance qui leur étaient familier et généralement sécurisant pour un autre, l’âge adulte, qui leur est totalement inconnu et qui peut leur sembler hostile et inquiétant. Un des défis majeurs de cette transition est la recherche et la construction de cette nouvelle identité, notamment à travers l’acceptation de ses particularités et de ses différences et l’affirmation de soi.

L’adolescence est une période qui permet d’entamer un processus de réflexion sur des questions existentielles telles que "qui suis-je?" et "quel est le sens de mon existence?".»

L'émancipation des parents

Aussi semble-t-il impensable d'évoquer Alerte Rouge sans approfondir la relation entre Mei et sa mère, Ming Lee, laquelle emprunte la voix de la talentueuse Sandra Oh. Soulignons en effet que la famille de l'héroïne est canadienne d'origine chinoise (tout comme la réalisatrice du film, Domee Shi) et que l'héritage culturel, lié au fait d'honorer leurs ancêtres, relève d'une très grande importance pour les parents de Mei, qui tiennent un temple chinois au cœur de Toronto. Ainsi, en voulant s'affirmer davantage et trouver un juste milieu entre ses valeurs familiales et sa passion pour certains pans de la culture occidentale, Mei doit briser l'image de fille parfaite qu'elle s'était imposée durant des années. La thématique est délicate, mais souvent nécessaire, ainsi que le confirment nos spécialistes. «L'opposition aux parents est généralement une conséquence de la remise en question de valeurs, de principes et de règles éducatives qui ne font plus sens pour lui, note Jon Schmidt. Dans sa quête de sens, l'adolescent développe sa capacité à penser par lui-même, ce qui est une très bonne chose. Les parents représentent l'autorité, les règles et un cadre auxquels l'adolescent s'oppose. Durant cette période de vie, c'est tout le système familial qui doit co-évoluer pour favoriser l'accordage de cette relation parents-enfants et que chacun y trouve son compte.»

«Cette étape n’est pas un passage obligé, ajoute Léonie Chiquet. Mais elle permet de devenir un adulte autonome, déchargé des attentes implicites ou explicites de ses parents, en mesure de faire ses propres choix et de se forger sa propre opinion, en particulier face à des parents envahissants et intrusifs, comme l’est la mère de Mei. Un des challenges de cette période est de s’autonomiser affectivement tout en acceptant la dépendance inhérente au statut de jeune vivant chez ses parents, de s’émanciper de ses parents tout en restant proche d’eux.» On se souvient notamment d'une scène très touchante dans laquelle Mei comprend enfin que sa mère, bien qu'autoritaire et stricte, est également traversée de doutes et d'émotions, qu'elle a été une enfant blessée, elle aussi. Et si vous avez lu jusqu'ici, vous ne nous en voudrez certainement pas de vous révéler que... Ming Lee possède également un panda, enfermé dans un recoin de son être, qu'elle n'a jamais pu accepter pour ce qu'il est. C'est finalement cette compréhension mutuelle qui permettra à Mei et Ming de reconstruire une relation harmonieuse, tout aussi proche qu'auparavant... mais emplie de davantage de liberté.

Le message final, alors, devient clair... Libérons et acceptions le panda roux géant qui sommeille en nous!

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