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Unterbäch, le Grütli de la femme suisse

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Les deux stars de ce jour de mars 1957: Katharina Zenhäusern et l'urne de vote fédérale.

© KEYSTONE/PHOTOPRESS-ARCHIV/Gassmann
«Je me souviens du 3 mars 1957 – j’avais 6 ans. Les rues étaient très animées, il y avait des journalistes, des cameramen et même le New York Times était venu à Unterbäch pour cette journée extraordinaire.»

64 ans plus tard, Germaine Zenhäusern se rappelle surtout à quel point, ce jour-là, sa mère était le centre de l’attention. De tout le village, de toute la Suisse, mais aussi de New York et du monde, donc.

Un acte symbolique fort pour l'avancée du suffrage féminin, qui a eu lieu non pas à Zurich ou Genève, mais à Unterbäch, 400 habitants à peine. © KEYSTONE/PHOTOPRESS-ARCHIV/Gassmann

Car ce jour-là, à Unterbäch, comme dans le reste du pays, on vote sur l’instauration éventuelle d’un service civil obligatoire pour les femmes. Enfin, on ne vote pas: seuls les hommes majeurs du pays se rendent aux urnes – forcément.

Toutefois, à Unterbäch, bourgade du Haut-Valais, c’est une petite révolution qui se prépare, qui se fomente, en catimini, depuis quelque temps déjà. En fin de journée, Katharina Zenhäusern, emmitouflée dans son manteau – beige et à motifs de chevrons, comme le rappelle le Blick – se rend au bureau de vote. Sous le regard des journalistes, des habitantes et des habitants du village, certains la soutenant, d’autres la conspuant. «Les rues étaient bruyantes, car tout le monde n’aimait pas cet événement, se remémore Germaine Zenhäusern. Moi, je n’ai pas osé sortir de la maison, toute cette agitation me faisait peur!»

Confiante, souriante même, sa mère – ô scandale – glisse son bulletin de vote dans l’urne. Les flashes crépitent, ça crie dans la salle:

«Madame a voté!»

Elle est la toute première femme suisse à donner son avis sur un sujet fédéral, quatorze ans avant l’obtention du suffrage féminin au niveau national. A sa suite, 32 femmes du village, sur les 88 habitantes, feront de même. Et il ne s’agit pas à proprement parler de désobéissance civile. Le Conseil municipal, malgré la mise en garde des autorités cantonales, a décidé d’accorder unilatéralement le droit de vote aux femmes du village. Toutefois, par mesure de précaution, deux urnes sont installées, afin d’éviter l’annulation pure et simple de la votation.

Chez les Zenhäusern, c'est toute la famille qui s'est impliquée à un moment ou l'autre pour l'égalité hommes-femmes. © KEYSTONE/PHOTOPRESS-ARCHIV/Gassmann

Cette action – on parlerait aujourd’hui de happening – aura été savamment préparée par Katharina Zenhäusern, ses voisines, l’instituteur du village et son propre mari, Paul Zenhäusern, président de la commune. Ce dernier avait déjà tenté, quelques années plus tôt, de faire passer une motion demandant l’égalité politique entre hommes et femmes au Grand Conseil valaisan, accompagné de l’avocat et homme politique Peter von Roten, mari de la militante des droits de la femme Iris von Roten. Sans succès. «Iris a été le moteur de mon engagement en faveur du suffrage féminin, elle est donc le véritable auteur du référendum à Unterbäch, avouera-t-il de nombreuses années plus tard, toujours dans le Blick. Certes, j’aurais été favorable, même sans son influence, mais je n’aurais guère combattu avec autant de véhémence.»

Les limites de la patience

En ce dimanche de mars 1957, soutenu par le législatif communal, il a enfin sa revanche. L’urne féminine ne sera au final pas officiellement dépouillée et les voix ne seront donc pas prises en compte, mais le but n’était pas là. Il s’agissait de dire haut et fort qu’il n’était pas normal que des hommes donnent, seuls, leur avis sur une question touchant les femmes du pays.

Depuis lors, Unterbäch se revendique fièrement, jusque sur le site internet de la commune, comme le Grütli de la femme suisse et célèbre fièrement cet héritage. Au centre du village, une statue commémore ce moment et un sentier didactique de 3,5 km est ponctué de citations de femmes célèbres du monde entier. Surtout, les femmes d’ici auraient, ancré en elles, une part de cette détermination. Germaine Zenhäusern la première.

«Nous avons souvent discuté de questions politiques autour de la table de la cuisine. Nous n’étions pas toujours d’accord, mais c’est ce qui rendait la discussion vivante et intéressante.»

Ce qui la marquera le plus, c’est l’obligation légale, pour une femme mariée, d’avoir besoin de la signature de son mari pour disposer de son propre compte bancaire et retirer de l’argent. Une raison supplémentaire qui explique son propre engagement dans la défense des droits des femmes, sur les plans politique et syndical. «Certaines choses ont été réalisées en termes d’égalité, certes, mais le principe d’un salaire égal à travail égal n’a pas encore été atteint, regrette la septuagénaire. Mes parents m’avaient conseillé d’être patiente et de persévérer… ils ont eu bien raison.»

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