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Stop aux violences verbales sur Tinder!

Le confinement a attise les violences verbales sur tinder

«Il faut trouver la force de mettre fin à un échange qu’on considère comme insultant ou agressif», partage Niels Weber, psychologue-psychothérapeute FSP, et souligne encore «qu’il est important de ne pas minimiser l’émotion ressentie sur le moment parce qu’elle est parfaitement réelle. Il ne faut pas s’interdire d’en parler par peur du jugement.»

© Getty Images

Un soir d’avril 2020 sur Tinder, Anna* entame une discussion avec son match:

- «Est-ce que tu es grosse?», demande son match.

- «Je ne pense pas que ce soit une bonne manière d’aborder une personne», lui répond-elle.

- «Envoie-moi plus de photos de toi, je ne vois pas si tu es grosse.»

- «Tu vois bien sur les photos que ce n’est pas le cas.»

- «Je suis certain que tu as un faux profil.»

- «Je t’assure que non.»

- «Prouve-le en m’envoyant un message sur WhatsApp!»

Sur WhatsApp, quelques minutes plus tard:

- «Alors, envoie-moi des photos de toi, je veux voir si tu es grosse.»

- «Est-ce qu’on peut parler d’autre chose que de mon physique? Les autres gens me parlent normalement, alors ça va pas le faire. Bonne soirée.»

- «Grosse c****! De toute façon tu as un faux profil. Tu ne trouveras jamais personne. Tu vas t’en ramasser plein la gueule…»

Passer, en quelques minutes seulement, de la légèreté d'une tentative de contact au bombardement d'insultes, c'est l'expérience faite par de très nombreuses abonnées de Tinder, l'application de rencontre la plus populaire au monde. Lucie* confirme le phénomène, qu'elle n'a jamais rencontré, précise-t-elle dans la «vraie vie»: «J’ai 35 ans et aucun homme ne m’a abordé de la sorte dans la rue ou dans un bar.» Aucun chiffre officiel, mais les témoignages se multiplient, depuis plus d'un an, de jeunes femmes inscrites sur le site butant sur ces bordées d'injures intempestives.

Pendant que la solitude du confinement les conduisait à s'inscrire davantage, le langage de ceux qui avaient besoin de se défouler, lui, montait en parallèle et en décibels. Au début, Anna voulait juste une solution pour garder un minimum de vie sociale. Après son inscription en avril 2020, elle entame une dizaine de conversations. Dès le premier soir, la dessinatrice de 37 ans se heurte à un homme au «comportement inacceptable». «Il était d'abord sympa. Mais rapidement, il est devenu insistant et horrible. J’ai dû le bloquer sur WhatsApp. Il ne s’est pas arrêté. Il m’a envoyée un iMessage: «Sale p***!» Je l’ai bloqué de partout. J’étais choquée. Je ne m’attendais pas à me faire insulter et harceler gratuitement alors que je me suis inscrite pour discuter et faire des rencontres. Je n'ai jamais vécu une telle agression dans la vie réelle», confie Anna. «Dégoutée par ces propos violents», la jeune femme se désinscrira de Tinder au bout de trois jours.

Espace perméable

Lucie raconte des expériences parallèles. Au début de la pandémie, elle tombe assez rapidement sur un homme qui lui lance d’emblée «tu as une jolie poitrine déjà, c'est bien». «J’étais assez choquée, surtout qu’il a insisté en redisant «tu as l’air d’avoir une jolie poitrine, non?» Quand, je lui ai fait remarquer que je n’aimais pas sa remarque, il m’a dit que «j'étais fermée et que ça n'allait pas le faire». La femme médecin n’en revient pas: «Dans mon profil, j’ai bien précisé que je recherchais une relation sérieuse. Pour moi, ce genre d’homme manque de confiance en soi et se cache derrière son écran pour pouvoir se lâcher, tenir des propos qu’il n’aurait jamais eu le courage d’avoir dans un bar.» Qu’est-ce qu’on ressent à ce moment-là? «Après la déception et la tristesse, on ressent de la colère.»

Pour Olivier Glassey, sociologue spécialiste des usages numériques, ce n’est pas étonnant qu’on ait l’impression d’une hausse des comportements toxiques: «La plateforme n’est pas du tout un ailleurs. Elle est progressivement devenue un espace perméable aux préoccupations des gens: incertitudes liées au climat, violences faites aux femmes, montée en puissance des mouvements comme Black Lives Matter, crise sanitaire… La polarisation des opinions ne fait qu’augmenter les tensions.

Tinder est devenu un lieu d’expression et parfois d’affirmation de convictions politiques. Une manière d’afficher ses choix, mais aussi ses rejets. En ce sens, les échanges peuvent prendre une forme violente.»

Que fait Tinder?

Les fondateurs de Tinder sont-ils conscients du problème? Ils ne donnent en tout cas que peu de signes officiels. Ce que regrette le sociologue lausannois:

«Aujourd’hui, on n’a toujours aucune donnée chiffrée pour quantifier le phénomène des comportements dits toxiques. C’est inquiétant que Tinder ne communique pas de manière explicite sur l’ampleur du problème. On ne peut que le déduire en observant les moyens financiers déployés dans des solutions techniques pour combattre cette culture toxique.»

Quand on y regarde de plus près, Tinder semble, en coulisse, tenter d'agir sur le phénomène. Entre 2020 et 2021, le site a lancé ou mis à jour plus d’une dizaine de fonctionnalités pour préserver la sécurité et prévenir le harcèlement. Début 2020 aux Etats-Unis, il a notamment ajouté la fonction «Does This Bother You?» («Est-ce que cela vous dérange?»). Cette question est posée aux membres lorsqu'ils reçoivent un message potentiellement offensant. Lorsqu'une personne répond «oui», elle a la possibilité de signaler l'expéditeur pour son comportement.

«Le problème, c’est que c’est toujours sur la victime de l’agression qu’incombe la charge de faire la démarche de dénonciation. Afin d’agir en amont du problème, ils ont développé un autre système qui utilise l’intelligence artificielle, souligne le sociologue lausannois Olivier Glassey. En effet, en mai 2021, l’appli a lancé «Are You Sure?» («Êtes-vous certain?») qui sert d’avertissement, en temps réel, pour inciter les utilisateurs à réfléchir à deux fois avant de valider un message. Concrètement, une intelligence artificielle lit les messages en cours de rédaction afin de détecter les propos injurieux. Proactive, elle avertit l'expéditeur que son message peut être offensant, en lui demandant de faire une pause avant d'appuyer sur le bouton d’envoi. Tracey Breeden, responsable de la sécurité au sein de la société mère de Tinder Match Group, est satisfaite de ce changement: «Les mots sont tout aussi puissants que les actions, et aujourd’hui nous prenons une position encore plus forte: le harcèlement n’a pas sa place sur Tinder.»

Mais, Olivier Glassey y voit une sorte de paradoxe:

«Comment peut-on construire une communauté où chacun a le sentiment de pouvoir être lui-même si l’expression de soi ne peut s’exprimer que par des messages techniquement validés comme neutres?»

Il y voit également un danger possible sur le long terme: «Se heurter à une personne au langage abusif sur l’application fournit aussi des indices et fonctionne comme une alerte en amont d’une éventuelle rencontre. Dans un monde de langage calibré et lisse, on perd une partie des informations qui nous aident, précisément, à éviter des rencontres problématiques.»

© Getty Images

Une violence double

La violence des mots est particulièrement éprouvante pour les femmes qui témoignent, parce qu'elle se rajoute à celle des comportements. Sur Tinder, d'une seconde à l'autre, on peut être zappé, oublié, annihilé. Eve* est une habituée depuis des années. «Au-delà des mecs insistants, malpolis, socialement inadaptés, c’est le phénomène du ghosting qui m’a le plus souvent blessé. Tu passes des heures, voire des jours à discuter avec une personne. Tu fixes même un date. Et, à quelques heures du rendez-vous, la personne annule, ne répond plus à tes messages. Et c’est fini. Les premières fois quand ça t’arrive, c’est très violent. C’était difficile de supporter ce genre de comportement parce que tu ne comprends pas la situation. Tu remets constamment en doute ta personne, ce que tu as fait de faux.»

A force d’être victime de ghosting, la jeune femme de 34 ans ne se gêne pas de reproduire ce comportement, elle ghoste aussi «sans doute par frustration». «Quelque part, je me dis que c’est une chance de pouvoir rencontrer autant de personnes, surtout quand on a un métier prenant, surtout durant la crise du Covid et en même temps c’est les règles du jeu. Je ne ressens pas ou plus de culpabilité à faire ce genre de chose.» Cette enseignante en histoire de l'art a appris à relativiser: «Avec le temps j’ai compris qu’il faut rester dans la légèreté et ne pas se fixer l’objectif de trouver le grand amour.»

Elle constate aussi qu’au fil du temps, elle tombe toujours sur les mêmes profils. «J’ai parfois l’impression de revivre le même schéma. Même si j’estime que chaque expérience nous renforce et nous fait avancer, je n’ai jamais pu faire durer longtemps une relation sur cette plateforme de rencontre.» Même ressenti chez Lucie, qui se rappelle du précieux conseil d’une amie: «Sur Tinder, il faut prendre beaucoup de recul, sinon tu seras toujours blessée.» Elle continue:

«Ce genre d’applis bouleverse profondément notre rapport aux relations amoureuses.

C’est très inquiétant. Elle invite à mal se comporter. Les gens osent se manquer de respect continuellement. Chaque fois que tu as un match, que tu envoies un message et que tu ne reçois aucune réponse, c’est que tu n’es pas assez bien et que tu ne mérites même pas un message pour te dire qu’au final tu n’intéresses pas. Une personne psychologiquement fragile supporterait difficilement ce genre de comportements et serait extrêmement déstabilisée.»

Niels Weber, psychologue-psychothérapeute FSP, spécialisé dans l’hyper-connectivité, entend souvent les «j’enchaîne les déceptions amoureuses» ou «j'ai l'impression de toujours attirer les mêmes personnes». «En fait, ce n'est pas complètement faux. D’une manière involontaire et inconsciente, on a un genre de comportement qui envoie un signal qui attire un genre de personne qui répond à ce signal.» Le Lausannois insiste:

«C’est important de ne pas se culpabiliser et de ne pas se dire qu’on n'est pas assez bien pour attirer de bonnes personnes. Il faut plutôt se questionner sur son vécu, sa famille… En faisant le pas de consulter un psychologue, on peut redéfinir de quoi on a vraiment envie et comment attirer d’autres types de personnes. Quand on utilise des applis de rencontre comme Tinder, il faut être au clair avec ce qu’on veut et surtout s’autoriser le droit à l’échec.»

Le psychologue tient encore à préciser: «Il faut trouver la force de mettre fin à un échange qu’on considère comme insultant ou agressif.» Il complète: «Dire stop à une conversation demande de l’énergie. Si on l’impression que c’est trop difficile d’arriver à le dire, il ne faut pas hésiter à demander un coup de main, à consulter.» Le psychologue souligne encore «qu’il est important de ne pas minimiser l’émotion ressentie sur le moment parce qu’elle est parfaitement réelle. Il ne faut pas s’interdire d’en parler par peur du jugement.»

*Noms connus de la rédaction

L'avis de la Police

A partir de quel moment les membres de Tinder se sentant victimes d'une violence verbale ou physique peuvent-elles/ils se tourner vers la police? Florence Frei, chargée de communication à la Police cantonale vaudoise répond: «Ces personnes peuvent à tout moment s'adresser à la police pour dénoncer des faits dont elles ont été victimes, et elles ont accès à l’Aide aux victimes d’infractions (LAVI) pour être conseillées et soutenues dans des démarches juridiques (y compris la mise à disposition d'un avocat). On va prendre la déposition de manière à permettre des investigations plus approfondies et, cas échéant, l’ouverture par le Ministère public d’une procédure pénale. Ce genre d'affaires est traitée avec tact, professionnalisme et dans le respect des victimes par des policiers spécialistes. Dans la procédure, il est proposé aux victimes d'être entendues par une personne du même sexe à tous les stades de la procédure.»

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