portrait
SOS Méditerranée: Caroline Abu Sa’da, son combat pour la vie
Enfant, Caroline Abu Sa’da rêvait de sauver le monde. Les années ont passé. Pas son besoin viscéral de justice et de «faire quelque chose».
Si bien qu’aujourd’hui, à 44 ans, après un doctorat en science politique et relations internationales à Sciences Po Paris, des mandats au Moyen-Orient et en Afrique pour Oxfam, la FAO ou Médecins sans frontières, elle dirige l’antenne suisse de SOS Méditerranée. Et s’apprête à lancer une Fondation pour l’action humanitaire en mer – toutes les mers: «Vu que cela intéresse l’Union européenne à différents niveaux, on a de la visibilité sur ce qui se passe en Méditerranée. Qu’en est-il des autres routes migratoires maritimes?» Elle reprend:
«Mon but, c’est de travailler à la fois sur un dialogue diplomatique large autour de ces questions-là, d’améliorer les collectes de données et l’analyse sur ces routes et, en parallèle, de soutenir des opérations de sauvetage partout dans le monde.»
Impossible… ou pas!
Un nouveau projet magnifique, certes, mais irréalisable, non? Caroline Abu Sa’da sourit: «Plus on me dit que c’est impossible, plus ça me motive. C’est d’ailleurs une notion que j’aimerais inculquer à ma fille, qui a maintenant 10 ans: ne te laisse pas dire que tu ne réussiras pas, parce que les choses ne restent infaisables que si on n’essaie pas de les faire!»
Maintenant songeuse, la lauréate 2023 du Right Livelihood Award (ou Nobel de la paix alternatif) au nom de SOS Méditerranée poursuit: «Toute ma vie professionnelle a été consacrée à chercher des solutions à des problèmes humanitaires dans des zones ou sur des sujets où mon action peut vraiment être une valeur ajoutée. Ça peut être dur, tendu, émotionnellement difficile, parfois même décourageant. Sans compter qu’on devient facilement la cible d’attaques, de propos haineux et violents – comme ça m’arrive à cause de mon engagement avec SOS Méditerranée.
Mais… comment pourrais-je me regarder dans la glace si je ne faisais rien d’une manière ou d’une autre?» Car pour elle, face à l’insoutenable, détourner les yeux sans bouger n’est pas une option. Et ne l’a jamais été: «Cette aversion pour l’injustice, quelle qu’elle soit, me vient probablement de l’enfance», relève-t-elle.
Une révélation
En sirotant un café, Caroline Abu Sa’da remonte le temps, replonge dans ce Lille des années 80 où certains cafés interdisaient encore leur entrée aux chiens et aux Arabes et raconte. D’un côté, son père palestinien qui ne maîtrise pas parfaitement le français et vit très mal la première Intifada, en 87. De l’autre, sa mère, dont la famille typique du Pas-de-Calais, «très catholique», redoute tant «l’étranger.» Au centre, elle. Un statut déstabilisant qui lui permet de comprendre dès son plus jeune âge ce qu’injustice et inégalité de traitement veulent dire. Mais que peut faire une enfant face à cela?
En 1991, elle trouve la réponse: «J’ai 11 ans et, pour la première fois de ma vie, je pars en Palestine pour les vacances. Tout au long de cet été, je rencontre la famille de mon père et découvre le quotidien des Palestiniens… Ça a été une espèce de révélation: il fallait que j’aide ce pays!»
Décidée à devenir diplomate, elle suit un cursus brillant qui lui ouvre de facto les portes des ambassades… en théorie. Caroline Abu Sa’da est en effet considérée comme «trop jeune», on lui demande d’attendre. Ce qu’elle fait en se lançant dans un doctorat. Et voilà qu’au début des années 2000, en deuil de sa mère et en séjour à Gaza pour travailler sur sa thèse, elle est engagée par Oxfam pour faire une recherche sur les conséquences de l’occupation israélienne sur l’agriculture palestinienne.
Son rapport, qu’elle parvient à transformer en projet concret, lui donne de nouvelles perspectives et la fait entrer dans l’univers des ONG – où sa vision globale fait mouche: «Je pars moins sur le terrain depuis que j’ai ma fille, mais je pense qu’il est important de comprendre non seulement quelles mesures sont nécessaires pour améliorer les situations mais aussi de réfléchir à comment les appliquer dans la pratique en tenant compte de nos erreurs passées.
Or ça, c’est en effet une double conception de l’action humanitaire que nous sommes assez peu à avoir!» Fichant? Peut-être. Mais pas de quoi la décourager: Caroline Abu Sa’da continue et continuera à se battre pour la Vie.
Bio express
1979 Naissance le 29 novembre, à Lille (F).
1991 Premier voyage en Palestine.
2005 Obtention de son doctorat en science politique et relations internationales.
2013 Naissance de sa fille, à Genève.
2017 Fondation de l’antenne suisse de SOS Méditerranée.
2023 Lauréate du Right Livelihood Award 2023 –Prix Nobel de la paix alternatif remis à Stockholm le 29 novembre.
2025 Lancement d’une fondation pour l’action humanitaire en mer.
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