Disparition mystérieuse
Qu'est-il arrivé à Amelia Earhart, aventurière du Pacifique?
C’est une histoire qui commence comme celle du film Titanic: sur l’écran d’une équipe de scientifiques un peu fous, on voit apparaître l’image fantomatique d’une épave mythique, gisant à 5000 mètres de profondeur dans l’océan. À ceci près qu’ici, il ne s’agit pas d’un paquebot. La forme qui se dessine n’est pas des plus précises, mais l’allure générale est celle d’un avion. Pour Tony Romeo, ancien officier américain et magnat de l’immobilier reconverti dans l’exploration des mers via sa société Deep Sea Vision, pas de doute, il a devant les yeux les restes du bimoteur d’Amelia Earhart, posé sur les fonds marins depuis près de 90 ans.
La célèbre aviatrice des années 20 et 30, pionnière des pionnières parmi les pilotes, a en effet disparu lors d’un vol dans cette région de la Polynésie en 1937 sans laisser de traces. À l’époque, on navigue évidemment sans GPS, uniquement à vue et en utilisant les quelques instruments à bord, dont une boussole et un sextant. Amelia Earhart devait atterrir sur un îlot d’à peine 3 kilomètres carrés après avoir parcouru des milliers de kilomètres au-dessus de l’océan Pacifique. A priori, ce plan de vol audacieux était trop chirurgical. Ni la pilote, ni son navigateur, ni son avion n’ont été revus.
Cette soudaine évaporation dans le ciel des antipodes a scellé la légende de cette aventurière féministe qui faisait tout sans filet. Lorsqu’on est une femme avec des ambitions, dans la première moitié du XXe siècle, il faut savoir se lancer sans penser au retour si l’on veut espérer exister dans un monde de mâles. C’est ce que cette native du Kansas a très vite compris.
Virtuose ailée
Earhart décolle pour la première fois, en tant que passagère, en 1920.
Promesse tenue. Un an seulement après son baptême de l’air, elle décroche sa licence de pilote, devenant la seizième femme de l’Histoire à savoir maîtriser un aéronef. Ayant acquis son propre avion, elle ne tarde pas à enchaîner les performances et à clouer les mecs au poteau, battant par exemple le record d’altitude en atteignant 4300 mètres.
Elle est déjà une célébrité du ciel lorsque, en 1928, on l’invite à embarquer pour un vol transatlantique, alors trajet totalement périlleux, en tant que consignataire du carnet de bord, en compagnie d’un pilote et d’un mécano. «Quels vêtements portiez-vous pendant le vol?», s’empressent de lui demander les journalistes à son arrivée au Pays de Galles. C’est peut-être à cause de ce type de questions sexistes complètement à côté de la plaque qu’Amelia Earhart, féministe convaincue, a voulu mener les choses par elle-même.
Des challenges de l'extrême
La voici qui retraverse l’Atlantique en 1932, seule cette fois, devenant la première femme à vaincre cet océan en solitaire quelques années après le même exploit de Charles Lindbergh. Arriver en seconde position derrière son compatriote lui vaut malheureusement le sobriquet de «Lady Lindy» dans les médias. Prête à prouver qu’elle vaut mieux qu’une doublure féminine des champions testostéronés, elle envisage d’être la première personne à boucler un tour du monde en avion, ce qui semble inatteignable en ces années 30 où les avions ont des autonomies limitées, et où les pilotes jetés en plein ciel sont à la merci des éléments.
Quelques semaines après une première tentative ratée qui finit en semi crash, Amelia Earhart s’envole de Californie à bord d’un Lockheed L-10E Electra, le 21 mai 1937, avec son navigateur Fred Noonan. Direction l’est, pour un parcours le long de l’équateur de plus de 40 000 kilomètres découpé en une vingtaine d’étapes, comprenant des ravitaillements en Amérique du Sud, en Afrique et en Inde.
Mirages d’îles à l’horizon
Tout se déroule à merveille. L’avion arrive à Lae, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, début juillet. Il ne reste que deux tronçons avant de rejoindre à nouveau les États-Unis, mais ce sont ceux que la pilote et son collègue redoutent le plus: deux interminables vols en plein milieu de l’immense océan Pacifique, de vrais sauts dans le vide pour l’époque.
Le 2 juillet, l’Electra redécolle, direction le minuscule atoll de Howland, à 4000 kilomètres. Vingt heures s’écoulent, le binôme n’est plus très loin de son objectif, une vedette des gardes-côtes américains, l’Itasca, est même dans les parages pour guider l’avion par radio. Mais les globe-trotteur-euse-s des airs, qui arrivent en plein jour, sont berné-e-s par les innombrables ombres des nuages sur la mer, qui font tout ressembler à des îles.
La voix qui crépite dans le micro est si claire et forte que l’avion doit en effet être tout près, pense l’équipage du bateau. Un second message lui parvient. «Nous tournons en rond mais ne voyons pas l’île et ne vous entendons pas (…) nous cherchons au nord et au sud.» C’est le dernier signe de vie d’Amelia Earhart et de son coéquipier. Pendant les deux semaines suivantes, les États-Unis lanceront 60 avions et des dizaines de bateaux à la recherche du Lockheed dans la zone. En vain.
Un pot de crème solaire
Dès lors, les théories vont bon train. L’avion aurait bifurqué vers le nord, sur les îles Marshall, où le binôme aurait été fait prisonnier par les Japonais, qui contrôlaient déjà la zone, puis serait mort pendant sa détention. Pour d’autres, l’Electra aurait plutôt fait cap vers le sud pour rejoindre la petite île inhabitée de Nikumaroro, où il aurait amerri en urgence.
Amelia Earhart et Fred Noonan y auraient survécu en mode Robinson, avant de dépérir et d’être mangés par les crabes terrestres géants qui y pullulent. Version appuyée par une expédition britannique en 1940: on y découvre quelques restes humains, une semelle de chaussure féminine ainsi qu’un fragment de pot de crème destinée à protéger les peaux claires à taches de rousseur – Amelia Earhart, justement, était rousse.
Envoyés aux îles Fidji pour y être analysés par un médecin légiste, les ossements sont identifiés comme masculins… puis perdus. En 2017, la mise au jour d’une photo d’archive, elle, tendrait plutôt à prouver la thèse de l’atterrissage chez les Japonais: on y distingue une femme élancée comme Amelia Earhart, debout sur le port de l’atoll Jaliut en compagnie d’un sosie de Noonan. Mais patatras: une expertise prouve rapidement que le cliché date en fait de 1935, deux avant avant la disparition de l’avion.
Silhouette au fond de la mer
Le découvreur de l’épave du Titanic, Robert Ballard, va, lui, explorer la piste de Nikumaroro en 2019, sûr de son flair.
Il revient bredouille… C’est en janvier 2024 que les choses semblent prendre un tournant décisif: le millionnaire Tony Romeo rend publique l’image prise avec le sonar de son drone sous-marin, non loin de l’atoll d’Howland. On y voit une forme ressemblant fortement à un avion. Et si c’était enfin le bimoteur d’Amelia Earhart?
En attendant un futur voyage sur zone de Deep Sea Vision pour aller prendre des photos dans les abysses, nombre d’expert-e-s sont sceptiques, ne reconnaissant pas la silhouette d’un Lockheed L-10E Electra.
Qu’elle soit retrouvée ou perdue à jamais, Amelia Earhart demeure une inspiration pour l’éternité.
Bio
1897 Naissance dans le Kansas, États-Unis.
1932 Vol transatlantique en solitaire. Elle est la première femme à réussir cet exploit.
1937 En mai, elle débute sa tentative de tour du monde par l’équateur. Début juillet, elle disparaît.
2018 Une étude affirme que les os retrouvés en 1940 à Nikumaroro, au départ identifiés comme masculins, étaient bien ceux d’une femme ressemblant à Amelia Earhart, mais l’analyse ne se base que sur des photos des restes humains.
2024 L’explorateur Tony Romeo déclare avoir localisé l’épave au sonar entre l’Australie et Hawaii.