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Profession journaliste: 7 femmes suisses nous racontent

Femmes journalistes suisse portraits

«Moi, j’estime être plus ouverte aux émotions et plus apte à gérer des situations sensibles que certains de mes collègues masculins. Sans vouloir généraliser, les femmes ont davantage d’écoute. Elles sont peut-être plus en lien avec la vie réelle.» - Catherine Sommer, journaliste et productrice de Mise au Point, à la RTS

© Charles-Elie Lathion

La SSR vient de publier les conclusions de l’enquête qu’elle a lancée à la suite de l’article paru dans Le Temps concernant des cas de harcèlement au sein de la RTS. Des têtes sont tombées, d’autres ont décidé de démissionner, le feu n’est pas éteint. Début juin 2021 est annoncé le rapport d’un groupe d’experts mandaté par le média de service public pour faire état des plaintes des collaboratrices et des collaborateurs pour harcèlement ou comportements inappropriés. Le journal La Liberté est attaqué par un collectif féministe en raison de la publication d’un courrier de lecteur qu’on qualifiera, par politesse, de sexiste et vulgaire. Le groupe Tamedia n’est pas épargné par les critiques en Suisse alémanique. La question du langage épicène divise les rédactions. Bref, le monde des médias est secoué lui aussi par les exigences de changement, la remise en question des inégalités entre hommes et femmes, la question des genres.

Au-delà de ces débats nécessaires, qu’en pensent ces femmes qui ont choisi le métier de journaliste? Quelles sont les difficultés rencontrées? Quel sens donnent-elles à leur profession? Nous avons rencontré sept femmes journalistes aux parcours et aux âges différents. Elles travaillent pour un média public ou privé, dans la presse écrite ou audiovisuelle, elles sont au bout de leur formation ou en train de changer de rédaction, elles ont des responsabilités ou privilégient le temps long et solitaire de l’investigation. Entretiens, à plusieurs voix.

Marine Brunner, 22 ans

Étudiante à l’Académie du journalisme et des médias (AJM), à Neuchâtel

© Charles-Elie Lathion

Elle ne souhaite pas se laisser enfermer dans une catégorie. «Je veux toucher à tout: TV, radio, presse écrite, web.» Tout en explorant des sujets encore tabous, «ceux que les hommes auraient moins tendance à aborder». Un exemple? «Les femmes consommatrices de porno. Pourquoi les hommes assument qu’ils regardent du porno alors qu’il y a encore quelque chose de très secret du côté des femmes?» Elle travaille sur le sujet pour L’Illustré.

Au sein des rédactions côtoyées jusqu’à présent, elle a toujours trouvé qu’il y avait une certaine équité. Toutefois, au début d’un stage, elle se rappelle les propos tenus par un de ses chefs: «La nana qui t’a précédé était une belle plante, mais n’était pas une lumière.» «C’était très gênant.» Au bout de quelques semaines, elle a pris son courage à deux mains pour dénoncer le sexisme de la remarque: «Mais il l’a pris à la légère, pour lui ce n’était pas insultant.»

Quand on entre dans la profession, comment ressent-on les récents scandales à la RTS et à La Liberté? «J’ai lu l’article sur Darius dans Le Temps, en me disant: «Ce n’est pas possible. La RTS est un média qui fait rêver. Darius un journaliste que j’admirais, que je trouvais intègre. Je me suis dit que si lui était capable d’avoir des comportements douteux, alors tout le monde pouvait les avoir. Ça m’a beaucoup ébranlée.» Aujourd’hui, il a été innocenté, ça change?

«Quelque chose reste cassé. J’ai l’impression qu’on fait un peu l’impasse sur les témoignages. Que le fond du problème n’a pas forcément été abordé.»

Quid de l’affaire de La Liberté? «J’ai trouvé le courrier de lecteur abject. En même temps, je me suis mise à la place du rédacteur en chef qui, au départ, a dit qu’on doit tout publier tant que ce n’est pas contraire à la loi, je comprenais sa position. Mais, je pense qu’en tant que rédactrice en cheffe, j’aurais jeté cette lettre à la poubelle. La situation est délicate. Il faut tout prendre avec des pincettes pour satisfaire tout le monde. J’ai peur aussi de ce moment où on ne pourra plus rien dire.»

Romaine Morard, 42 ans

Journaliste et productrice de La Matinale sur RTS La Première

© Charles-Elie Lathion

La voix radio qui met du soleil dans nos matins, nous parle à 30 minutes de la séance de rédaction qui préparera La Matinale du lendemain. Il est 9 h 30, sept heures qu’elle est debout. Combien de temps peut-on tenir ce rythme? La question l’amuse. «Tant qu’on ne lit pas les articles qui parlent des effets du travail de nuit…»

Tous les matins, elle oublie son genre: «En tant que femme, on a peut-être envie de défendre certains sujets. Mais mon rôle n’est pas de militer. Je travaille pour le service public. Je donne la parole à tous les bords.» Cela lui crée «zéro frustration». «Le jour où je me sentirai porteuse d’une cause, je changerai pour un média d’opinion.» Lors de la grève des femmes, en 2019, celle qui «aime vivre les événements en direct» choisit de rester à l’antenne.

«L’auditeur n’a pas à savoir où je me situe par rapport à une cause, sinon je perds toute crédibilité.»

L’addict de la politique ne voit pas les rapports professionnels sous le prisme du genre. «Cela n’a jamais eu d’impact sur ma carrière. Le seul moment sensible, c’était mes grossesses. Allait-on me laisser à l’antenne ou à l’écran? Finalement, c’était plus un problème pour mes habilleuses.» Elle avoue avoir ressenti un avantage à être une femme lorsqu’elle était correspondante au Palais fédéral. «Il pouvait y avoir une bienveillance de la part de certaines politiciennes.» Elle se souvient d’un moment avec Doris Leuthard. «Je devais l’interviewer, mais elle était en retard pour son voyage à l’étranger et sa porte-parole suggérait d’annuler. Elle a eu cette phrase magique: Puisque c’est vous et que vous êtes une femme, je prends le temps.»

La journaliste se souvient qu’à cette époque, elle «n’a pas été épargnée par les remarques déplacées. A 27 ans, on baisse les yeux et on attend que ça passe.» Mais la Ninja, comme l’appellent ses copines, sait se défendre. Elle plaint ceux qui «se sont pris des talons aiguilles dans le bas du dos après un geste déplacé…»

Il est 10 heures passées. Elle est en retard à sa séance. «Je finis à 11 h 30, puis je file à la sieste avant de retrouver mes enfants.»

Thérèse Courvoisier, 46 ans

Journaliste à 24 Heures, rubrique culture/société

© Charles-Elie Lathion

Elle rit. Elle parle vite et bien. «J’ai deux Spritz dans le sang, j’espère être adéquate!» L’humour, c’est sa force. Une arme qui lui «a souvent permis de remballer les approches maladroites sans passer par la froideur». Elle évoque un moment marquant dans sa carrière de journaliste sportive: l’interview de l’entraîneur Lucien Favre. «J’étais jeune. Quand il m’a vu approcher, il a demandé que je lui explique la règle du hors-jeu. Un peu comme si je devais donner un mot de passe pour mériter ses réponses. Je ne me suis pas laissée entraîner dans la provoc.» Aujourd’hui, lorsqu’elle le croise au marché, à Lausanne, «cette anecdote est synonyme de connivence» entre eux.

Dans le bastion masculin du journalisme sportif, «d’abord tu luttes pour trouver ta place. Après tu passes au statut de chouchou, protégée par les collègues ou certains sportifs.» Mais elle apprécie «le challenge de se faire respecter». Elle aime écrire sur le sport «parce qu’il y a de l’émotion brute. En une fraction de seconde, après un but, par exemple, la moitié de la planète pleure de joie, l’autre moitié de tristesse.» Elle évoque avec fierté ses couvertures des JO. «Le sport m’a même permis de serrer la main de Nelson Mandela.»

Cette passionnée du sport constate que son genre est parfois un avantage. «Lors des conférences de presse, tu sors du lot, ne serait-ce que par la couleur des cheveux. Si, en plus, tu es la fille drôle et chaleureuse qui écrit plutôt juste, ça aide pour les prochaines fois. Le revers de la médaille, c’est que parfois on sous-entend que tu as décroché une interview parce que tu es une femme.» Elle estime aussi qu’une femme peut créer plus facilement des liens.

«Il y a une part de séduction dans toute interview. Comme si on se tenait devant une bête méfiante qu’on doit apprivoiser. Nous sommes plus enclines à mettre en confiance.»

Difficile de quitter un métier passion exercé avec ferveur. Mais concilier un travail aux horaires exigeants et une famille a été compliqué pour elle. «J’ai choisi d’abandonner le journalisme sportif pour me consacrer à mon fils à qui j’ai transmis ma passion du sport.»

Cynthia Ruefli, 37 ans

JRI et ex-animatrice à La Télé. Actuellement au Journal de Morges pour trois mois

© Charles-Elie Lathion

De nature optimiste et extravertie, elle s’étonne du côté renfermé affiché par certains journalistes. Parfois, elle lance un: «Je suis contente d’être là.» En retour, elle a droit à «un regard suspicieux». Ou alors un: «J’adore ce que je fais.» Et «il y a toujours une personne pour trouver ça bizarre. Peut-être que c’est culturel, va savoir.»

D’origine malgache, elle est attachée à la question de la diversité. «Dans le monde de l’audiovisuel, c’est important de voir des gens qui nous ressemblent. Petite, j’avais vu une femme métisse à la BBC, je me suis dit: Waow, il peut y avoir des filles comme moi, à la TV. Et pourquoi pas en Suisse?»

Ce qu’elle aime avant tout dans son métier, c’est «la spontanéité, chercher l’émotion pour la raconter en image». Elle regrette parfois qu’on sous-estime la compétence des femmes.

«Dans le domaine du sport, par exemple. Je suis une fan de foot. Je me suis retrouvée dans une séance de rédaction où on a pensé que je ne pourrais pas traiter le sujet convenablement parce que j’étais une femme.»

Elle déplore aussi le manque de solidarité dans le métier en général et entre femmes en particulier. «On dit qu’il y a une féminisation du métier. Je veux bien. Mais comment se fait-il que cela ne s’accompagne pas de plus de solidarité professionnelle? On devrait se voir autour d’un verre pour échanger des idées, se raconter les aventures de boulot sans concurrence, juste avec complicité. Et si ça passait par la création d’un club de femmes journalistes?»

On décèle chez cette JRI une envie de bien faire, doublée d’un besoin de rassembler et d’un désir d’allier bonheur et travail. Et sa recette pour concilier travail et famille? «Il faut surtout un bon conjoint. J’ai un garçon de 22 mois. Si j’ai pu tenir le rythme dans le cadre de la télévision régionale en étant jeune maman, c’est parce que j’avais l’appui de mon partenaire. Je n’ai jamais rien demandé à mon employeur pour alléger mon travail, si ce n’est un sac à roulettes pour transporter mon matériel (caméra et trépied) durant ma grossesse.» Elle a récemment quitté La Télé pour la presse écrite. «J’avais besoin de souffler un peu. Mais, je sais que je reprendrai la caméra parce que c’est ça qui me fait vibrer.»

Magalie Goumaz, 53 ans

Rédactrice en cheffe adjointe à La Liberté

© Charles-Elie Lathion

«On ne discutera pas de l’affaire de la lettre de lecteur de La Liberté, car au sein de la rédaction, nous n’avons pas encore eu l’occasion de tirer les enseignements des événements!» D’emblée, elle pose le cadre d’une voix directive, mais riante. Elle tient juste à souligner qu’«un journal doit accompagner l’évolution sociétale. Mais je suis avant tout une journaliste. Mon rôle n’est pas de militer, mais d’analyser et de transmettre l’information.» Son métier la questionne en continu: «Suis-je suffisamment sensible aux questions de genre? Dois-je l’être et comment?»

Sa solidarité féminine, elle l’exprime notamment en restant attentive aux titres. «Une femme a été nommée à la tête de… ne passera jamais avec moi! Ce n’est pas une information.» Elle est aussi sensible «au vocabulaire utilisé dans les portraits de femmes». Elle interroge chaque mot: «Sert-il l’article? Ou s’agit-il d’un stéréotype?»

Aujourd’hui, elle est admirative devant les jeunes générations, celles qui osent dénoncer les comportements inappropriés. «A mes débuts, on était moins de femmes dans la profession. J’ai surtout appris à faire le dos rond. A m’insensibiliser, parce qu’il ne fallait pas montrer que des propos ou des comportements pouvaient m’affecter.» Elle est aussi bluffée par l’envie des jeunes de concilier travail et vie de famille, ce qu’elle «n’a pas essayé».

«A 30 ans, ça me paraissait impossible de pouvoir exercer pleinement ma profession, comme je l’entendais, et de fonder une famille.»

L’avantage d’être une femme? «J’ai souvent été sollicitée pour siéger dans des commissions, des jurys ou des débats parce qu’il y avait besoin d’un quota femme. Ça m’a donné une visibilité.» Ces dernières années, elle s’est beaucoup intéressée aux facettes du féminisme. «En 1991, je n’ai pas participé à la grève des femmes. J’étais journaliste stagiaire. Mon salaire, établi selon une grille, était identique à celui de mon collègue masculin. Je travaillais ni plus ni moins que lui. Je ne me sentais pas concernée.» En revanche, c’était une évidence de rejoindre la grève en 2019. «J’ai pris congé ce jour-là pour participer. L’égalité salariale, l’égalité en général n’est toujours pas appliquée pleinement et je voulais montrer ma solidarité.»

Catherine Sommer, 53 ans

Journaliste et productrice de Mise au Point, à la RTS

© Charles-Elie Lathion

«J’ai parfois l’impression d’être dépassée par certains débats.» Ces derniers mois n’ont pas été de tout repos pour l’ex-présentatrice emblématique du 12h45. Elle s’est sentie emportée par la polémique sur le langage épicène, comme terrassée par une tornade. «Mon bonsoir à tous, que je dis depuis 30 ans, était soudain considéré comme exclusif. Jamais je n’aurais imaginé que mes propos puissent être vus comme injustes. Suis-je le produit de cette société qui a intégré un réflexe sexiste? Aurais-je tant subi le sexisme que je le normalise?» Désormais, elle opte pour «bonsoir à vous».

La productrice regrette d’être réduite au rang de «petite cheffe» par la période de crise. Ce qui a une conséquence: «Je suis exclue de certains débats internes sous prétexte que les chefs se tiennent les coudes entre eux. C’est très blessant. Je ne suis pas une personne de pouvoir. Je me suis toujours promis que si je devenais productrice, je travaillerais dans la bienveillance, surtout avec mes jeunes collègues féminines.»

Dans son métier, elle défend un «journalisme constructif». «On ne rend pas simplement compte, on redonne aux citoyens le pouvoir d’agir.» Elle ignore si certaines qualités sont liées au genre ou à la personnalité.

«Moi, j’estime être plus ouverte aux émotions et plus apte à gérer des situations sensibles que certains de mes collègues masculins. Sans vouloir généraliser, les femmes ont davantage d’écoute. Elles sont peut-être plus en lien avec la vie réelle.»

Durant sa carrière, elle ne s’est «jamais sentie freinée, dénigrée, rabaissée ou exclue par rapport à son genre». En revanche, elle a pu se sentir limitée par le fait d’être mère. «C’était rock’n’roll d’allier vie professionnelle et trois enfants. C’est illusoire de croire qu’on peut tout faire bien. Il y a des choix à opérer. J’ai conditionné mes ambitions. Je savais que je ne pouvais pas aspirer à des postes à responsabilités, qui demandaient une énorme présence, ou que je devais renoncer aux grands reportages quand mes enfants étaient petits.»

Camille Krafft, 44 ans

Journaliste d’enquête à 24 Heures, Lauréate du Prix Dumur 2017 et du Swiss Press Print Award 2019

© Charles-Elie Lathion


«J’ai appris au fil des années que la réalité est toujours plus nuancée que ce qu’on imagine.» La nuance, elle y tient. «Dans mon métier, je dois garder en tête autant les victimes de harcèlement que les conséquences qu’un grand déballage peut avoir sur un humain.»

Les personnes mises en cause dans ses articles, du côté du pouvoir politique ou financier, sont presque toujours des hommes. «Dans une enquête, j’ai l’impression qu’on estime les femmes journalistes plus inoffensives. On s’en méfie moins, c’est un avantage. Et sur le terrain, ça désamorce souvent l’agressivité.»

Côté sexisme? «Quand j’étais jeune journaliste et que j’arrivais au rendez-vous avec mon photographe, l’interviewé le saluait souvent en premier, pensant que c’était lui le journaliste et moi l’assistante. Récemment, dans un tribunal, j’étais assise dans l’espace réservé aux médias. Le président m’a interpellée, en plein procès: Mademoiselle, vous êtes stagiaire?»

Elle est consciente de l’occupation du temps de parole par les hommes dans certaines rédactions, mais n’en est pas «frustrée». Elle «n’a pas forcé-ment besoin d’exister à travers la parole» et préfère «s’exprimer par ses articles». Elle évoque trois qualités souvent qualifiées de «féminines» importantes dans le métier: l’empathie, la patience (de réunir les différents éléments d’une enquête) et le doute. «Je doute de tout ce qu’on me présente comme des évidences et je doute de moi-même jusqu’au bout. Ai-je pris la bonne voie? Ce que je m’apprête à sortir, est-ce d’intérêt public?»

Son travail a été récompensé à deux reprises. Qu’est-ce qu’on ressent? «On se sent très honorée. Surtout que ces prix ont récompensé des longs formats, un genre auquel je suis très attachée.» Elle a été primée pour son portrait de Christian Constantin. Un personnage compliqué? «En essayant de me convaincre qu’il était super, il m’a fourni la matière pour mon article.» Des exemples? «Il m’appelait cocotte, me suggérait d’opter pour la boxe thaï plutôt que l’anglaise parce que ça fait de belles fesses… ces sorties machistes m’arrangeaient bien, puisque j’étais dans une logique de décrire le personnage.»

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