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Violences sexuelles

Procès de Mazan: Le fantasme du viol reste répandu chez les hommes

Le violeur, c'est monsieur tout le monde

Avant de découvrir par hasard que son époux lui faisait vivre de telles atrocités, Gisèle Pelicot, 71 ans aujourd’hui, le voyait même comme «un super mec», qui la rendait heureuse et choyait leurs petits-enfants.

© AFP/CHRISTOPHE SIMON

«Hors norme», «exceptionnel», «singulier»… Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner le retentissant procès qui s’est ouvert il y a quelques jours à Avignon, dans le département français du Vaucluse. Derrière ce que les médias ont déjà baptisé l’affaire de Mazan, du nom du paisible village provençal où se sont déroulés les faits, l’histoire d’un père de famille jusqu’ici sans histoire qui droguait régulièrement son épouse à son insu puis invitait des hommes rencontrés sur internet à avoir des relations sexuelles avec elle.

Ce scénario impliquant soumission chimique, fantasmes déviants et absence de consentement s’est répété des dizaines de fois durant une décennie, Gisèle Pelicot, la victime, n’étant jamais consciente de ce qu’elle avait subi. Outre le caractère sordide de ces séances de viol organisées et de cette exploitation sexuelle d’une femme qu’on ne réduisait plus qu’à un corps inerte à pénétrer, c’est aussi le profil des accusés qui interpelle.

Après plusieurs années d’enquête méticuleuse, la police a pu identifier une cinquantaine de ces individus «recrutés» en ligne par le mari, Dominique Pelicot. Sur le banc des accusés au tribunal d’Avignon? Un pompier, un infirmier, un artisan, un journaliste, un gardien de prison, un retraité, le client d’une boulangerie… On est loin, bien loin du cliché que beaucoup peuvent avoir du prédateur sexuel, qui serait forcément marginal, psychopathe notoire et malfaisant au quotidien.

Les risques surtout dans l'entourage

Avant de découvrir par hasard que son époux lui faisait vivre de telles atrocités, Gisèle Pelicot, 71 ans aujourd’hui, le voyait même comme «un super mec», qui la rendait heureuse et choyait leurs petits-enfants.

«Il y a encore cette image d’Épinal très forte que le violeur est cet inconnu qui contraint une femme sous la menace d’un couteau, une nuit de novembre dans un parking sombre, déplore Véronique Le Goaziou, sociologue et auteure du livre Viol. Que fait la justice? (Éd. SciencesPo - Les Presses). Or cela fait une vingtaine d’années qu’on sait que le plus grand risque couru par les femmes en termes d’agression sexuelle au cours de leur vie se situe au cœur même des cercles relationnels les plus proches: le conjoint, la famille, les amis, les collègues.

La figure du violeur, c’est bien celle de Monsieur Tout-le-Monde, comme l’illustre cette affaire Pelicot. Tous les hommes peuvent potentiellement être un jour des agresseurs sexuels.»

Une réalité à rebours de ce que les dossiers les plus médiatisés de l’ère #MeToo ont pu nous laisser croire, quand c’étaient surtout des personnes de pouvoir, ivres de leur sentiment de domination sur les autres et d’impunité arrogante, qu’on découvrait soudain prédateurs sexuels insatiables.

S'émoustiller devant des scènes d'agression

Peu surprenant finalement, car de nombreux indicateurs le montrent: le fantasme du viol est incroyablement répandu au sein de la population masculine. En 2016, une étude scientifique franco-canadienne révélait par exemple qu’entre 30 et 60% des hommes seraient capables de violer une femme s’ils étaient sûrs que ce crime n’entraînerait aucune conséquence judiciaire pour eux.

Outre l’idée d’opportunisme, l’agression sexuelle est également motivée par toute une fantasmatique où le désir est nourri de la prise de contrôle sur l’autre, contre sa volonté. Des statistiques publiées par la plateforme de contenus pornographique xHamster, en 2016, informaient que le terme «viol» figure dans le top ​10 des recherches des internautes masculins, qui, autrement dit, sont prêts à se masturber devant une scène représentant une agression sexuelle.

Comprenant tout à coup le malaise suscité par la découverte de ce chiffre, les responsables du site avaient alors décidé de censurer les vidéos liées, mais aussi de faire apparaître un message invitant à consulter un psychologue pour les personnes tapant ce mot dans leur barre de recherche. Mais est-ce la production pornographique qui suggère ce fantasme du viol chez les consommateurs, ou n’est-elle que la caisse de résonance de pensées profondes de nombreux hommes?

Une «éducation au viol»

Sur cette question, les études et les débats apportent des réponses parfois contradictoires. En mars 2023, en Grande-Bretagne, un rapport publié par le Comité interparlementaire sur l’exploitation sexuelle commerciale concluait que «plus la pornographie est visionnée, plus les utilisateurs mettent en pratique les scripts qu’elle contient pendant une relation sexuelle», allant même jusqu’à affirmer que «la pornographie est une sorte d’éducation au viol». Implicitement visée, la plateforme Pornhub se défendait en mettant en avant plusieurs études scientifiques récentes n’identifiant pas un tel mécanisme de cause à effet.

«La pornographie n’a pas d’effet isolé, elle consolide – mais aussi parfois déstabilise – un système de représentation culturelle déjà en place. Comme toute pratique culturelle, elle renforce ce qui est déjà normalisé.

Elle ne crée rien de toutes pièces, elle vient juste revitaliser un système de significations qui rythme déjà notre vie quotidienne, conforte des stéréotypes de genre qui organisent notre vie», expliquait d’ailleurs le sociologue Florian Vörös au journal Libération en 2020, dans une interview où il mettait en lumière la quête obsessionnelle de contenus pornos de domination masculine chez la majorité des utilisateurs.

Le procès qui heurte les certitudes

«Cette culture du viol, rêvant disponibilité sexuelle des femme et objectivisation de leur corps, est toujours présente et s’ancre dans une manière de penser archaïque, pointe Véronique Le Goaziou. D’ailleurs, ne lit-on pas à de très nombreuses reprises l’expression «prendre une femme» dans les romans des grands auteurs du passé?»

Comme dans les œuvres plus récentes, même, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques. L’érotisation du viol de Daenerys, dans la très populaire série Game of Thrones, n’est que le sommet de l’iceberg de cette normalisation de ce fantasme dans les productions culturelles. Mais du désir gardé au fond de soi au passage à l’acte, de la pensée ne faisant que surgir dans un moment d’excitation au crime commis, il semble y avoir plus qu’un pas à franchir. Quoique…

«L’affaire de Mazan nous enseigne que l’horreur peut venir se nicher au cœur même de la conjugalité heureuse, analyse la sociologue. Cela heurte nos certitudes, nos convictions selon lesquelles le foyer est ce lieu intime par excellence qui contribue à nous épanouir et à nous protéger des dangers de l’extérieur.»


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