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Mariage et égalité

Pourquoi la plupart des femmes prennent encore le nom de leur mari

Pourquoi en 2022 les femmes prennent encore le nom de lepoux mariage

«Le patronyme n’est en effet pas juste un ensemble de lettres: il véhicule toute une identité, un vécu. L’abandonner peut avoir quelque chose de rude.» - Caroline Henchoz, sociologue à l’Université de Fribourg et à la HES-SO Valais

© Getty Images

Depuis 2013, année où l’option du double nom a disparu en Suisse, les conjoints désirant se marier doivent soit choisir le patronyme de l’un ou de l’autre, soit garder leurs patronymes respectifs. Mathématiquement, il n’y a donc qu’une chance sur trois d’élire le nom de famille de Monsieur pour le couple.

Pourtant, en 2018, dans 70% des cas, autant dire une grande majorité des situations, la femme décidait de prendre le patronyme de son futur mari, comme le soulignait une enquête du Blick. C’était même 2% de plus qu’avant la révision de 2013, qui avait pourtant comme objectif de permettre une meilleure parité devant l’état civil. Touché? Coulé, plutôt. Et certaines études récentes sur la question dépeignent un tableau encore plus radical, évoquant même 90% de couples optant pour le patronyme masculin. Un chiffre quasi comparable à celui des années 2000 ou même 90.

Certes, la loi de 2013 a vu le nombre très restreint de femmes gardant leur nom de jeune fille être multiplié par cinq, mais, chez ces messieurs, on ne se bouscule pas au portillon pour adopter le nom de leur dame: un minuscule échantillon de seulement 2% ose franchir le pas.

Envie de continuité

Alors que l’époque n’a jamais été aussi féministe et assoiffée d’égalité, ces chiffres, évidemment, détonnent. Car prendre le nom du mari comme patronyme commun aux deux conjoints n’est pas anodin du côté des symboles. «Le mariage est un système qui a historiquement émergé dans un contexte patriarcal faisant de l’homme un chef de famille, constate Clémentine Rossier, professeure à l’Institut de démographie et de socioéconomie de l’Université de Genève.

Cette institution était une manière de codifier les relations entre les sexes: protéger les femmes par le nom de l’époux, et réguler les hommes, qui ne pouvaient quitter le foyer à cause de leurs responsabilités.»

Plus de tradition

Mais l’âge du bronze est loin derrière nous. Dès lors, pourquoi la plupart des femmes qui se marient acceptent-elles encore de s’effacer derrière le patronyme de leur époux? «C’est quelque chose qui me semblait couler de source, raconte Laura, qui s’est mariée en 2017 à 27 ans. Pour moi, me marier signifiait me placer dans la continuité de mes parents et de mes grands-parents, qui eux aussi se sont unis avec le patronyme du mari comme nom unique. Y déroger m’aurait donné l’impression que c’était un mariage différent des autres. Je pense aussi qu’en tant que femme, on est préparée à ça depuis longtemps, on sait que notre nom peut changer au cours de notre vie.»

«Les gens allant vers le mariage sont généralement plus traditionnels que la moyenne, ils sont souvent un peu plus religieux, un peu plus attachés aux valeurs conservatrices, fait remarquer la chercheuse française Sandra Hoibian, directrice du Pole évaluation et société au Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Il peut ainsi paraître logique qu’ils optent plus facilement pour un choix lui aussi traditionnel, qui est un réflexe présent depuis des siècles.»

Subir ou consentir

L’explication tient la route, sauf qu’elle ne saurait être la seule. Si, dans les faits, la majorité des mariées adoptent effectivement le nom de l’époux, il en va autrement dans les esprits: selon les études sociologiques sur le sujet, environ la moitié des femmes ne sont pas spécialement convaincues par cette tradition. Pour le dire plus clairement: soit elles la subissent, soit elles y consentent sans plus de convictions que cela. Mylène, 48 ans, se souvient bien de cette situation: «Quand mon compagnon et moi avons décidé de nous marier après plus de vingt ans de relation, j’ai eu la surprise de voir ma banque m’envoyer de nouvelles cartes avec, dessus, mon prénom suivi du nom de mon mari, comme si c’était une évidence que je devais abandonner mon patronyme de jeune fille! Je n’avais pourtant rien décidé encore. Mais j’ai fini par suivre le courant, résignée.»

«Je ne pense pas que le phénomène de la préférence pour le patronyme du mari soit toujours le reflet d’un certain conservatisme chez ces femmes, analyse la sociologue Nicky Le Feuvre, professeure à l’Université de Lausanne. Parmi celles qui acceptent de renoncer à leur nom de jeune fille, il y a une part importante d’automatismes, notamment administratifs, qui peuvent amener à penser que changer de nom sera finalement plus simple. Beaucoup se retrouvent probablement devant le fait accompli et finissent par s’accommoder de cette situation, par inertie.»

Pas forcément féministe

En outre, avec cet éventail d’options différentes proposées par la loi, «on crée une possibilité de choix là où, dans le passé, il n’y avait pas de discussion possible, puisqu’on prenait le patronyme de l’époux, point final, note Sandra Hoibian, or il peut paraître plus facile de suivre la tradition plutôt que d’entrer dans des débats chronophages». Aux yeux de la chercheuse, cette acceptation est d’autant plus aisée que les femmes ont plus l’habitude que les hommes de faire des compromis: «Comme dans beaucoup de domaines, la société exige des femmes qu’elles soient plus adaptatives, plus flexibles, comme accepter de baisser leur taux pour s’occuper des enfants, jongler avec les codes vestimentaires en fonction des situations ou, ici, changer de nom».

La solidité des traditions et des réflexes sociétaux peut également rendre plus compliquées les tentatives de résistance. Il y a les éventuelles pressions familiales invitant à ne pas s’écarter des normes communément admises, face à un refus de changer de nom qui peut être mal vécu par l’entourage, perçu comme une sorte de rébellion mal placée. «Du moment qu’on déroge à la norme en tant que femme, il faut s’expliquer, observe Caroline Henchoz, sociologue à l’Université de Fribourg et à la HES-SO Valais. Cela peut être très fatigant de s’obstiner.»

Un passé invisible

L’acte d’une femme qui n’aurait pas envie de prendre le nom de son mari passe en effet vite pour revendicatif, souligne pour sa part Sandra Hoibian:

«Cela peut paraître pour quelque chose d’engagé, alors qu’il peut s’agir d’un simple souhait de rétablir de l’égalité, sans forcément une dimension de féminisme militant derrière ça.»

Pourtant, ce glissement administratif d’un nom à l’autre, presque automatique dans la plupart des cas, est rarement un événement anecdotique. Le patronyme n’est en effet pas juste un ensemble de lettres: il véhicule toute une identité, un vécu. L’abandonner peut avoir quelque chose de rude, «comme une sorte d’invisibilisation de son passé, de sa filiation», estime Caroline Henchoz.

La sociologue souligne, au passage, le fait que les femmes passent, en moyenne, plus de temps avec leur nom de jeune fille qu’auparavant: «Elles travaillent, elles ont tout un parcours social et professionnel derrière elles avant de se marier. Par ailleurs, comme on tend à se marier de plus en plus tard, changer de patronyme a probablement davantage d’impact qu’autrefois, où l’on se passait la bague au doigt à 20 ans.»

Réciprocité en retard

Revenir à la possibilité du double nom, comme le propose la Commission des affaires juridiques du National, fera-t-il bouger les lignes? Peut-être pas de façon spectaculaire. Bien qu’il soit regretté par certaines personnes, qui le perçoivent comme un bon compromis, le double patronyme n’était choisi que par 20% des futures épouses avant 2013. «Cela s’explique peut-être parce qu’avoir un seul nom pour les deux conjoints fait sens, lorsqu’on se marie c’est souvent pour créer une famille, et le patronyme participe à marquer l’identité du groupe, un peu comme un logo pour une entreprise», relève Clémentine Rossier. Évidemment, dans un système plus égalitaire, les choses n’iraient pas presque exclusivement dans le même sens, déplore la démographe de l’Université de Genève: «Je trouve que le débat sociétal se focalise beaucoup sur la question de garder son nom ou prendre celui de son mari pour les femmes, tandis que pour les hommes, l’option de prendre le patronyme de leur femme n’est pas tellement valorisée.

On voit ce même biais à l’œuvre ailleurs: on encourage les femmes à davantage investir les domaines professionnels masculins, sans pour autant vraiment encourager les hommes à s’emparer des domaines féminins.»

Au fond, cette histoire de nom de famille demeure l’un des derniers bastions d’un patriarcat du quotidien. «On voit que sur ce sujet le législateur est finalement en avance sur les pratiques sociales, pointe Nicky Le Feuvre, ce qui est plutôt rare!»

Témoignages

«Choisir autre chose que le nom de l'homme doit se justifier», Coralie, 29 ans

La préparation de notre mariage s’est déroulée sans accrocs, avec une année complète, nous avions suffisamment de temps devant nous pour tout anticiper. Mais dans ce marathon de logistique, ce que nous pensions n’être qu’un détail s’est révélé être l’un des aspects les plus compliqués à résoudre: le patronyme qu’il fallait nous décider à prendre devant l’officier de l’état civil. Pour ma part, je n’avais pas spécialement envie d’opter pour celui de mon futur époux. Je n’ai jamais rêvé d’un mariage très classique où l’on se doit de respecter des tonnes de codes pour que cela ressemble à un vrai mariage.

Je suis quand même assez féministe dans l’âme et je trouvais complètement anachronique d’être obligée d’abandonner son nom pour un autre qui ne nous parle pas plus que ça. Le mien, je le trouvais joli, en plus, il risquait de disparaître car, étant fille unique, j’étais la dernière personne de la famille à pouvoir le transmettre. Mon futur mari était plutôt d’accord avec moi sur le côté obsolète de cette tradition et a pris la décision de prendre mon patronyme, qu’il trouvait lui aussi assez beau. Il me disait aussi que c’était une forme d’acte d’amour et aussi une manière de casser les normes autour de la masculinité.

C’est là que les obstacles sont apparus. N’étant pas suisse, il s’est renseigné et a découvert que son pays d’origine n’autorisait pas un homme à porter le nom de sa femme. Il aurait ainsi eu mon patronyme dans ses papiers officiels suisses, et l’ancien sur ses papiers de nationalité. Pas terrible pour voyager, par exemple. L’autre barrière a surgi dans sa famille: informés quelques mois avant le mariage sur ce désir de s’appeler comme moi, ses parents ont mal pris l’idée que leur fils allait abandonner son nom de naissance. Il y avait une sorte de malaise devant cet événement peu commun. C’était perçu comme un manque de considération pour sa famille. On a donc finalement choisi de garder nos patronymes respectifs.

«Prendre le nom du mari, c’était aussi plus simple pour les enfants», Beatriz, 26 ans

Lorsque mon compagnon et moi avons décidé de nous marier, la question du nom de famille n’était pas une formalité pour nous. Prendre son nom ne nous semblait pas forcément automatique. En fait, nous n’avions pas vraiment d’avis très tranchés sur le sujet. Les réflexions ont commencé lorsque nous avons abordé la question des enfants. Nous savions que nous voulions en avoir d’ici à quelques années et il fallait quand même se demander ce qui pouvait être le plus pratique côté patronyme.

Puisque le double nom n’était plus possible, nous avons alors trouvé que le fait de garder chacun son nom serait peut-être un problème pour fonder une famille.

Nos enfants ne s’appelleraient pas comme leur père ou comme leur mère, ce n’était pas envisageable pour nous, cela semblait ouvrir la voie à plein de complications pour les déplacements, ou même pour aller les chercher à l’école. Et mon mari n’avait pas très envie que ses enfants aient un nom différent du sien, il disait qu’il se sentirait un peu à part.

De mon côté, je me disais qu’il valait peut-être mieux que nos enfants, pour des raisons d’intégration, pour ne pas vivre des discriminations, notamment professionnelles, ne portent pas mon nom, à consonance étrangère, alors que celui de mon futur mari sonnait très suisse. J’ai vécu de telles situations et je ne voulais pas que mes enfants traversent ça. Toutes ces considérations ont donc débouché sur une décision: j’allais prendre le patronyme de mon homme. C’était plus un choix pratique qu’idéologique.

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