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Pourquoi c'est toujours lui qui conduit?

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«Dès l’apprentissage de la conduite les choses sont biaisées, car les moniteurs d’auto-école eux-mêmes tendent à être plus attentifs et sévères lors de l’examen pour le permis, ce qui finit par davantage stresser les candidates et installer un manque d’estime de soi en tant que conductrice. On voit d’ailleurs le paradoxe: alors que les femmes sont moins dangereuses sur la route que les hommes, elles sont plus nombreuses qu’eux à rater le premier examen du permis.» - Jean-Pascal Assailly, spécialiste de la psychologie du conducteur à l’Institut français Gustave Eiffel.

© Getty Images

Dans les voitures, le siège passager avant est surnommé la place du mort pour des raisons de statistiques d’accidentologie, mais il faudrait plutôt l’appeler la place de la femme. En effet, en ce XXIe siècle bien entamé, c’est encore fréquemment l’homme qui prend le volant dans les couples hétéros, même quand madame a décroché le permis avec brio. Selon une étude de l’Institute of Advanced Motorist, au Royaume-Uni, une femme en couple sachant conduire a quatre fois moins de probabilités de s’asseoir sur le siège du chauffeur que son homme lors des trajets réalisés ensemble.

Le rapport pointe même que nombre de sondées disent se sentir un peu mal à l’aise lorsqu’elles se trouvent au volant à côté de leur partenaire. Certaines vont même jusqu’à renier leur sésame routier dont l’obtention leur a pourtant coûté énergie, efforts et une belle somme d’argent: deux tiers des titulaires du permis ne conduisant jamais sont des femmes, soulignait ainsi l’enquête nationale Transports et déplacements, menée en France en 2018.

«Dans la plupart des pays européens, dont la Suisse, l’homme reste en effet souvent le conducteur principal de la voiture du couple, constate le chercheur Jean-Pascal Assailly, spécialiste de la psychologie du conducteur à l’Institut français Gustave Eiffel et auteur d’Homo automobilis ou l’humanité routière (Ed. Imago, 2018). Dans les années 60 ou 70, c’était certes pire, puisque quasi 100% des femmes laissaient leur partenaire conduire. Toutefois, même aujourd’hui, en dépit d’une certaine évolution des mentalités, être au volant semble toujours une tâche très masculine.»

D’ailleurs, «même au sein des couples dits ouverts d’esprit, on retrouve largement ce type de comportement», note le Dr Cristian Palmiere, spécialiste en médecine du trafic au CHUV.

Si la conduite se décline si peu au féminin pendant les trajets du couple, c’est peut-être parce que ces dames aiment moins ça? Sauf que les études sur la question balayent cette hypothèse: à quelques points de pourcentage près, les deux sexes apprécient autant conduire, en particulier dans les nouvelles générations.

Compétences contestées

Parfois, c’est la voiture qui pose problème. Le conjoint est un peu plus souvent celui qui décide du modèle à acquérir dans le couple, démontrent les sondages sur la question. «Mon homme voulait acheter une berline allemande. Je l’ai finalement laissé choisir, me disant que ce serait de toute façon un véhicule satisfaisant, se rappelle Corinne. Le problème, c’est que ces voitures semblent parfois dessinées pour les hommes, pas pour les petits gabarits comme moi. Mes pieds atteignent difficilement les pédales. Du coup, j’ai pris l’habitude de lui céder la place du conducteur, car je n’ai pas trouvé de réel plaisir à conduire notre voiture.»

© Thomas Barwick / Getty Images

Sur le territoire du mâle

Toutefois, plus que la bagnole, c’est souvent un stéréotype stigmatisant les conductrices qui expliquerait pourquoi les hommes dominent au volant. Elles seraient en effet moins douées sur la route voire, selon certains, carrément des dangers publics. «Le dicton femme au volant, mort au tournant n’est pas l’apanage des pays francophones, fait remarquer Cristian Palmiere. On croise des expressions du même acabit dans d’autres régions européennes.»

Jean-Pascal Assailly le confirme: «Beaucoup de gens dans nos contrées continuent à penser que les femmes conduisent moins bien, à commencer, parfois, par les intéressées elles-mêmes, bien que les hommes soient les premiers propagateurs d’une telle vision.» Une étude réalisée outre-Manche par Budget Insurance montre en effet que les trois quarts de ces messieurs sont persuadés d’être meilleurs au volant que leur partenaire féminine, quand seulement 43% des femmes se disent plus douées que leur chéri.

Il est toutefois l’heure de briser le mythe, informe Jean-Pascal Assailly: «Quatre-vingts pour-cents des personnes qui meurent dans des accidents de la route sont des hommes, contre 20% de femmes. Il est tentant d’expliquer cet énorme écart par le fait que les femmes conduisent moins, mais lorsqu’on prête attention aux chiffres d’accidentologie, on s’aperçoit que si les conductrices génèrent autant de tôle pliée que les hommes, leur conduite tend à provoquer des accidents moins graves.»

Rester entre les lignes

Devant une telle hécatombe, pourquoi les femmes continuent-elles de céder le volant à ces véritables fossoyeurs ambulants que sont leurs partenaires? La puissance des représentations peut-être.

«Il est culturellement admis que la conduite de haut niveau ne peut être atteinte que par des hommes, pointe Cristian Palmiere. On continue d’associer cette pratique à la force physique, au côté manuel et technique de la mécanique, à la performance sportive, notions qui seraient davantage maîtrisées par les hommes. Il suffit de regarder les publicités sur les voitures. Très peu, même en 2020, mettent des femmes au volant.»

Idem pour les scènes de courses-poursuites au cinéma: de Bullit à Drive, en passant par La mémoire dans la peau ou Jack Reacher, les bolides rugissant avec vitesse et habileté sont toujours pilotés par un héros testostéroné. Seul le polar Ronin, réalisé dans les années 90, a l’originalité de montrer une course-poursuite haletante où une puissante berline est conduite à toute allure par une femme dans les rues de Paris, même si c’est elle qui perdra le duel contre son poursuivant, Robert De Niro, forcément trop doué pour finir sur le toit, lui…

Pourtant, au quotidien, loin du cinéma, la plupart des conjointes reconnaissent les excès de Loulou au volant. Toujours selon l’enquête menée par Budget Insurance, les femmes reprochent fréquemment à leur homme une conduite agressive, un goût immodéré pour la vitesse et des prises de risque dangereuses. Ces messieurs, eux, critiquent plutôt la lenteur supposée et le caractère timoré de la conduite de madame.

«Une conductrice qui se permettrait n’importe quoi serait aussitôt stigmatisée d’un point de vue moral par la société, car on élève encore les filles pour qu’elles portent davantage attention à la santé et à la sécurité des autres, avance Jean-Pascal Assailly.

En revanche, on pardonne les excès masculins à cause des stéréotypes de genre sur leurs compétences théoriques avec un raisonnement biaisé du type les-hommes-sont-censés-mieux-maîtriser-la-technique-donc-ils-peuvent-se-permettre-de-ne pas-respecter-les-règles.»

Confiance écornée

Ce double standard contribue à saper la confiance des femmes au volant, puisqu’on laisse entendre que, si elles conduisent plus prudemment, c’est parce qu’elles n’ont pas les aptitudes suffisantes.

«Dès l’apprentissage de la conduite les choses sont biaisées, car les moniteurs d’auto-école eux-mêmes sont victimes de ce genre de clichés, relève le psychologue français. Ils tendent à être plus attentifs et sévères lors de l’examen pour le permis, ce qui finit par davantage stresser les candidates et installer un manque d’estime de soi en tant que conductrice. On voit d’ailleurs le paradoxe: alors que les femmes sont moins dangereuses sur la route que les hommes, elles sont plus nombreuses qu’eux à rater le premier examen du permis.»

Caroline, 42 ans, en a fait l’expérience: «Mon moniteur d’auto-école était très exigeant et même cassant avec moi. L’ambiance des cours de conduite me traumatisait, car j’avais toujours l’impression d’être à côté de la plaque. Peu confiante, j’ai loupé mon premier examen pour le permis. Cet échec semblait prévisible et je n’ai osé refaire une tentative que six ans plus tard. Mais même maintenant, alors que j’ai le permis, je laisse plus facilement mon mari conduire, lui paraît plus sûr de lui. Tout est plus simple.»

Céder sa place au volant permet effectivement une atmosphère paisible dans l’habitacle. Car quand madame conduit, les remarques voire les critiques fusent.

«Monsieur se sent toujours obligé de commenter mes trajectoires et mes prises de décision sur la route lorsqu’il est passager», s’agace ainsi Flora, 31 ans, qui n’a pourtant aucun accident à son actif, contrairement à son homme. Une étude du site de location HappyCar, publiée en 2017, montre d’ailleurs que les couples se disputent davantage en voiture quand c’est la femme qui conduit. «Au moins, en laissant le volant à mon mec, je voyage tranquille et je peux penser à autre chose», sourit Flora.

© Matthew Henry / Unsplash

Toutefois, il y a bien quelques configurations où monsieur laisse plus volontiers sa belle conduire: lorsqu’il fait l’objet d’une suspension de permis, lorsqu’il est malade ou quand il est trop alcoolisé. «Mon compagnon est assez macho et aime conduire notre voiture la plupart du temps, mais dès qu’il sait qu’il a trop bu, il insiste pour que je conduise pour rentrer à la maison, raconte Ophélie, 27 ans. Je suis alors obligée de ne pas trop abuser pendant les apéros ou les repas. Je dois me mettre une limite et pas lui, mais au moins je sais qu’on rentrera en toute sécurité.»

L’expression est peu flatteuse, mais elle reflète ce qui se passe dans la pratique: la femme est le second choix au volant «et devient vraiment légitime quand la situation de vulnérabilité du conjoint le rend finalement piètre conducteur», met en lumière Yoann Demoli, sociologue de l’automobile. Victimes des stéréotypes de genre, les dames, certes, mais les hommes aussi, au final. «Contrairement aux hommes, les femmes voient peu la voiture comme un objet érotique garant de leur puissance sexuelle et ont moins besoin de placer leur narcissisme au volant pour exister, lance Cristian Palmiere. Au fond, en leur laissant le volant, les femmes ont peut-être trois longueurs d’avance sur les hommes, ayant bien compris qu’elles n’ont pas la nécessité de revendiquer la place du conducteur pour se sentir plus femme!»

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