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Pesticides: les femmes feront-elles basculer les votes?

Pesticides votations femmes 13 juin 2021

«S’agissant des pesticides de synthèse, les femmes perçoivent peut-être plus facilement la distinction entre ce qui est naturel et ce qui est artificiel, donc potentiellement nuisible pour notre planète et notre santé.» - Valentine Python, climatologue, docteure en sciences de l’environnement et conseillère nationale (Verts/VD)

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© Kalina Anguelova

La tendance est éloquente. Qu’il s’agisse de l’initiative populaire concernant la protection des eaux, celle visant à interdire les pesticides de synthèse dans un délai de 10 ans ou l’objet proposant la loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (loi sur le CO₂), les femmes se positionnent plus favorables que les hommes, selon le dernier sondage mené par Tamedia. Respectivement, elles voteraient «oui» à 57% (contre 51%), 56% (49%) et 56% (50%). Le pronostic réalisé par l’institut gfs.bern pour la SSR va dans le même sens (voir l’infographie ci-dessous). Les projections montrent également que la part d’indécis est plus forte du côté des femmes. Pourquoi? Quatre pistes pour expliquer cette écodisparité entre les genres.

Piste biologique

«S’agissant des pesticides de synthèse, les femmes perçoivent peut-être plus facilement la distinction entre ce qui est naturel et ce qui est artificiel, donc potentiellement nuisible pour notre planète et notre santé.» Pour la climatologue et docteure en sciences de l’environnement Valentine Python, également conseillère nationale (Verts/VD), l’explication est multiple. Le facteur biologique serait une première piste. «Le système hormonal féminin diffère du masculin. Lors de la grossesse, par exemple, la femme produit de l’ocytocine. Cette hormone favorise le comportement protecteur de la mère envers son enfant.

Par extension, on peut imaginer qu'une femme aura une perception naturellement plus développée de ce qui représente un risque pour la sécurité de sa progéniture. Elle percevrait mieux et de manière intuitive les menaces liées à la dégradation de notre environnement.»

Outre le bouleversement physiologique observé lors d’une grossesse, les conseils de prévention pour une alimentation saine dont une femme enceinte fait l’objet favoriseraient également cette fibre écologique selon la membre du comité d’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèses», Stéphanie Hüsler. «Les femmes sont peut-être plus sensibles à ces sujets environnementaux parce que la prise de conscience du lien très fort entre nature, alimentation et santé est exacerbée lors de la maternité. Dès qu’une grossesse démarre, la mère est mise en garde sur les restrictions alimentaires et les besoins du bébé. Ce qui est quand même moins le cas des papas.»

Une seconde membre du comité, Antoinette Gilson, tient à souligner que «les femmes ont plus tendance à défendre la santé de leurs enfants. Une maman a le souci de nourrir son enfant de manière à ce qu’il puisse se développer harmonieusement. De nombreuses données scientifiques ont montré que les pesticides de synthèse qui se trouvent dans les aliments peuvent avoir un impact sur le développement du cerveau et le développement sexuel des jeunes enfants. Une femme y fera plus attention qu’un homme. Le fœtus se développe dans son corps. Elle aura moins tendance à croire les minimisations des utilisateurs et des vendeurs de pesticides de synthèse. Elle fera preuve de plus de prudence qu’un homme.»

Pour le responsable romand de la campagne «Pour une eau potable propre et une alimentation saine», Pascal Scheiwiller, la préoccupation d’une femme à assurer l’avenir de son enfant pourrait également expliquer sa propension aux problématiques écologiques.

«Beaucoup de femmes enceintes ou ayant des enfants sont plus sensibles à la santé et particulièrement à celle des générations futures.

On sait aujourd’hui que de nombreux pesticides, dont les résidus sont présents dans l’eau potable, peuvent affecter le développement du fœtus, les nouveau-nés et les enfants en bas âge. Elles réalisent qu’une eau propre et des sols sains sont la meilleure assurance vie pour nos enfants et les prochaines générations.»

Piste sociologique

L’environnement socioculturel aurait également un impact sur les motivations écologiques selon la climatologue Valentine Python qui vient de publier le livre Une climatologue au parlement ou comment la politique des petits pas ne répond pas à l’urgence écologique (Ed. de l’Aire). «Traditionnellement, le rôle de la femme a été cantonné à la sphère domestique. Majoritairement, encore de nos jours et dans la plupart des régions du monde, c’est la femme qui fait les courses et qui prépare les repas pour les enfants. C’est elle aussi qui s’occupe le plus largement de leur éducation les premières années de vie. De ce fait, elle se renseignera davantage sur les facteurs pouvant perturber à la fois leur bon développement cognitif et physique. Elle s’interrogera ainsi prioritairement sur la sécurité de la nourriture et de l’eau. Elle sera amenée à reconstruire les liens entre la façon de traiter la terre, la consommation alimentaire et les conséquences sur l’organisme de la présence de polluants.»

Piste holistique

Pour l’écologiste vaudoise, une femme serait plus encline à se préoccuper des questions qui traitent de l’intérêt général. Elle rappelle qu’il y a «une surreprésentation des hommes dans les métiers plus techniques axés sur l’invention et la prouesse technologique, alors que les professions du "care" (aide soignante, infirmière, psychologue, vétérinaire…) sont davantage occupées par des femmes. Dans le domaine de la santé, par exemple, une infirmière adoptera une approche holistique durant sa formation parce qu’elle soigne la personne dans son intégralité. En opposition, les chirurgiens, qui sont pour l’instant encore en majorité des hommes, sont spécialisés pour traiter l’une ou l’autre partie du corps. Il peut en résulter une approche segmentée, plus réductionniste de ce qu’est la santé.

De par sa biologie et les facteurs sociologiques précédemment mentionnés, une femme a peut-être naturellement une compréhension plus systémique du monde et des êtres vivants.

Cette approche holistique privilégie les interactions, les interdépendances. Elle met l’accent sur la collaboration, la complémentarité et les symbioses entre les différents éléments d’un système, qu’il s’agisse d’un écosystème, d’une société ou de notre corps. On observe que de plus en plus de femmes embrassent des carrières scientifiques et auront cette approche systémique. Celles-ci seront d’emblée attentives à la préservation de l’environnement.»

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Consciente de l’importance «de comprendre la Terre comme une seule grande entité à protéger», Valentine Python a déposé, le 5 mai 2021, une initiative parlementaire pour intégrer le concept scientifique de «limites planétaires» dans la loi sur la protection de l'environnement et dans la Constitution. Concrètement, il s’agit de neuf limites géophysiques à ne pas dépasser pour préserver la viabilité de notre planète. Le réchauffement climatique est l’une d’entre elles, l’érosion de la biodiversité en est une autre ainsi que la pollution chimique.

Plus de femmes indécises

Le sondage Tamedia ainsi que celui de l’institut gfs.bern pour la SSR mettent en lumière un autre fait: face à ces trois objets de vote, la part des indécis est plus forte du côté des femmes. Pour Valentine Python, l’implication plus récente des femmes dans la vie civique pourrait être une première explication.

«Aujourd’hui encore, une majorité de femmes restent moins enclines à revendiquer leurs positions. Elles doutent davantage. Mais pour faire évoluer notre société, nous avons besoin qu’elles s’affirment davantage, pour certaines il s’agit encore de sortir enfin de ce carcan dans lequel nous avons été emprisonnées durant des siècles.»

La scientifique verrait une seconde explication, le résultat des divergences entre les évidences scientifiques d’une part et la position du gouvernement de l’autre. Elle cite en exemple le plus célèbre désherbant du monde: le glyphosate. «Le site de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) décrit ce pesticide de synthèse comme ne présentant pas de risques pour la santé de l’être humain, alors qu’on dispose de plusieurs centaines d’études indépendantes démontrant le contraire. En particulier ses effet perturbateurs hormonaux sont très préoccupants. Face à des positions aussi contradictoires, les femmes hésitent peut-être plus à trancher en se basant sur leurs opinions ou leurs intuitions - qu’on leur a peut-être trop appris à ne pas suivre.»

Valentine Python évoque enfin le tiraillement entre deux empathies. «D’un côté l’empathie naturelle envers l’enfant et de l’autre, celle orientée vers les agriculteurs, une population touchée par le suicide et les maladies liées à la pénibilité du travail, y-compris l’exposition directe aux pesticides de synthèse. Dans le camp du non, la communication est claire: les initiatives mettraient les agriculteurs en grande difficulté. Alors qu’on sait que ce qui les ruinent, c’est justement le système productiviste.»

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