Disparition mystérieuse
Peng Shuai, l'athlète chinoise vaincue par le jeu du régime
Que s’est-il passé dans la tête de la tenniswoman chinoise Peng Shuai pour que soudain, en ce jour de novembre 2021, elle poste sur son compte Weibo, la plate-forme nationale, une accusation de viol contre Zhang Gaoli, un des hommes les plus puissants de Chine? Un besoin de justice, une envie de transparence, un acte de désespoir?
La sportive vient de traverser deux années décevantes au niveau des médailles, la pandémie a fermé les courts. Malgré cette période morose, rien ne présage cette sortie médiatique. Elle est toujours très populaire, une figure modèle pour les jeunes filles du pays. Et ses succès internationaux restent en mémoire: 23 titres sur le circuit WTA, deux tournois de Grand Chelem en double, une place de numéro 1 mondiale en 2014, faisant d’elle ainsi la première Chinoise à accéder à cette distinction.
Elle accuse un homme de viol et disparaît
La jeune femme, 35 ans à l’époque, avoue une relation extraconjugale avec l’ancien ministre de quarante ans son aîné, ce qui constitue déjà un «délit» moral dans un pays plutôt strict sur la question des mœurs; mais en plus, un viol aurait précédé le début de la liaison. L’agression aurait été commise en 2014, au moment où Zhang Gaoli était en fonction.
Le message est rapidement effacé, censuré par internet, mais les captures d’écran sont publiées sur Twitter. Quelques jours plus tard, la joueuse disparaît. La planète du tennis s’en émeut, un hashtag #WhereIsPingShuai fleurit sur les réseaux, des tee-shirts apparaissent dans les gradins des stades.
La WTA, qui gère le circuit professionnel féminin de tennis, demande de son côté une enquête sur les accusations de violences sexuelles dont aurait été victime Peng Shuai.
Quinze jours plus tard, la sportive réapparaît sous la forme d’un courriel qui aurait été envoyé à la WTA et qui est annoncé par la télévision publique chinoise. Les accusations contre l’ancien ministre sont fausses, dit-elle, tout va bien, elle se repose. Puis on la voit, visiblement chez elle, souriante avec un chat dans les bras, puis assistant à la cérémonie d’ouverture d’une finale sportive, et à un repas avec son entraîneur et des amis.
Une réapparition mise en scène?
Alors? Rien à signaler? Pas tout à fait. Les images paraissent avoir été mises en scène, les personnes qui accompagnent Peng Shuai sont des proches du régime. Personne ne l’a vraiment vue, ni ne lui a parlé. La pression sur le pouvoir chinois ne faiblit pas. Le 5 février 2022, elle dîne avec le président du CIO, Thomas Bach, ce que ce dernier confirme, en présence d’un interprète, ce qui ne manque pas d’étonner, vu qu’elle parle parfaitement anglais.
En 2022, les Jeux olympiques reviennent en Chine, au grand dam des organisations humanitaires, le tennis aussi… mais sans Peng Shuai.
Que s’est-il passé? Frédéric Koller est journaliste au journal Le Temps et spécialiste de la Chine. «Dans ce cas précis, l’État intervient pour stopper la présence publique de Peng Shuai et éviter une sorte de #MeToo en Chine. On peut imaginer, mais ce sont des suppositions, qu’elle a été placée en résidence surveillée chez elle, jusqu’à ce qu’elle puisse se rétracter.»
Une pratique courante du régime chinois
Peng Shuai n’est pas la seule à «avoir été disparue». Autre figure populaire, l’actrice la plus célèbre du pays, Fan Bingbing, ambassadrice de la marque Montblanc, membre du jury du Festival de Cannes, sort des radars en 2018 après des accusations de fraude fiscale. Son nom est effacé du générique des films dans lesquels elle jouait. Elle s’évapore trois mois et ne revient que pour adresser ses excuses et payer une amende de 129 millions de dollars. Elle ne joue pratiquement plus depuis.
Pareil pour Zhao Wei, l’actrice la plus riche de Chine, disparue un mois en 2021. Ses réseaux sociaux ont été supprimés, ses films les plus connus enlevés des sites de streaming. Pour les médias, sa répudiation serait liée au fait qu’elle se serait enrichie et aurait acheté des domaines dans le Bordelais…
Les disparitions économiques sont pratiquées quand le régime souhaite ralentir ou affaiblir la puissance d’une entreprise, tel Jack Ma, le patron d’Alibaba disparu trois mois, ou Chen Shaojie, le fondateur de DouYu, le Twitch chinois, «absent» pendant des semaines en 2023. Enfin, l’invisibilisation brutale et inexpliquée frappe le personnel politique.
Frédéric Koller: «Les disparitions des gros poissons du monde des affaires servent souvent à négocier un deal de survie économique et de liberté. Quant au monde politique, il est victime de beaucoup de disparitions ces derniers mois. En général, les personnes sont placées en arrêt domiciliaire ou en résidences spéciales. On ne connaît que plusieurs mois plus tard les motifs de leur mise à l’écart.»
Bio
1986 Naissance à Xiangtan.
1994 Son oncle lui fait découvrir le tennis.
2005 Bat trois joueuses de premier niveau.
2011 Remporte le tournoi de Wimbledon en double.
2014 Devient la première Chinoise à occuper le premier rang dans sa catégorie.
2 novembre 2021 Accuse l’ancien ministre Zhang Gaoli de viol, puis disparaît quelques jours plus tard.
7 février 2022 Assure dans L’Équipe n’avoir jamais disparu et ne pas avoir émis des accusations d’agression sexuelle. Annonce arrêter sa carrière professionnelle.
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