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Pascale Deneulin: «Dans le vin, les femmes doivent encore prouver leur légitimité»

Pascale Deneulin: «Dans le vin, les femmes doivent encore prouver leur légitimité»

Dans l’œnologie et la viticulture, comme dans les sciences, les femmes restent minoritaires. Si à Changins on atteint presque la parité dans les étudiants, le corps professoral reste très masculin, avec 3 femmes pour 12 professeurs, note Pascale Deneulin.

© Anne-Laure Lechat

Le monde des vins est victime de la mode. Il y a une dizaine d’années, les crus très opulents étaient prisés: boisés, gras, avec de la jambe. Aujourd’hui on cherche plus de fraîcheur et de légèreté, plus de minéralité. Spécialiste en analyse sensorielle, Pascale Deneulin s’est passionnée pour cette métaphore et travaille à décrire cette minéralité d’un point de vue scientifique, à comprendre pourquoi elle est autant en vogue. Elle mélange donc linguistique et statistique, analyse de données et sociologie, pour décrypter cet arôme de pierre à fusil.

Enfant déjà, son choix était clair: «J’ai toujours été très attirée par les sciences, que ce soit les mathématiques, la biologie, la physique ou la chimie. Je ne suis pas du tout littéraire, pas du tout langues non plus!» Cadette d’une fratrie de cinq, sa famille la soutient dans son choix d’étudier les sciences dures.

«Ma deuxième passion, ce sont les chevaux. Or, une carrière dans l’élevage ou comme prof d’équitation n’emballait guère mes parents.»

Découverte de l’analyse sensorielle

Après le bac, elle quitte son Grenoble natal pour une haute école en Bretagne où elle obtient un master en agro-alimentaire. Toutefois, la réalité de cette filière la fait vite déchanter: «J’ai découvert pendant ma formation que c’était un milieu très industriel. J’avais choisi cette voie par amour de la cuisine, des bons produits, des petits producteurs, mais aujourd’hui, par exemple dans la filière laitière, on ne voit plus le produit. Il passe par des tuyaux, tout est informatisé et il ressort dans des paquets. J’ai eu un peu peur, car ce n’était pas tout à fait ce que je cherchais.» Le hasard l’amène à faire un stage dans le domaine de l’analyse sensorielle. «On gérait des dégustations, analysait des résultats pour savoir comment améliorer le produit en fonction des contraintes techniques, de sa description organoleptique et des attentes du consommateur, ce qu’il aime ou n’aime pas. Il y avait des produits industriels, mais aussi d’autres sous appellation d’origine, avec des labels, ce qui était plus sympa.»

L’univers du vin s’ouvre à elle grâce à un professeur de statistiques qui, pour ses cours, utilisait des données issues de la vigne et de dégustations de vin. Sous sa supervision, elle consacre son travail de master, en 2003, au développement d’une nouvelle méthode de recueil de données de dégustation, appelée Napping, méthode qui s’est beaucoup développée depuis. Le vin faisait également partie de la culture familiale, très épicurienne sans être spécialisée: «Chez mes parents, il y avait toujours une bouteille de vin sur la table le dimanche, nous sommes des bons vivants. Je pense que j’ai goûté au vin dès mon adolescence, sans en boire énormément non plus!» Ces premiers jobs l’amènent à collaborer avec des œnologues dans le Jura français, avant de passer la frontière et d’entrer à la Haute Ecole de viticulture et d’œnologie de Changins (VD), il y a 12 ans. Elle débute comme assistante sur une recherche portant sur les problèmes de réduction dans le chasselas. Elle y développe peu à peu d’autres projets, jusqu’à être nommée professeure, en 2012.

Dans l’œnologie et la viticulture, comme dans les sciences, les femmes restent minoritaires.

Si à Changins on atteint presque la parité dans les étudiants, le corps professoral reste très masculin, avec 3 femmes pour 12 professeurs. «Dans les caves, les femmes doivent encore prouver leur légitimité, surtout si elles n’ont pas de domaine. Le travail peut être assez dur physiquement et le rythme est soutenu. Aujourd’hui, on doit savoir tout faire: la vigne, la vinification, les livraisons même parfois et aussi toute une partie communication, mais aussi accueil avec le développement de l’œnotourisme.»

Évaluer un vin objectivement

Pascale Deneulin est aussi une hyperactive. En 2013, elle décroche un de ses plus beaux projets à ce jour, sur la minéralité des vins, notamment du chasselas. Elle décide d’en faire une thèse de doctorat. «Je n’ai pas encore terminé, car je ne trouve pas le temps! Toutes les données sont récoltées, analysées dans les grandes lignes, il ne me reste qu’à rédiger.» Étonnamment, elle est inscrite à la Faculté des lettres. «Je pensais maîtriser le volet analyse sensorielle et me débrouiller toute seule, je suis donc allée chercher mon directeur de thèse dans le domaine où il me manquait les connaissances. La première partie du projet porte sur des questions ouvertes au sujet de la minéralité des vins et j’avais besoin d’aide pour tout l’aspect linguistique et d’analyse textuelle.» Son ambition, produire un travail à double lecture, avec un côté très pratique pour les vignerons ou les gens qui s’intéressent au vin, mais très statistique pour tout ce qui est méthodologie. Un investissement en heures qu’elle doit prendre sur son temps libre, car cette maman de deux petites filles de 7 et 3 ans travaille à 100%.

«L’avantage dans ce domaine, c’est de pouvoir aménager nos horaires librement. Je peux donc m’organiser pour consacrer des moments à mes filles. L’inconvénient c’est qu’on rallume l’ordinateur parfois tard. Avant la pandémie, pendant des mois, j’ai travaillé sur ma thèse de 5 h à 6 h 30 le matin!

En Suisse, nous avons de nombreux spécialistes du goût, notamment chez Nestlé. Pour les vins, cette approche scientifique s’impose peu à peu, car pendant longtemps c’est le sommelier ou l’œnologue qui faisait autorité. L’analyse sensorielle permet par exemple d’expliquer pourquoi, avec une manipulation particulière ou une autre levure, on obtient un goût différent. Et ce goût est-il vraiment différent? «Le cerveau est un organe très puissant. Si je vous tends deux verres contenant le même vin, mais en vous affirmant qu’ils contiennent deux vins différents, vous allez certainement trouver des différences… qui n’existent pas. Alors, pour fiabiliser les résultats et réduire l’impact du cerveau, il faut multiplier les tests, ne donner aucune indication et croiser les résultats. C’est ainsi qu’on passe d’un ressenti apparemment très subjectif à un résultat statistique significatif. Car oui, le goût est très individuel. Chaque personne est physiologiquement unique et sa perception des goûts et des odeurs va dépendre de ses souvenirs, des émotions qui y sont liées.»

Passionnée par son métier, Pascale Deneulin aimerait dynamiser la filière des vins suisses, qui n’ont pas à rougir en comparaison internationale. Sachant que ce monde connaît un besoin constant de se différencier, point de standardisation. On ne cherche pas à créer le produit qui plaira au plus grand nombre, mais plutôt à faire se rencontrer le consommateur et le produit qu’il lui faut. Elle aimerait développer un projet autour du rosé: «Les Suisses sont parmi les plus grands consommateurs de rosé, mais ils choisissent souvent un rosé de Provence plutôt que local. Il y a un potentiel énorme, mais les vignerons suisses peinent à y croire. C’est pourtant le seul vin dont les ventes ne sont pas en baisse mondialement. Il est facile, festif, va avec tous les plats et plaît à la nouvelle génération qui s’est approprié cette couleur. La demande est là, la matière première aussi, car il y a trop d’encépagement rouge, mais il reste un problème d’image. La dôle blanche et l’œil-de-perdrix sont les plus connus, mais rien dans leur nom n’indique qu’il s’agit de rosés. Pire, le dernier doit son nom à la couleur de l’œil de l’animal à l’agonie, ce qui n’est pas très porteur…»

Bio express

  • 1980: Naissance près de Grenoble
  • 2003: Master en agro-alimentaire à Rennes
  • 2008: Entre à la Haute Ecole de viticulture et d’œnologie de Changins comme assistante de recherche. Elle est nommée professeure en 2012
  • 2014: S’inscrit comme doctorante à l’Université de Lausanne
  • 2018: Remporte le concours Ma Thèse en 180 secondes pour l’UNIL, participe à la finale suisse

Ce qu’elle cherche: A décrire le goût des vins le plus précisément possible, à comprendre les attentes et les comportements des consommateurs, notamment sur la notion de minéralité.

Ce qu’elle a trouvé: La minéralité est d’abord un concept se substituant au terme de terroir, tout en se référant à des vins plus frais, aisément buvables. Son lien direct avec le sol reste difficile à prouver scientifiquement.

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