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Oublions nos préjugés sur les millenials! (Ils sont tous faux)

Millenials dossier vrai faux

Les millennials, ces pros de l’informatique qui se déplacent à vélo et mangent des plats véganes dans un espace de coworking? On vous a menti.

© Getty

Paresseux, incultes, très écolos ou virtuoses du numérique… depuis deux décennies, chercheurs, patrons et autres directeurs marketing aiment nous dépeindre les millennials (nés plus ou moins entre 1985 et 2000) comme une population radicalement différente des générations précédentes. Tellement différente qu’elle fascine autant qu’elle inquiète.

Il y a quelques mois, on osait, juste pour un soir, leur confier l’édition de tout un Téléjournal (Oulala…) et Infrarouge organisait un débat de fond pour essayer d’estimer leur fiabilité pour l’avenir. Rien que ça! Et si les 18-35 ans étaient surtout victimes d’un gros malentendu et que le portrait-robot dessiné depuis quelques années n’était pas si ressemblant?

«Du temps des Romains, déjà, on se plaignait de la jeunesse, soi-disant trop bruyante, trop écervelée», note le sociologue Olivier Moeschler, chercheur à l’Université de Lausanne. Et même avant, puisque Socrate, pourtant Everest de sagesse, se plaignait des jeunes de son époque qui «aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge». De quoi penser qu’on reproche surtout aux jeunes d’aujourd’hui… des comportements typiques de toute jeunesse. Checkons donc la liste des clichés les plus récurrents.

«Ils n’ont pas d’éthique au travail»: faux

A entendre certains employeurs, les millennials sont une plaie. Génération perpétuellement insatisfaite, ils sont en effet souvent décrits comme impatients, imbus d’eux-mêmes, trop volatiles. Embêtant: en 2020, selon Manpower, ils composeront plus d’un tiers de la population active. Par ailleurs, selon une étude du géant de l’audit Deloitte, menée en 2016, près de la moitié des millennials seraient résolus à lâcher leur job dans les deux ans, même s’ils en sont satisfaits.

Directeur d’une entreprise lausannoise qui forme des apprentis, Jean-Marc abonde: «J’ai l’impression de ne pas pouvoir beaucoup compter sur eux. Ils se lassent vite de leur poste, sont rarement à fond dans leur travail, s’intéressent surtout aux congés et n’aiment pas finir tard. Pour un patron, ils ne donnent pas l’image d’éléments loyaux.»

Les règles ont changé

En 2017, un article du journal britannique Daily Mail rapportait aussi que de plus en plus d’employeurs se plaignaient des millennials: les mettre au travail serait un cauchemar. Le choc des cultures avec les baby-boomers semble ainsi consommé. Toutefois, peut-être a-t-on omis de considérer le contexte économique et social, très différent de celui qu’ont connu les générations précédentes, fait remarquer Barbara Stadler, professeure en psychologie du travail à l’Université de Neuchâtel:

«Auparavant, les entreprises offraient souvent des jobs pour toute une vie, une sorte de contrat psychologique tacite était conclu où l’employé s’investissait totalement en échange de stabilité et de longévité. De nos jours, les organisations proposent de moins en moins ce type de poste. Cela tend à développer de nouvelles valeurs, de nouvelles attitudes au travail, dans lequel on cherche d’abord du sens.»

L’étude Millennial Survey, de Deloitte, réalisée en 2018 dans 36 pays, constate justement cette forte quête de sens et cette fidélité moins importante vis-à-vis de l’employeur. Toutefois, cette nouvelle approche du travail est loin de ne concerner que les jeunes. Une étude de l’IBM Institute Business Value révèle que les désirs des travailleurs sont similaires, quelle que soit la génération: épanouissement personnel, satisfaction, équilibre entre sphères privée et professionnelle, sont jugés importants au même degré.

Rien de tel qu'un vrai bureau

Et l’impatience, si décriée chez les millennials? «Dans le climat d’incertitude générale, on se dit peut-être que rien n’est certain sur le long terme, alors les gens peuvent vouloir obtenir les choses rapidement, avant que leurs efforts se révèlent vains, analyse Barbara Stalder. Toutefois, je crois que cette image du jeune qui veut tout tout de suite est avant tout un cliché.»

En outre, 64% des actifs de cette tranche d’âge jugent que l’open space et le coworking, soi-disant plébiscités par les jeunes urbains, sont moins adaptés qu’un bureau privatif à l’ancienne pour être efficace au travail, éclaire une étude de l’ESSEC, la prestigieuse école de commerce française. Ce qui passe pour un trend cool semble donc plutôt être la conséquence d’un manque d’alternative.

«Ils sont narcissiques»: vrai, mais…

Représentant de la Generation Me, comme disent les anglophones, le millennial serait particulièrement imbu de sa personne, autocentré, égoïste, en un mot: narcissique. Ce diagnostic fait le bonheur des études psychologiques et des médias depuis une bonne décennie. Une étude de l’Université Hampshire (E-U), publiée en 2017, avance ainsi qu’ils ont de plus hauts scores en estime de soi que les autres.

Évaluer son propre narcissisme, à l'aide d'une seule question

Parmi les causes du phénomène, on pointe couramment le basculement dans l’ère du smartphone et des réseaux sociaux, qui aurait signifié l’avènement de la mise en scène de sa vie et de la quête du like. Problème: en prenant un peu de recul temporel on s’aperçoit que cette étiquette n’est pas nouvelle. En 1979, dans La culture du narcissisme, l’historien et sociologue américain Christopher Lasch constate déjà une tendance à l’adoration du moi dans la nouvelle génération… les baby-boomers.

Autrement dit, ce comportement ne serait-il pas surtout lié à l’âge plutôt qu’à une période historique? «Les gens nés après 1980 ne sont pas spécialement narcissiques, tous les jeunes, en général, le sont, explique la journaliste américaine Elle Reeve, dans un article du prestigieux magazine The Atlantic démontant le mythe du millennial-centre-du-monde. De plus, ils changent en prenant de l’âge.»

«Ils ont une vie sexuelle débridée»: faux

La Generation Me est aussi la génération porno et la génération Tinder. Un cocktail présenté comme hautement instable côté relations amoureuses. On aime logiquement dépeindre les millennials comme des consommateurs compulsifs de partenaires, à la sexualité précoce et hostiles à l’idée du couple pour toute la vie. Bizarrement, rien de moins sûr. «Certains ont certes peur de s’engager, notamment lorsqu’ils ont vu leurs parents se déchirer, souligne la sexologue Laurence Dispaux, mais je ne crois pas que les millennials s’attachent moins que leurs prédécesseurs.»

Déjà, pour ce qui est d’une vie sexuelle anticipée à cause de l’accès facilité au porno, on repassera: depuis 30 ans, l’âge moyen du premier rapport sexuel est très stable: environ 17 ans en Suisse et en France. Dans certains pays, il est même en recul, comme aux États-Unis et aux Pays-Bas, remontant à environ 18 ans. Quant aux Japonais, ils sont de plus nombreux à se dire vierges avant 34 ans.

Du romantisme avant toute chose

Les nouvelles générations sont en outre moins tentées par le divorce qu’autrefois, attestent les chiffres de nombreux pays, de l’Amérique à l’Asie. Et sur l’hypothétique multiplication des amants, là encore, les enquêtes sont claires. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les millennials ont moins de partenaires sexuels que les baby boomers au même âge. Tinder ne fait pas le poids devant le Summer of Love, rappelle Laurence Dispaux:

«On a tendance à oublier que sur les applis de drague, pas mal de gens multiplient les rencontres virtuelles, sans aller plus loin, ou les déceptions à l’issue du premier rendez-vous réel.»

«Ils prônent la décroissance»: faux

On les accuse d’être les tueurs en série des traditions. Les millennials seraient ainsi responsables de l’agonie du cinéma, des hôtels, des taxis, de la propriété, des rencards au resto… mais si les jeunes ont plutôt tendance à utiliser Uber, le streaming, Airbnb ou le vélo, ce n’est probablement pas que pour le fun. D’abord, ça coûte moins cher. De nombreuses études le confirment: les millennials ont moins d’argent que leurs aînés.

L’année dernière, la Fed, qui fait office de banque centrale des USA, l’a d’ailleurs souligné dans un rapport plutôt alarmiste. Dans certaines branches professionnelles, les millennials touchent l’équivalent de 10 000 francs de moins par an que leurs homologues de 1990. Un sacré écart salarial, qui implique la recherche de solutions moins onéreuses au quotidien.

L'appel de l'asphalte

Exemple avec la voiture. On dit les nouvelles générations plus portées sur le vélo, la trottinette ou les transports en commun? C’est peut-être par défaut. En 2017, une étude du sondeur français Kantar TNS a montré que l’automobile faisait rêver 44% des 18-34 ans, soit davantage que la moyenne de la population tous âges confondus.

En Suisse, la proportion d’adultes détenteurs du permis de conduire a même augmenté entre 1994 et 2010, atteignant 81%. «Les nouvelles générations sont trop souvent résumées à un profil urbain, cool, aisé, explique Olivier Moeschler. C’est, au fond, une sorte d’idéal véhiculé par les marques, davantage qu’une réalité sociologique globale. Les traits esquissés sont souvent caricaturaux, car si une même génération possède quelques vérités communes, elle est avant tout très diverse.»

«L’informatique est facile pour eux»: vrai et faux

Une idée reçue voudrait que les millennials jonglent avec les outils numériques. Pas si sûr: un cinquième des personnes ayant abandonné une démarche à cause d’un obstacle informatique se trouvent dans la tranche des 18-35 ans, avançait récemment l’institut CSA, spécialiste français des études de marché.

«On a en effet enfermé les fameux digital natives dans un déterminisme technologique, constate Olivier Moeschler. Si quelque 100% des jeunes en Suisse ont un portable, cela n’implique pas automatiquement des compétences numériques plus notables.»

On dépeint en outre les millennials en zappeurs de contenus, délaissant télé et journaux papier au profit d’articles courts piochés au hasard des réseaux sociaux et des séries en streaming. «L’âge ne suffit pas à modeler une personnalité, indique le sociologue de l’Unil. Certains profils de jeunes sont univores, uniquement focalisés sur les écrans, mais il y a aussi pas mal d’omnivores, continuant d’aborder la culture et la presse via différents types de canaux, dont les plus classiques.»

«Ils boudent la viande»: faux, mais…

Sensibilisés à la cause animale grâce à internet et critiques envers l’élevage intensif, les millennials seraient nombreux à tourner le dos à la viande. Voilà pour le cliché, mais lorsqu’on regarde les chiffres de MenuCH, la grande enquête sur l’alimentation des Suisses menée tous les cinq ans, on s’aperçoit que ce n’est pas si simple.

La tranche des 18-35 ans apparaît en effet comme la plus grande consommatrice de produits carnés, avec 128,7 grammes par jour, bien au-dessus de la moyenne de la population, calculée à 110,5. «Néanmoins, c’est bien chez les représentants de la génération Y qu’on observe la plus grande prévalence de végétariens», tempère Murielle Bochud, médecin et directrice de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive, à Lausanne.

Manger «sain» à s'en rendre malade

Un autre lieu commun voudrait que les millennials soient des adeptes des plats préparés. Sauf que, là encore, les chiffres de l’enquête MenuCH de 2015 sont formels: les jeunes sont plus nombreux que les autres à cuisiner eux-mêmes leurs repas du soir à la maison… même s’ils sont aussi les plus grands consommateurs d’en-cas. Face à la réalité des chiffres, il faut l’admettre, le portrait des millennials est clairement plus contrasté que prévu.

Invention d’une génération: mode d'emploi

En 2019, le terme millennial sonne plutôt moderne. Il a pourtant été forgé… il y a plus d’un quart de siècle. Neil Howe et William Strauss, deux historiens américains, sont les premiers à avoir utilisé ce mot en 1991 dans leur ouvrage Generations: The History of America’s Future, 1584 to 2069. Les millennials sont alors les jeunes nés depuis 1982, qui deviendront donc adultes avec l’avènement du XXIe siècle.

On imagine forcément pour eux un destin différent de celui des aînés, l’an 2000 et ses promesses futuristes faisant fantasmer. Le boom de l’informatique dans les années 80 fait d’ailleurs imaginer une société nouvelle, révolutionnée. Pour les sciences sociales, le concept de génération est en outre un nouvel outil permettant de structurer la société. Il y a les boomers, puis les X, puis les Y (les fameux millennials). Quant aux personnes nées à partir de 2000, elles appartiendraient à la génération Z.

On a tous quelque chose de millennial...

Sorte d’astrologie sociologique, l’année de naissance ramène à un archétype précis et explique à elle seule des comportements. Réducteur, mais plutôt pratique à première vue. Si ce n’est que la définition du millennial est désormais à géométrie variable. Un article de Time Magazine a proposé 1980-2000. Pour le Pew Research Center américain, ce serait 1981-1996. D’autres font carrément remonter l’origine des millennials à 1978, voire 1976. Au point qu’on a récemment forgé le terme xennials pour qualifier ces proto-millennials à cheval entre deux générations.

On finit par s’y perdre? C’est peut-être parce que ces générations concepts, qui s’enchaînent proprement par ordre alphabétique, sont juste des vues de l’esprit. C’est l’avis de plus en plus de spécialistes, parmi lesquels Vincent Cocquebert, rédacteur en chef du magazine Twenty: son récent essai, Millennial Burn-Out (Ed. Arkhé, 2019), montre comment les craintes et les fantasmes des aînés (et surtout des marques) ont fabriqué l’image de jeunes branchés, cool et nonchalants. Alors qu’ils étaient juste jeunes.

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