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Lucia Kleint: «On m’a dit: une fille ne peut pas devenir astrophysicienne»

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En tant que femme, Lucia Kleint a toujours été en minorité. «Durant le cursus universitaire, nous n’étions que 10 à 20% d’étudiantes», se souvient-elle.

© Anne-Laure Lechat

L’année 2020 a commencé sur les chapeaux de roues pour Lucia Kleint. La jeune docteure en astrophysique a commencé l’année à cap Canaveral. Sur la base de lancement de Floride, elle a pu voir sa fusée décoller, celle qui contenait des dizaines d’instruments technologiques permettant d’analyser le soleil. «C’est toujours très excitant, un lancement, se souvient-elle. D’autant plus lorsqu’on sait ce qui se trouve à bord. Aujourd’hui, je travaille quotidiennement avec ces outils envoyés dans l’espace.»

Si le départ d’une fusée reste un événement marquant, il n’est pas si exceptionnel que ça pour la Zurichoise. Depuis sa plus tendre enfance, d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours scruté le ciel. «Mes parents ont eu la bonne idée de m’offrir un télescope lorsque j’étais petite. Je passais des heures et des heures sur le balcon, les yeux rivés à l’objectif, à admirer la Lune, les anneaux de Saturne.»

«C’était tellement envoûtant de pouvoir observer ainsi l’univers. J’avais envie de comprendre comment tout ça avait pu se mettre en place.»

Le métier de ses rêves

Pourtant, rien ne la prédestinait à emprunter cette voie. «Mes parents ne sont absolument pas scientifiques, personne dans ma famille n’a fait d’études dans ce domaine. Pourtant, je n’ai jamais hésité, je n’ai jamais eu de plan B.» Si elle a pu compter sur le soutien inconditionnel de ses proches, la jeune femme a dû faire l’impasse sur celui de certains enseignants. «Tout au long de mon parcours, plusieurs personnes ont cherché à me décourager. On me disait clairement qu’une fille ne pouvait pas devenir astrophysicienne. J’ai dû me battre pour aller au gymnase, mon professeur d’école primaire pensait que je n’avais pas les capacités pour continuer à étudier. Je ne l’ai pas écouté, j’ai suivi ma voie malgré tout et, plus tard, j’ai rencontré de merveilleux mentors solidaires. Toutefois, ce genre de discours peut être vraiment problématique, surtout à l’adolescence, lorsqu’on doute parfois de soi, de ses capacités.»

Lucia Kleint jongle actuellement entre trois emplois différents: démonstratrice à l’observatoire de Zurich, enseignante de mathématiques à la Haute École spécialisée du nord ouest de la Suisse et directrice du plus grand télescope solaire d’Europe, à Tenerife, en Espagne. «J’ai choisi d’arrêter ce troisième emploi car, à la rentrée, je commencerai un nouveau mandat à l’Université de Genève, pour 5 ans au minimum. Pour ce dernier, j’ai la chance d’être soutenue par le Fonds national suisse, dans le cadre du système PRIMA [ndlr: des subsides accordés à des chercheuses remarquables dans le but de les aider à devenir professeures].»

«Devenir professeure, c’est le métier de mes rêves. Poursuivre mes recherches, enseigner, c’est tout ce que j’aime.»

Toutefois, décrocher un emploi stable, qui plus est en Suisse, s’apparente à un parcours du combattant. Les places sont rares et extrêmement prisées. «J’ai parcouru le monde et travaillé dans de nombreux pays, mais j’ai compris que c’était ici, à Zurich, que j’étais la plus heureuse, explique la scientifique. Je voudrais être proche de ma famille et de mes amis pour avoir un équilibre. C’est stressant, car j’espère vraiment qu’une place se libérera dans cinq ans, mais impossible de le prévoir. La compétitivité est extrême en astrophysique. Comment pourrait-il en être autrement, lorsque 50 personnes postulent pour une seule place? C’est d’autant plus difficile en Suisse, car beaucoup rêvent de travailler ici et des postulations proviennent du monde entier. Et il n’y a pas d’avantage à avoir la nationalité helvétique, au contraire: les universités cherchent souvent à avoir des équipes internationales. Je trouve ça génial, mais il ne faut pas oublier les Suisses pour autant.»

Astronaute, le rêve inatteignable

Son sujet de recherche? Les éruptions solaires. «Pour l’heure, il est impossible de prévoir quand les explosions auront lieu. Nous ne comprenons pas encore de quelle manière ça se produit, détaille-t-elle. On ne connaît que leurs effets comme les aurores boréales. Ça me passionne! Et ce qui est génial, c’est qu’il s’agit autant d’un travail d’analyse sur ordinateur que d’exploration au télescope. J’aime cette idée de comprendre davantage l’univers, c’est pour ça que j’ai choisi ce métier.» N’est-il pas étrange de passer son temps à observer le ciel et les planètes, tout en sachant qu’on ne pourra jamais s’y rendre? «J’aimerais devenir astronaute, mais la Suisse n’en a qu’un, Claude Nicollier. L’Europe met quelques places d’astronautes au concours tous les dix ou vingt ans. Devenir professeur, c’est déjà très difficile. Devenir astronaute? Ça me paraît juste impossible.»

En tant que femme, Lucia Kleint a toujours été en minorité. «Durant le cursus universitaire, nous n’étions que 10 à 20% d’étudiantes, se souvient-elle. Et à Tenerife, par exemple, je suis la seule femme. Assumer le rôle de responsable dans ces conditions est parfois difficile, car être cheffe d’un homme qui a 20 ou 30 ans de plus que vous, ça ne va pas de soi. D’incessantes luttes de pouvoir se mettent en place. C’est récurrent chez les femmes, nous sommes toujours perçues comme les méchantes boss, nos décisions sont constamment remises en question. C’est fatigant, car ça m’empêche de me consacrer aux aspects de mon métier qui me tiennent à cœur.»

Pour attirer davantage de femmes dans les milieux scientifiques, Lucia Kleint milite pour un changement du système. Certaines universités ont déjà franchi le pas, leurs comités directeurs affichent une parité entre les femmes et les hommes. «Mettre davantage de profils féminins en valeur serait bénéfique à tous points de vue, souligne-t-elle. Ça permettrait aux jeunes filles de se projeter dans ces carrières, d’avoir des modèles en tête et de se dire que c’est possible pour elles aussi.» Et de citer l’Allemagne en exemple: à chaque fois qu’un homme obtient un poste dans un institut, on demande aux recruteurs d’expliquer pour quelles raisons une femme n’a pas été promue à sa place.

«Ça pousse chacun à s’interroger, à remettre en question biais et idées reçues, je trouve ça très positif.»

La passion avant tout le reste

D’autres aménagements sont essentiels. Pour Lucia Kleint, la précarité de l’emploi refroidit de nombreuses candidates. «Les amies qui ont commencé l’astronomie avec moi ont mis un terme à leur carrière. Toutes. Car elles ont souhaité avoir une famille, des enfants. Et ça n’est que difficilement conciliable avec des postes comme ceux que j’exerce. J’ai 37 ans et je n’ai pas d’emploi fixe, uniquement des contrats à durée déterminée. Lorsqu’on a une famille à charge, il n’est pas évident de vivre avec cette incertitude, de faire des projets à long terme.» D’autant plus qu’on attend également des scientifiques qu’ils soient prêts à travailler à l’étranger, à partir pour quelques mois ou quelques années. Et pas question de compter son temps de travail. «Réaliser 60, 70, 80 heures par semaine, c’est tout à fait normal. Comment concilie-t-on ça avec une vie de famille? On se retrouve face à un choix extrêmement difficile: souhaite-t-on se dévouer totalement à la science ou avoir des enfants?» Si Lucia Kleint n’a pas tranché pour le moment, elle a fait le choix temporaire de se consacrer inconditionnellement à sa passion de toujours. Tant que celle-ci brillera…

D’où elle vient: Née en 1983, Lucia Kleint a grandi et effectué ses études à Zurich. Après une thèse de doctorat brillamment obtenue en 2010, elle a travaillé pour de nombreux organismes ainsi que sur plusieurs projets de la NASA, aux États-Unis. Elle est également responsable du plus grand télescope solaire européen, implanté à Tenerife.

Où elle va: Passionnée par le soleil, elle cherche à mieux comprendre son fonctionnement, notamment le phénomène des éruptions solaires. Soutenue par le FNS, elle démarre un nouveau projet avec l’Université de Genève et espère décrocher un poste de professeure à l’issue de ce dernier.

La femme qui l’inspire: «Je ne peux pas me contenter d’en citer une, il y a beaucoup de bonnes scientifiques qui ont réussi à exercer le métier qu’elles ont toujours rêvé de faire.»

Son message: «Faites ce que bon vous semble, ce qui vous rend heureuse. Et peu importe ce que les autres disent!»

Ce qu’elle cherche: «J’essaie de mieux comprendre l’univers.»

Ce qu’elle a trouvé: «Quand un sujet d’étude nous passionne et nous apporte du plaisir, on le fait très bien, avec son cœur et sa tête.»

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