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Erika Hess est une terrienne. Une fille de la nature, selon ses propres mots. Pour ses cinquante ans, le 6 mars dernier, elle a choisi de fêter son anniversaire là où elle se sent bien: au grand air. «Je voulais faire quelque chose dehors, dans la neige, raconte la sextuple championne du monde de ski alpin. Nous avons fait du ski en nocturne sur la piste de la Jorasse aux Diablerets. Un vin chaud, une descente au flambeau et pour finir la soirée, un magnifique repas avec une superbe animation musicale dans un chaleureux restaurant de la station. Mon cousin accordéoniste est venu exprès depuis la Suisse allemande. Ce jour-là s’est déroulé exactement comme je le voulais.» En d’autres termes, sportivement. Et convivialement. Erika Hess a beau avoir mis un terme à sa carrière depuis vingt-cinq ans – un final en apothéose aux championnats du monde de Crans-Montana qui lui a permis d’accrocher deux médailles d’or de plus à son palmarès – elle n’a jamais raccroché ses skis. La retraite, pour cette Romande d’adoption, ne se conjugue que d’une manière: activement. Rencontre.

Vous avez fêté vos 50 ans le 6 mars dernier. Est-ce l’occasion de regarder vers le passé ou le futur?
Je regarde un peu toujours vers le passé, mais aussi vers l’avenir. Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. J’ai eu une enfance magnifique à la montagne, puis une carrière de sportive qui a commencé très tôt. Adolescente, j’ai été confrontée à la vie d’adulte. J’ai eu la chance de pouvoir beaucoup voyager et côtoyer différentes personnes, cultures, langues. Dans la compétition, on vit des moments durs, parfois, mais aussi heureux. C’était une période de ma vie très forte et très importante. Tout ce que j’ai vécu, que ce soit dans les victoires et dans les défaites, dans la tristesse et dans la joie, m’a amenée là où je trouve aujourd’hui et m’a fait grandir. Cela a donc de la valeur.

Avec le recul, trouvez-vous que vous avez bien vécu le passage de l’adrénaline de la compétition à l’après-carrière?
Oui. Très, très bien. Je n’ai jamais eu le moindre regret. J’ai arrêté à 25 ans et j’aurais pu continuer la compétition. Mais quand on est championne du monde, la pression qu’on porte sur les épaules est énorme. On ne skie pas pour soi-même, mais pour toute une nation. Et les gens attendent votre réussite. Ma vie privée était restreinte, tout le monde était au courant du moindre de mes mouvements. Moi, j’avais envie d’être moi-même. Quand on concourt en Coupe du monde, on vit dans une bulle. C’est grâce à ça qu’on peut se concentrer sur la course. Après la compétition, j’ai pu prendre en main ma vie. J’ai continué avec la vie de Monsieur et Madame Tout-le-monde et cela m’a bien convenu. Je me suis mariée, j’ai eu des enfants et je suis automatiquement entrée dans le rôle de maman. Et ça, je pense que c’est ce que je fais de mieux dans ma vie. Les médailles restent, mais la famille va de l’avant, elle dure plus longtemps, elle évolue. Avec les enfants, on grandit aussi. C’est très enrichissant.

Vous avez préféré qu’on vous regrette plutôt que de risquer de lasser?
Je ne me suis pas dit qu’on allait me regretter. J’ai réfléchi très égoïstement quand j’ai pris la décision d’arrêter la compétition: j’ai pensé à moi, pas à la nation. Ma tête et mon corps n’étaient plus prêts à s’investir. C’est peut-être aussi la peur de mal faire qui m’a poussée à mettre un terme à ma carrière. L’année suivante, en 1988, il y avait les JO de Calgary. La première fois que j’avais participé aux Jeux olympiques, à l’âge de 18 ans, j’avais décroché une médaille de bronze, mais en 1984 à Sarajevo, alors que je partais favorite et qu’on comptait que j’obtiendrais au minimum deux médailles, et je n’ai rien eu. Je n’avais plus envie de porter cette pression-là. La décision d’arrêter a été prise avant le début de la saison 1986-1987, celle où se sont tenus les championnats du monde à Crans-Montana. Avant de commencer, je me suis dit: «C’est ma dernière saison, je veux me donner au maximum et apprécier ce que je vais vivre.»

Pensez-vous que vous avez décroché deux médailles à Crans-Montana parce que vous saviez que c’était votre dernière compétition et que vous aviez relâché la pression?
C’est vrai que de ne voir que le positif, cela agit sur l’état d’esprit. Mais j’ai aussi pu compter sur mon expérience de la compétition, ma préparation physique et morale. Tout était au top. Et cela m’a amenée au sommet. Mais il ne faut pas oublier qu’on ne gagne pas tout seul. Il y a tout un staff autour de nous, qui fait énormément pour notre réussite. Avec Jacques (ndlr: Jacques Reymond, son mari et ancien entraîneur), je pouvais compter sur quelqu’un de très fort pour m’appuyer dans les moments difficiles. On a vécu de grands moments, tous les deux. Je lui dois une grande partie de mes médailles.

Vous avez commencé votre carrière sportive toute jeune. Vous avez eu peur d’arrêter, vous qui n’aviez rien connu d’autre que le ski de compétition?
Effectivement, j’ai eu peur de l’avenir. C’est vrai que j’ai commencé la compétition à 15 ans, donc je n’avais pas de formation supplémentaire. Pendant ma carrière sportive, j’ai appris le français en Suisse romande et l’anglais aux Etats-Unis. J’ai eu un petit moment de panique où je me suis demandé ce que j’allais faire. Mais j’ai eu la chance d’être avec Jacques, qui me connaissait très bien. Il a été très important car il m’a sortie de ma bulle et m’a montré le chemin pour préparer mon après-carrière. Ensemble, on a trouvé la solution. J’ai passé le brevet d’instructeur de ski, puis j’ai suivi la formation de masseur sportif à Macolin (BE), qui m’a beaucoup appris sur l’anatomie humaine. Je possède donc deux brevets. Cela m’a beaucoup aidée de savoir que j’étais armée pour faire autre chose que la compétition.

Etre un sportif professionnel, quand on est jeune, implique beaucoup de sacrifices. Avez-vous l’impression d’avoir sacrifié une partie de votre adolescence?
Non. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait des sacrifices parce que j’aimais ce que je faisais. Mon fils cadet, qui a 18 ans, fait de la compétition. C’est quand je le vois rentrer, fatigué du travail, et mettre ses affaires de sport pour aller s’entraîner, que je me rends compte de la volonté que cela nécessite. On ne m’a pas forcée à faire du ski. C’était simplement le sport que je pouvais pratiquer chez moi puisqu’on avait un téléski juste devant notre porte. Mes parents ne skiaient pas. Mais j’ai eu la chance d’avoir une tante qui vivait juste à côté de nous et qui était médaillée des championnats du monde. Elle m’a donné l’occasion de pouvoir faire mes premières compétitions.

Quel âge aviez-vous lorsque vous avez chaussé des skis pour la première fois?
Quatre ans. Mais à cinq ans, je me suis cassé une jambe, et à six, je me suis cassé l’autre. Donc j’ai tout de suite été dans le vif du sujet! Les samedis et les dimanches, on jouait dans les prés. On faisait du foot et d’autres jeux sportifs. Et surtout, je travaillais à la ferme, je faisais les foins. J’allais aussi à pied à l’école. Je bougeais beaucoup. C’est comme ça que je me suis constitué mon physique de base. Peu après, on a construit une petite piscine dans notre jardin et à partir de là, j’ai aussi pu nager. J’avais comme un minicentre sportif à la maison.

Vous n’avez jamais eu envie de revenir à cette vie à la ferme, après votre carrière sportive?
Je suis une fille de la nature. J’ai besoin de la terre, de la toucher. J’ai un jardin potager dans ma villa à Saint-Légier (VD), et un aussi dans notre maison à la Vallée de Joux. J’aime marcher en forêt. Le retour à la vie de ferme, je n’y ai jamais pensé car une année après mon mariage avec Jacques, on a commencé à organiser des camps de ski pour les jeunes. A ce moment-là, je ne savais pas que vingt-trois ans plus tard, je ferais toujours ça. Je suis entrée dans un fleuve et il m’a portée en avant. La demande est toujours là. Aujourd’hui, nous organisons aussi le Erika Hess Open, une course populaire ouverte à tous dès l’âge de 3 ans jusqu’à 75-80 ans. Il y a trois dates chaque hiver.

Vos trois fils ont fait du ski de compétition. Est-ce une fatalité, quand on a une maman qui s’appelle Erika Hess?
C’est à eux qu’il faudrait poser la question. J’ai un peu l’impression qu’ils vivent avec cette situation comme un enfant qui grandit avec des parents hôteliers ou restaurateurs. Mais je n’ai pas été une maman qui mettait le ski en avant. Mes fils ne m’ont pas connue lorsque je faisais carrière, donc je crois qu’ils ont pu vivre leur jeunesse presque comme tous les autres enfants. Pour eux, j’ai pu être une maman qui restait à la maison. Les deux aînés ont arrêté la compétition vers 16 ans. Aujourd’hui, on ne peut plus miser que sur le ski et mes fils avaient envie de se concentrer sur leur métier. J’étais tout à fait d’accord avec eux. On en a discuté ouvertement, pour qu’ils ne regrettent pas leur décision. Aujourd’hui, l’aîné, Fabian, est micro-mécanicien et technicien. A côté de son métier, il participe à une partie des Erika Ski Racing Camps comme instructeur de ski. Mon deuxième, Nicolas, est menuisier. Marco, mon troisième, est en première année d’apprentissage de dessinateur en bâtiment. Mais ce sont tous de bons skieurs, je suis fière de le dire!

Pensez-vous que la vie de sportif professionnel est plus dure pour une femme que pour un homme?
Non, je ne crois pas. Même si un homme peut avoir une famille tout en faisant de la compétition, alors que pour une femme, c’est plus difficile. Je ne voulais pas vivre ce genre de situation. J’ai connu des moments très forts, très grands, durant ma carrière, mais une fois mes enfants nés, j’ai voulu être là pour eux. Cela a été une grande chance de pouvoir me lancer dans l’organisation de camps de ski, car cela m’a permis de lier travail et famille. Je n’ai jamais vraiment quitté le ski et j’ai pu éduquer moi-même mes enfants tout en continuant à travailler. C’est peut-être pour cette raison que je n’ai jamais regretté d’avoir arrêté la compétition: la vie, après, a été tellement riche et belle!

On a l’impression qu’aujourd’hui, il n’y a plus de grands champions de ski comme à l’époque où vous, Maria Walliser ou Pirmin Zurbriggen défendiez les couleurs de la Suisse. Est-ce parce que les médias en parlent moins ou parce que le public ne s’intéresse plus à cette discipline?
Il y a encore des champions. J’ai assisté à la Coupe du monde messieurs 2012 à Crans-Montana et il y avait un monde fou. J’avais l’impression d’être aux championnats de 87! Il y a toujours des fans et des athlètes: Didier Cuche, Didier Défago. Chez les filles, il nous manque peut-être des vedettes, à part Lara Gut. Mais il est vrai que le public est peut-être blasé car il a le choix. Aujourd’hui, si vous voulez regarder le sport à la télé, il vous suffit de zapper pour suivre des activités sportives toute la journée et toute la nuit. Cela n’existait pas, avant. Les compétitions de ski étaient un événement. On rentrait de l’école ou du travail pour regarder la descente à la télévision. Je croise souvent des gens qui me disent: «Les seules fois où on pouvait manger devant la télé, c’était en regardant le ski.»

Les jeunes qui suivent vos camps de ski n’étaient pas nés lorsque vous étiez championne. Ce sont leurs parents qui les inscrivent?
Souvent, les parents savent qui nous sommes, Jacques et moi. Comme cela fait vingt-trois ans qu’on organise ces camps, les gens connaissent notre travail. Nous avons une vraie crédibilité. Nous sommes une équipe d’entraîneurs, mais aussi une mère et un père de famille. Pour les parents, c’est important. Cela leur inspire confiance. Dans nos camps, on apprend à améliorer sa technique, mais aussi sa condition physique car c’est important pour pratiquer le ski. Nos jeunes participants apprennent à s’occuper du matériel. En dehors de l’entraînement et de l’aspect technique, nous défendons des valeurs telles que la discipline, le respect, la tolérance, la vie en groupe. Bien sûr, ils viennent pour faire des progrès à ski. Mais il faut aussi qu’ils apprennent le savoir-vivre.

Vous avez lancé ces camps de ski il y a une vingtaine d’années. Avez-vous remarqué une évolution chez les jeunes que vous formez?
Les jeux électroniques, les ordinateurs, les téléphones portables sont très présents. Les enfants sont souvent focalisés dessus et on doit essayer de les en sortir. Quand j’étais jeune, durant les loisirs, on tapait dans un ballon et on faisait des roulades. Aujourd’hui, on est devant un écran et ce sont les doigts, voire les deux pouces, et la tête qui travaillent. Cela a beaucoup changé.

Est-il difficile de les obliger à délaisser leur ordinateur ou leur téléphone pour se concentrer sur le ski durant une semaine?
Non, pas pendant qu’on skie. Mais pendant les repas on voit qu’avoir un téléphone portable est devenu une habitude. Les enfants nous disent qu’ils doivent rester atteignables: l’idée ne vient parfois même pas des jeunes, mais de leurs parents qui veulent pouvoir appeler leurs enfants à n’importe quel moment. On ne peut pas changer leur manière de vivre, mais pendant les camps, on doit imposer une certaine rigueur sinon notre camp ne fonctionne pas. On veut que les jeunes communiquent. Pas sur Facebook, mais avec les gens qui les entourent, avec nous, avec les autres enfants. Avant, au moment du coucher, ça courait dans les corridors et ça discutait. Aujourd’hui, c’est calme, les enfants sont dans leur chambre, mais on ne sait pas s’ils dorment.

Enseigner, c’est transmettre. Est-ce important de pouvoir communiquer ce que vous savez?
Oui, c’est important de donner ce qu’on a reçu et ce qu’on sait. Encore aujourd’hui, si j’ai besoin de savoir quelque chose et que je sais que ma maman a la réponse, je lui téléphone.

En 2008, dans un entretien, vous disiez ne pas vouloir continuer durant encore dix ans. Où en êtes-vous aujourd’hui?
Il me reste donc six ans? (Rires.) Je ne fais pas trop de calcul. Pour l’instant, la santé est là, la demande est là, donc je continue. Mais la suite dépendra beaucoup de ma santé. Il faut que le dos tienne et que les genoux suivent. Et comme je travaille avec Jacques, si lui arrête jour, je ne suis pas sûre de vouloir continuer seule.

Le jour où vous ne pourrez plus enseigner le ski, vous ferez quoi? Masseur sportif, c’est aussi un travail très physique…
C’est juste. (Longue réflexion.) C’est une question très concrète! Bien sûr, j’ai une idée de ce que je pourrais faire si un jour, je dois renoncer à l’activité physique, mais je ne vais en parler pour l’instant.

Vous continueriez à évoluer dans le milieu du sport?
Cela pourrait changer.

Que vous souhaitez-vous pour l’avenir?
Surtout la santé. Que mon corps me suive. Et de voir grandir mes enfants. Peut-être aussi de pouvoir les conseiller.

Votre retraite n’est pas si calme, finalement!
Non, pas vraiment! (Rires.)

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