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Canton de Vaud

Les policiers se forment à la violence domestique

Les policiers se forment a la violence domestique

Pour reproduire le contexte d’une situation de violences domestiques, un des aspirants s’est glissé dans la peau d’un mari violent sous l’œil de la psychologue Amanda Bernabeu (à gauche).

© Julie Masson

«C’est un peu comme au théâtre», sourit le sergent-chef instructeur Romain Paul pour détendre l’atmosphère, devant des rideaux tirés. La scène sur laquelle s’installent les acteurs d’un jour est nichée dans un cadre improbable, au fond d’une galerie creusée dans la montagne. Nous sommes à l’Académie de police de Savatan (VD), où les futurs agents s’entraînent dans le cadre d’exercices de simulation. Cet après-midi de décembre, c’est à de la violence domestique qu’ils vont se frotter.

Les consignes ont été distribuées, les groupes formés. Deux aspirants ont pour mission d’observer la scène, deux autres endosseront le rôle de l’équipe d’intervention. Quant aux deux derniers, briefés à part, ils viennent d’enfiler un t-shirt au-dessus de leur uniforme, costume rudimentaire par lequel ils se glisseront dans la peau d’un couple à la dérive. Le scénario tient en quelques lignes. Elle est prostrée, en larmes, sur le lit de la chambre à coucher. Il vient de la frapper au visage et continue de vociférer depuis le salon. Appelés sur les lieux, les agents ne disposent que de peu d’informations. Une femme a composé le numéro d’urgence pour une raison inconnue. Difficile de savoir ce qu’ils vont trouver derrière la porte. Comme dans la réalité, ou presque. Car cette fois-ci, le rideau s’ouvre sur un décor qui reconstitue les pièces en enfilade d’un appartement.

20’000 cas de violence domestique recensés

Ces jeux de rôle font désormais partie du cursus des aspirants vaudois, genevois et valaisans. Ils ont la vingtaine, une petite trentaine pour certains, et sept mois de formation derrière eux lorsqu’ils mettent à l’épreuve ce qu’ils ont déjà eu l’occasion d’étudier sur un plan théorique. Autrement dit, les bases légales et procédurales, mais aussi les aspects psychologiques propres à la violence domestique. Phénomène complexe qu’ils seront immanquablement amenés à gérer une fois sur le terrain. À titre d’exemple, la police vaudoise intervient quatre fois par jour pour ce motif-là.

En Suisse, 20’000 cas de violence domestique sont recensés par année. Les femmes en sont le plus souvent les victimes. Toutes les deux semaines, l’une d’entre elles meurt, tuée par un conjoint ou ex-conjoint.

Si le tabou de la violence conjugale reste tenace, la parole se libère et les mentalités évoluent. Les pratiques et les lois aussi. Depuis 2004, cette infraction (voies de fait réitérées, menaces et lésions corporelles simples) est notamment poursuivie d’office, ce qui donne lieu à l’ouverture d’une procédure pénale dès que les autorités en ont connaissance, même si la victime ne porte pas plainte. Le principe du qui frappe part, dont le but est d’éloigner l’auteur du domicile plutôt que la victime (et, avec elle, souvent les enfants), fait son chemin dans plusieurs cantons.

Le sergent-chef instructeur Romain Paul supervise l’exercice tandis qu’une aspirante recueille le témoignage d’une victime, à l’écart dans la chambre à coucher. © Julie Masson

Ne pas oublier les enfants

Les agents de police, forcément, ont un rôle crucial à jouer, eux qui pénètrent dans l’intimité des agresseurs et de leurs victimes. «Un des grands défis auxquels ils font face, c’est la compréhension de l’autre, résume Amanda Bernabeu, psychologue chargée de la formation des aspirants de Savatan. Dans les situations de violence conjugale, l’objectif premier de la police est de rétablir l’ordre, de mettre tout le monde en sécurité. Puis d’établir les faits. Pour cela, il faut être à même de comprendre la situation, donc le vécu, le ressenti de la victime. Les compétences de communication, notamment l’écoute active, le respect et l’empathie sont essentielles. En même temps, les agents doivent viser l’objectivité et doivent pouvoir se défaire des stéréotypes. Ce ne sont, par exemple, pas toujours les hommes qui sont violents.»

Mettre un terme à la violence, recueillir des preuves, mais aussi créer un lien avec les protagonistes, orienter la victime, comme l’agresseur d’ailleurs, vers des structures d’aide… Tout cela sans porter de jugement. La tâche est délicate. Elle l’est encore plus dans l’atmosphère électrique d’un huis clos potentiellement violent. Même lorsqu’il est simulé par des camarades de classe. Dans l’appartement factice, l’exercice se poursuit: la femme porte la marque d’une blessure au visage, l’acte sera donc poursuivi d’office. Le tandem d’agents fait le point à voix basse, entre deux portes, pour confronter les versions qu’ils ont recueillies chacun auprès d’un conjoint. C’est le moment d’appeler leur supérieur pour suggérer une mesure d’éloignement.

«On gèle!» lâche alors l’instructeur, interrompant l’exercice. Il recadre («Faites écran entre l’auteur et la victime, on ne sait jamais, monsieur peut brutalement mal réagir»), commente les éléments de procédure, mais questionne aussi les signes d’empathie, la communication («Expliquez à la victime ce que vous faites quand vous vous déplacez, pour maintenir le lien que vous avez créé avec elle») et pointe les oublis («Et les enfants? Il faut s’inquiéter de savoir s’il y en a et où ils sont, car certaines personnes, en état de choc, oublient d’en parler»).

Avant la fin de la journée, le groupe aura renouvelé l’exercice, chacun dans un autre rôle et selon un scénario différent. Une intervention chez un couple homosexuel, cette fois-ci. Plus tard dans leur cursus scolaire viendront trois autres modules de mise en situation de ce type, destinés à les confronter à des situations de plus en plus complexes. Une victime mutique, notamment. Autant d’expériences pratiques qu’ils pourront grappiller avant de plonger dans le grand bain, même si, comme l’admet Romain Paul, «entre l’entraînement et la réalité, il y a souvent un monde». Il y a le risque, aussi, de se forger une carapace émotionnelle, à force d’interventions répétées dans les mêmes foyers sans arriver à casser le cycle de la violence. Une difficulté relevée par la psychologue Amanda Bernabeu, qui rappelle que si le travail réalisé à l’école de police est essentiel, «il serait bénéfique de le poursuivre à travers des formations continues sur les aspects psychologiques de la violence domestique».

© Julie Masson

«Plus de 60% des victimes sont en situation de stress post-traumatique»

En matière de violence domestique, les policiers sont mieux formés qu’auparavant, se félicite Béatrice Cortellini, directrice de l’association AVVEC, qui vient en aide aux victimes de violence en couple. Une sensibilisation essentielle, selon elle: «Plus de 60% des victimes de violence domestique se trouvent en situation de stress post-traumatique, parfois depuis très longtemps. Ce stress peut avoir un impact sur la manière dont elles vont s’exprimer, leur récit aura peut-être des trous ou des incohérences.» Autre réalité méconnue: ce que les spécialistes appellent l’impuissance acquise. À savoir, l’apparente passivité d’une personne face à la répétition d’agressions dont elle est la cible. «La victime a intégré l’idée qu’elle n’a aucun moyen d’agir, ni pour changer la situation, ni pour se protéger, ce qui peut donner l’impression, incompréhensible de l’extérieur, qu’elle ne fait rien», détaille Béatrice Cortellini.

La violence conjugale est un phénomène qui présente certaines spécificités.

On sait, par exemple, qu’environ 40% des violences physiques démarrent autour de la grossesse.

«Si les situations évoluent plus ou moins rapidement d’un couple à l’autre, le schéma est souvent le même avec, dans un premier temps, de la violence verbale, psychologique, rappelle Béatrice Cortellini. Si, pour certains, ça n’ira pas plus loin, dans d’autres cas suivront la violence physique puis sexuelle, parfois jusqu’au féminicide.»

«L’idée qu’il s’agit d’affaires privées n’a pas complètement disparu»

«On a fait de la violence conjugale un enjeu public, mais c’est historiquement relativement récent, prévient l’avocate Camille Maulini, du Collectif de défense, qui accompagne des victimes. L’idée qu’il s’agit d’affaires privées n’a pas complètement disparu. Cela se ressent parfois dans les remarques de certains juges ou procureurs et dans les interventions policières.» Des interventions la plupart du temps réalisées par la police de quartier, donc souvent par de jeunes agents au bénéfice d’une expérience professionnelle relativement courte, ajoute-t-elle.

Camille Maulini observe une propension à sous-estimer la gravité de certaines situations, notamment par méconnaissance du phénomène d’emprise ou du cycle de la violence au sein du couple. «La violence psychologique en est le premier palier, rappelle-t-elle, mais cette violence n’est, la plupart du temps, pas pénale, ce qui peut laisser la police un peu démunie. Comme dans le cas de violences physiques pour lesquelles il n’y a pas de preuves. Néanmoins, on sait que si on ne coupe pas le cycle de la violence, celle-ci ira en s’accentuant. Or, les femmes que l’on reçoit rapportent régulièrement que les policiers se sont contentés de prévenir leur conjoint d’un: C’est la dernière fois!» De ce que l’avocate entend de la bouche des victimes, il y a encore une grande marge d’amélioration. Et la féminisation de la profession, à sa manière, contribue à faire évoluer les mentalités.

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