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«Management» N° 189 de septembre 2011,
Extraits du dossier coordonné par Cyril Azouvi, avec Laure Cailloce, Ophélie Colas Des Francs, Marie-Madeleine Sève, Anne-Isabelle Six et Virginie Riva

Les femmes sont-elles vraiment incapables de lire une carte routière et les hommes de ranger leurs chaussettes? Et surtout, faut-il croire que les premières sont programmées pour garder le foyer et les seconds pour faire la guerre et partir à la chasse? Si vous voulez avoir la réponse, ne lisez pas ce dossier. Que les femmes viennent de Vénus et les hommes de Mars (ou l’inverse), là n’est pas la question.

Nous avons plutôt cherché à établir une série de constats. Aujourd’hui, quelles compétences spécifiques les femmes mettent-elles au service de l’entreprise? Et dans quelle mesure ces compétences permettent-elles ou non de mieux travailler? Dans chacun des grands domaines de la vie de bureau que nous avons explorés, nous nous sommes appuyés sur des études scientifiques, dont les résultats fournissent une base de réflexion solide.

Crainte des stéréotypes

Malgré ces multiples précautions, nos journalistes ont eu du mal à trouver des femmes qui acceptent de parler à cœur ouvert. A l’origine de ces réticences, il y avait souvent la peur d’alimenter des stéréotypes mille fois débattus. Mais aussi, parfois, la peur de l’issue du «match»: et si, finalement, les hommes étaient meilleurs qu’elles? Espérons que ce dossier contribue à rétablir leur confiance.

Qu’elles commencent par considérer ce simple fait: lors de la crise de 2008, BNP Paribas est la banque qui a le mieux résisté, Dexia celle qui a le plus souffert. La première compte 44% de femmes parmi ses cadres, la seconde 22%. Surprenant? Pas vraiment: les études prouvant que les entreprises les plus féminisées réalisent les meilleures performances économiques se multiplient. L’étude Women Matter, conduite en 2007 par McKinsey, a même un sous-titre éloquent: «La mixité, levier de performance de l’entreprise.» Le cabinet de conseil en stratégie a d’abord passé au crible le management de 101 grandes entreprises en Europe, en Asie et en Amérique selon neuf critères (leadership, compétences, motivation, innovation, etc.). Et a constaté que les entreprises où les femmes occupent davantage de fonctions de direction obtenaient des scores plus élevés. «La corrélation entre excellence organisationnelle et présence féminine est frappante», affirme-t-on chez McKinsey.

Performances financières

Le cabinet a ensuite sélectionné 89 sociétés européennes cotées ayant plus de deux femmes dans leur conseil d’administration et comparé leurs performances financières à la moyenne de leur secteur. Là encore, qu’il s’agisse de rentabilité, de résultat opérationnel ou de croissance du cours de l’action en bourse, les entreprises féminisées étaient meilleures. Deux ans après l’enquête de McKinsey, l’étude publiée par Michel Ferrary allait dans le même sens. Le chercheur de la Skema Business School (Lille et Sophia-Antipolis) démontrait l’impact économique favorable de la présence des femmes dans l’encadrement de 42 entreprises françaises cotées. Croissance, rentabilité, productivité au travail et création d’emplois, tous les indices concordaient. «Beaucoup de dirigeants pensent encore que lutter contre les inégalités entre les sexes, c’est faire du social, relève Michel Ferrary. Or la justification est certes d’ordre moral, mais elle est aussi clairement d’ordre économique.

Nommer une femme à un poste visible pour s’acheter une image de diversité a peu d’influence sur les performances. Mais au-delà d’un seuil critique de 35% des effectifs, l’impact des femmes est réel.» Place aux femmes, donc? En tout cas, ce serait cohérent avec la manière dont se définit la science du management aujourd’hui. Professeurs, DRH et coachs défendent des valeurs de concertation, de négociation et d’écoute: autant de qualités que l’on prête plutôt aux femmes. «Les entreprises se sont construites sur un modèle masculin inspiré de l’armée, estime le chasseur de têtes Damien Crequer, du cabinet Taste. Cette vision dirigiste et hiérarchique n’est plus du tout adaptée. Il faut faire adhérer les équipes aux projets, pas les leur imposer.»

Arsenal législatif

La mondialisation de l’économie, de plus en plus complexe et incertaine, incite aussi à abandonner le fantasme de clonage des élites. «Si les décideurs sont tous des hommes blancs issus de la même école, ils risquent davantage de se tromper», estime François Fatoux, délégué général de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises. La démonstration n’est donc plus à faire: les entreprises ont tout intérêt à intégrer davantage de femmes. Mais cette évidence est encore loin de se traduire dans les faits, malgré un arsenal législatif qui ne cesse de s’alourdir. Dernière en date en France, la loi Copé-Zimmermann de janvier 2011 qui, pour la première fois, impose des quotas: un minimum de 20% de femmes au sein des conseils d’administration d’ici à 2014, et 40% d’ici à 2017, sous peine de sanctions. Pourtant, jusqu’à présent, rien n’y fait. La France n’a plus de patronne d’une société duCAC40 depuis l’éviction d’Anne Lauvergeon de la direction d’Areva en juin dernier. Et seules 70 femmes (soit 15% des effectifs) figurent aux conseils d’administration et de surveillance des entreprises du CAC 40.

«Dans le milieu des affaires, les hommes vivent entre eux depuis toujours, constate Tita Zeïtoun, PDG de Boissière Expertise Audit. A tel point que le directeur financier d’une énorme entreprise française s’est un jour étonné devant moi: il existe donc des femmes commissaires aux comptes?» L’association Action de femme, présidée par Tita Zeïtoun, lutte non seulement pour une présence accrue des femmes à des postes clés, mais aussi pour une répartition plus égalitaire des tâches. «Celles qui accèdent à des responsabilités sont souvent nommées au social, à la communication, au développement durable, et très peu à la stratégie ou à la finance», déplore-t-elle. Sur ce sujet, le bilan dressé par l’inspectrice des affaires sociales Brigitte Grésy dans son rapport de 2009 sur l’égalité professionnelle est accablant: les hommes squattent des secteurs entiers de l’économie (industrie, bâtiment, informatique), tandis que les femmes sont surreprésentées dans des emplois précaires ou à temps partiel, non qualifiés (60%) ou peu valorisés (caissières, infirmières, secrétaires).

Plafond de verre

Surtout, à poste égal, les hommes gagnent toujours 17% de plus. Une étude de l’Apec de mars 2011 révèle même que cet écart de salaire augmente avec l’âge, conséquence de progressions de carrière inégales. Le fossé entre les sexes se creuse à partir de 35 ans et l’arrivée du premier enfant. Les femmes butent alors sur le fameux plafond de verre. «Les stéréotypes, qui perdurent, entravent leur promotion, regrette Brigitte Grésy. Je me souviens de cette jeune femme écartée d’un poste car son patron était persuadé qu’elle ne serait pas assez mobile à cause de ses enfants. Pourtant, elle venait de se déplacer dix-huit fois en Chine pour son travail!» Le plus urgent est donc effectivement d’en finir avec les idées reçues pour instaurer une situation plus égalitaire. L’auteure du Petit traité contre le sexisme ordinaire (Albin Michel) est même prête à pousser l’idée de mixité jusqu’au bout: «A compétence égale, dans une équipe majoritairement féminine, il faudrait ainsi choisir un homme.» Resterait alors à inventer un mot pour leur défense: «masculinisme»? Malheureusement, les linguistes ont largement le temps de réfléchir à la question.


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