Relations
L'édito de Géraldine Savary: «Ode aux familles de sœurs»
Incroyable, à y réfléchir. La langue française pourtant riche, variée, sédimentée par des siècles d’histoire humaine, n’a pas de mot pour évoquer la relation entre sœurs. On parle d’une fratrie, à savoir une famille composée de garçons et de filles, mais ça ne traduit pas le lien particulier qui se noue entre des filles qui grandissent ensemble, partagent leur brosse à cheveux, leurs rêves, l’amour de leur papa.
J’ai toujours pensé que ouf, j’avais la chance d’avoir un frère plutôt qu’une peste de sœur. Un frère qui était là quand j’avais besoin de lui, qui pouvait me présenter ses copains, un alter ego grâce à qui je comprendrais le grand mystère de l’altérité masculine. Je me disais qu’une sœur aurait empiété sur mon territoire, que nous aurions été en rivalité, qu’elle aurait été plus blonde, plus grande, plus musicienne, plus sportive.
Pourtant toutes les femmes qui racontent la relation qu’elles entretiennent avec leur sœur chantent au contraire une vie de complicité, de fous rires, de soutien en cas de coup dur. De l’enfance au grand âge, avoir une personne de même sexe et de même famille à ses côtés est une force plutôt qu’un champ de tension. Les liens restent forts, nourris par des expériences communes. Des sœurs travaillent ensemble, font de l’argent ensemble (sœurs Olsen, sœurs Kardashian), gagnent des compétitions sportives (sœurs Kambundji), commettent des crimes (sœurs Papin), se lancent en politique et se partagent des cantons. Et tiens, aucun crêpage de chignon à l’horizon.
Les sorories font naître les sororités
Pourquoi, alors, est-il si usuel de dresser les filles d’une même famille les unes contre les autres, genre les méchantes sœurs de Cendrillon? La directrice éditoriale de l’Institut Montaigne, Blanche Leridon, s’est posé la question et en a tiré un livre, qui dissèque la manière dont nos sociétés ont fait si peu de cas de ce qu’on peut appeler les sorories. Les filles coûtaient cher (il fallait les marier), ne pouvaient bénéficier de l’héritage ou reprendre un domaine familial. Cette vision négative nous a accompagnées longtemps. Il est à espérer que ça change. Parce que les sorories font naître les sororités, les alliances, les réseaux. Vive les sœurs donc, même si je n’échangerais pour rien au monde mon frère chéri.
Cet édito est à retrouver dans le magazine «Femina» du 3 novembre 2024, tandis que les articles «Sœurs: Pourquoi la relation sororale n'est pas valorisée» et «Témoignages: 4 sorories racontent leur relation familiale» sont à découvrir dès le 4 novembre sur Femina.ch.
Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!