Société
L'édito de Géraldine Savary: «L'égalité dans la cuisine»
Dis-moi combien de temps tu passes à la cuisine et je te dirai qui tu es. Cet espace domestique raconte l’évolution de la société, le rapport entre les hommes et les femmes, les dynamiques familiales, les différences sociales et culturelles, le lien que l’on entretient avec notre corps et notre histoire. Si j’étais sociologue, je ferais le tour de toutes les cuisines, je regarderais les gens préparer le repas, et j’en profiterais pour m’inviter.
L’Office fédéral de la statistique n’a pas fait le pique-assiette mais a publié le 2 octobre 2024 une grande étude sur les familles qui montre que le temps consacré à la préparation des repas commence à s’équilibrer entre les genres: près de huit heures pour les femmes, cinq pour les hommes (à la louche). Autre phénomène récent, les réseaux sociaux, espace virtuel sans effluves ni matière grasse, regorgent de femmes (et d’hommes aussi) qui brassent des conseils et mijotent des recettes. Le temps où le conseiller fédéral Ueli Maurer renvoyait toutes les Suissesses aux fourneaux semble révolu, elles s’y rendent désormais par elles-mêmes.
Toute la famille dans la cuisine
Perso, j’en viens presque à devoir revendiquer mon territoire devant les plaques. Les filles colonisent les armoires avec des choses sans gluten, des graines de chia et le bouquin d’Ottolenghi, le conjoint avec des robots dont l’usage nécessite un master à l’EPFL. Récemment, je rentre, et je me retrouve devant une grosse machine qui occupe la moitié de MA cuisine et qui ressemble à une urne funéraire. Mais qu’avons-nous acheté (le nous, avouons-le, est à géométrie variable)? Une sorbetière, me répond le conjoint, qui s’amuse à faire clignoter des tas de boutons aux fonctions mystérieuses. Encore un truc pour épater les copines et les copains, pensai-je un peu ronchon, il n’a pas d’autres choses à faire que de se prendre pour Mövenpick?
Nous ne cracherons pas dans la soupe, bien sûr. Que tous les membres d’une famille investissent la cuisine est une bonne nouvelle, une avancée par rapport aux modèles précédents. Une dame de 80 ans me racontait avoir démontré à son mari qu’elle avait préparé 39’600 repas durant leur vie conjugale, et encore, elle n’avait pas compté les petits-déjeuners. Aujourd’hui, les couples échangent autour des casseroles, tambouillent ensemble, se chamaillent parfois, ça met du sel dans les unions. Les jeunes regardent les parents préparer à manger et apprennent l’air de rien. L’appétit d’égalité vient en mangeant.
Retrouvez cet édito dans le magazine Femina du 13 octobre 2024, encarté dans Le Matin Dimanche.
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