Littérature espagnole
L'écrivaine de polars Carmen Mola est en réalité un trio d'hommes
Jusqu'au 15 octobre2021, on pensait que Carmen Mola était l'une des écrivaines espagnoles les plus douées de sa génération. Personne ne l'avait jamais vue, mais ses éléments biographiques, circulant depuis des années dans les médias, la présentaient comme une enseignante en mathématiques de 48 ans, mère de trois enfants, préférant utiliser un pseudonyme et rester discrète pour ne pas voir son quotidien être troublé par sa célébrité.
Il faut dire qu'avec sa trilogie littéraire composée des polars La fiancée gitane, Le réseau pourpre et La Nena, dont les exemplaires se sont vendus par centaines de milliers depuis 2018, Carmen Mola est une auteure au succès international suscitant forcément la curiosité. Mais voilà, l'écrivaine si mystérieuse, publiée chez Actes Sud en traduction française, n'est pas du tout celle qu'on imaginait: elle n'est finalement pas une femme, mais n'est pas tout à fait un homme non plus. Non, elle est en fait... trois messieurs.
Trois hommes et un coup bas
Lauréat du prix Planeta, l'une des plus prestigieuses récompenses littéraires hispaniques, le dernier roman signé Carmen Mola, La Bestia, devait voir son auteure se présenter enfin au public lors de la remise du trophée. Mais malaise: au lieu d'une quadragénaire madrilène, ce sont les écrivains Jorge Díaz, Agustín Martínez et Antonio Mercero qui sont alors apparus sur scène pour recevoir le prix doté d'un coquet million d'euros.
Ce coup de théâtre n'a pas manqué d'amuser les invités, mais dans la sphère littéraire espagnole, plusieurs personnes confient avoir eu du mal à digérer ce qu'elles perçoivent comme une trahison. Carmen Mola, cette prétendue Madrilène menant de front vie de famille, job au lycée et écriture de romans à succès, passait en effet pour une figure féministe inspirante aux yeux de nombreux lecteurs Espagnols.
Découvrir que cette super-héroïne non seulement n'existait pas, mais consistait en un trio de mâles d'âge mûr ayant bien plus de temps pour rédiger des livres qu'une femme seule jonglant entre tâches domestiques et travail, a notamment irrité l'écrivaine féministe Beatriz Gimeno: «Au-delà de l’utilisation d’un pseudonyme féminin, ces gars-là répondent à des interviews depuis des années. Ce n’est pas seulement un nom, c’est un faux profil qui a conquis les lecteurs et journalistes. Escrocs», s'est-elle emportée sur Twitter.
Le cas Elena Ferrante
Reste que ce n'est pas la première fois qu'une remise de prix permet de faire tomber le masque d'un auteur. En 1975, l'immense écrivain Romain Gary avait pu remporter pour la seconde fois le Goncourt, une récompense suprême qu'il n'est normalement pas possible de gagner à deux reprises. Pour contourner le règlement et surprendre le monde littéraire, il avait décidé de publier son nouveau roman La vie devant soi sous le pseudonyme d’Émile Ajar.
Et si ses en série, soi-disant d'inspiration autobiographiques, n'étaient qu'une belle fiction pour faire vibrer l'adolescent assoiffé d'amitié fusionnelle qui sommeille en nous? Et si l'écrivaine n'était pas du tout ce qu'elle prétend être, en l'occurrence une Napolitaine née en 1943? Le fait qu'on surnommait Carmen Mola «l'Elena Ferrante espagnole» ne va sûrement pas rassurer ses fans.