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«Laisse-moi tranquille»: Un podcast sur le harcèlement de rue

Podcast 14 juin harcelement de rue

«Je devais avoir 12 ans, j’étais à un arrêt de bus et je mangeais une glace avec une copine. Devant nous s’est arrêtée une voiture, occupée par deux hommes adultes. L’un d’eux nous a rétorqué: "Arrêtez de manger ces glaces ainsi, vous excitez tout le monde!"» - Nathalie

© ELSA GUILLET

«Eh, mademoiselle», «T’es bonne», «Mais faut pas t’habiller comme ça, tu sais pas ce que tu me fais»… On ne s’en rend pas toujours compte, mais de nombreuses personnes entendent fréquemment ce genre de propos dans l’espace public, de jour comme de nuit. En Suisse, le rapport de la statistique policière de la criminalité comptait un total de 1435 infractions enregistrées de harcèlement sexuel en 2020, soit 19% de plus qu’en 2009. D’après le document, la majorité des personnes concernées sont des femmes et des personnes de la communauté LGBTIQ+. En France, un récent sondage du Haut Conseil à l’égalité révélait également que 80% des femmes ont peur de rentrer chez elles le soir.

À quelques jours du 14 juin 2023, jour de la grève féministe en Suisse, nous avons accueilli seize témoignages glaçants, partagés par des femmes, des personnes de la communauté LGBTQIA+ et des personnes racisées. Face au micro, elles nous ont raconté des expériences de harcèlement de rue qu'elles ont vécues, ainsi que les répercussions émotionnelles de ces expériences difficiles.


Aujourd’hui, des outils permettent de signaler et de recenser plus facilement ce phénomène. Parmi ces derniers, on compte une plateforme spéciale disponible sur le site de la Ville de Lausanne ou encore l’onglet «harcèlement de rue» de l’application Genève en poche, qui permet de raconter un événement et de demander une prise de contact afin de faciliter une analyse juridique, un accompagnement, une écoute et une redirection vers des associations compétentes, en cas de besoin. «Cet onglet a été lancé suite au Diagnostic local de sécurité de l’année 2020, explique la commandante Christine Camp, cheffe de service à la police municipale de Genève. En effet, il soulignait que 77% des femmes âgées de 15 à 34 ans déclarent avoir été victimes de harcèlement de rue au moins une fois dans leur vie.» En 2022, après six mois d’activité, l’application avait comptabilisé 183 signalements, dont 36 demandes de contact. Deux personnes ont choisi de déposer une plainte pénale auprès de la police cantonale.

«En ce qui concerne la nature des signalements, on note avant tout les regards insistants, le sentiment d’avoir été suivie ou suivi et les remarques ou insultes à caractère sexiste, précise la commandante Camp. Les deux premiers phénomènes tombent dans l’infralégal, mais le troisième est poursuivable sur plainte. Notons également que la majorité des cas se déroule dans l’espace public, tandis que 20% se sont produits dans les transports en commun.» Pour la première moitié de 2023, 68 cas de harcèlement de rue ont été dénoncés via l’application genevoise: «La moitié des personnes concernées ont demandé à être accompagnées et écoutées, précise la commandante. Il est difficile d’identifier si ce taux est dû à une augmentation des cas, ou parce que l’application devient plus connue.»

L’importance de l’écoute

Souvent banalisé et normalisé, le harcèlement de rue est toutefois difficile à vivre, notamment en raison d’un effet d’accumulation. Comme en attestent les témoignages ci-contre, rassemblés dans un podcast disponible sur Femina.ch, certains vécus relèvent de véritables traumatismes, suscitent une vigilance constante et marquent la personne durant des années. «Les violences sexistes sont minimisées de manière générale, note la conseillère nationale Léonore Porchet (Les Verts/VD), présidente de l’application EyesUp, qui permet de signaler le harcèlement dans toute la Suisse romande. La seule qu’on considère comme réellement grave est l’image qu’on se fait d’un viol en série dans une allée sans issue, la nuit. Toutes les autres formes de violence sont banalisées aujourd’hui et, dans ce cadre, le harcèlement tient une place particulière, puisqu’il laisse rarement des séquelles physiques visibles.»

Depuis le lancement de l’application, Léonore Porchet a noté deux éléments consternants: «J’ai été choquée de constater à quel point le harcèlement de rue touche des personnes jeunes. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis engagée aussi fortement pour cette cause.

Par ailleurs, un autre constat marquant est le besoin de parler, après avoir vécu une telle situation. Cinquante pour cent des personnes qui déposent un signalement sur EyesUp remplissent le champ qui permet de raconter ce qui leur est arrivé. Cela montre de manière poignante l’impuissance et la douleur des cibles, peu importe la «gravité» de ce qu’elles ont vécu.»

Du progrès, petit à petit

Heureusement, des solutions sont mises en place progressivement dans les villes romandes, esquissant un progrès: «Tout le corps de la police municipale de la Ville de Genève est désormais sensibilisé à cette thématique, ajoute la commandante Camp. Nous avons une dizaine d’agents actuellement formés à l’accueil des victimes et spécialisés dans la prise en charge des personnes ayant subi du harcèlement. L’écoute est très importante, même lorsqu’il n’y a pas d’infraction pénale, car la personne peut se sentir entendue et reconnue comme victime.»

Du côté de la police municipale de Lausanne, le nombre de patrouilles pédestres en uniforme a considérablement dans le centre-ville, «ce qui assure une présence visible et dissuasive». Par ailleurs, «une unité spéciale a été créée pour prendre en charge les victimes, garantissant ainsi un accueil de qualité, un soutien, des conseils et un suivi dans les situations de violence ou de harcèlement. En ce qui concerne les moyens de contacter la police, outre le numéro d'urgence 117, les personnes peuvent utiliser la plateforme dédiée au harcèlement de rue et, dans le cas d’une situation de violence ou de harcèlement, il est également possible de contacter la police par courrier électronique.

Or, pour Léonore Porchet, on n’observe pas encore une véritable amélioration: «Le phénomène reste stable, puisque nous vivons dans une société qui n’a pas encore décidé de se lancer véritablement dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, estime-t-elle. Pour voir une amélioration, il faudrait mettre en place une stratégie nationale, avec une prise en charge réelle des victimes et des auteurs, ainsi qu’une éducation à l’égalité, au respect et au consentement bien plus importante, afin que les femmes et les filles ne soient plus considérées comme des objets sexuels à disposition des hommes dans l’espace public.» 

Informations pratiques

Face à du harcèlement de rue, n’hésitez pas à composer le 117, à signaler le cas sur l’application EyesUp, à consulter le site non-c-non.ch ou à vous tourner vers des ressources cantonales telles que l’application Genève en poche, la plateforme harcèl.Vevey ou encore les centres LAVI.

Extraits de témoignages

Clotilde

«J’avais 15 ans et j’étais en voyage d’études avec ma classe. Nous voyagions dans un métro bondé lorsqu’un homme d’une cinquantaine d’années s’est collé contre moi, en se frottant contre mon corps. J’ai senti toute son anatomie contre mes fesses. Mon visage est devenu pâle et mes copines se sont inquiétées, pensant que je faisais un malaise. Ce n’est qu’en sortant du métro que j’ai réussi à leur expliquer ce qui venait de se produire, mais elles ne m’ont pas tout de suite crue. En insistant un peu, j’ai réussi à leur faire comprendre mon choc.

Cet événement m’a beaucoup marquée et aujourd’hui, dès que je suis dans les transports en commun, j’ai toujours le réflexe de me caler dans un coin, de telle manière que personne ne puisse se frotter à moi.»

Caroline

«Il faisait super beau et j’avais décidé de mettre une jolie robe qui me mettait bien en valeur. Je me sentais pleine d’assurance, fière de ce que j’étais à ce moment-là. Mais lorsque j’ai traversé un passage pour piétons, une voiture s’est arrêtée devant moi. Le conducteur a baissé la vitre, m’a sifflée, appelée par des noms d’animaux incroyables, et m’a proposé de monter dans le véhicule. Ma première réaction a été de m’énerver et de l’insulter. Il a arrêté le moteur et, effrayée, je suis vite partie. Heureusement, il a poursuivi sa route, mais moi je me sentais ridicule. Je n’arrêtais pas de tirer ma robe en bas, j’avais honte, toute mon assurance s’était évaporée.»

Nathalie

«Je devais avoir 12 ans, j’étais à un arrêt de bus et je mangeais une glace avec une copine. Devant nous s’est arrêtée une voiture, occupée par deux hommes adultes. L’un d’eux nous a rétorqué: "Arrêtez de manger ces glaces ainsi, vous excitez tout le monde!" J’ai compris, pour la première fois de ma vie, que c’était une remarque à caractère sexuel, et j’ai pensé que c’était de notre faute. On s’est senties humiliées, gênées, et on est parties en courant. Ce souvenir me met encore en colère aujourd’hui.»

Eva

«C’est arrivé en avril 2022. Je marchais dans une avenue très calme lorsqu’un homme en voiture s’est arrêté pour me demander son chemin. Je lui ai expliqué très gentiment, mais quand je me suis baissée, j’ai vu qu’il se masturbait devant moi, le sexe complètement à l’air, sans gêne. J’étais outrée. Dès qu’il a compris que j’avais remarqué, il est parti en trombe, alors que je lui criais dessus. Je me sentais très énervée et cela m’a beaucoup plus traumatisée que je pensais. D’une certaine manière je me sentais salie, car mon corps avait été utilisé sans mon accord. Après un mois de réflexion, j’ai décidé de porter plainte. La police a accueilli mon témoignage et cela m’a aidée d’en parler, qu’on prenne en compte mon vécu.»

Marius

«Je visitais le lieu de travail de ma mère, le soir, dans le centre-ville. Je me tenais en haut des escaliers au moment de ressortir et j’ai aperçu un groupe d’hommes assis au bas des marches. Je n’osais plus sortir. Lorsque j’ai enfin décidé de prendre mon courage à deux mains et de partir, l’un d’eux m’a suivi en me rétorquant tous les jolis noms qu’une femme peut entendre dans la rue. Mais quand il a compris que je ne suis pas une femme, il est devenu violent, me lançant des propos «queerphobes». Je suis rentré chez moi bouleversé et j’ai mis pas mal de temps à m’en remettre.»

Valérie

«Comme j’habite au centre-ville, il m’arrive assez souvent de me faire suivre en rentrant chez moi, le soir. Souvent, ce sont des hommes qui veulent engager la conversation et qui s’énervent si je ne leur réponds pas. Il m’est arrivé de devoir courir les derniers mètres jusqu’à ma destination, de vite entrer le code et de claquer la porte au nez d’une personne. Comme cela devenait fréquent, j’ai pris des cours d’autodéfense.»

Agathe

«J’étais sur une terrasse avec ma filleule. Un homme s’est assis à côté de nous et a commencé à écouter notre conversation et à commenter mon physique. Depuis quelques années, je me suis promis de répondre et de ne plus baisser les yeux tout de suite. Quand je lui ai dit que nous n’avions pas envie de lui parler, son discours a complètement vrillé. Il m’a dit que j’étais une personne narcissique, etc… Nous n’avions plus envie d’être là, on a écourté notre repas et on est parties.»

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