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La semaine de 4 jours en Suisse romande, c’est pour quand?

La semaine de 4 jours, c’est pour quand?

Lors de la journée d’action nationale de la Grève pour l’Avenir, le 9 avril 2022 à Genève, de nombreuses personnes se sont mobilisées pour réclamer cette nouvelle manière d'envisager le travail.

© KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI

En constante mouvance, le monde du travail? Si la remise en question de nos habitudes professionnelles n’est pas nouvelle, la crise sanitaire a accéléré le processus. Une mesure fait particulièrement des émules à l’heure actuelle: la semaine de 4 jours. En France, 400 entreprises l’ont adoptée. Du côté de la Nouvelle-Zélande, la première ministre Jacinda Ardern en fait activement la promotion tandis que le gouvernement espagnol a déboursé 50 millions d’euros pour accompagner 200 entreprises volontaires sur la voie de la réduction de travail. Et la Suisse alors? «On est à la traîne, déplore Tamara Funiciello, conseillère nationale (PS/BE). De ce côté-là, on est loin d’être innovants. Pourtant, on aurait tellement à y gagner!»

Comme le démontre le bien nommé Job Stress Index, la situation des personnes actives ne cesse de se péjorer: 28,7% des travailleuses et travailleurs sont épuisés. La majorité des Helvètes se plaint d’un rythme de travail qui s’accélère d’année en année. «J’ai de la peine à comprendre que l’on ne voit pas cette folie, s’indigne Tamara Funiciello, qui a fait de la réduction de travail son cheval de bataille. On travaille toujours autant que dans les années 50. Ça ne fait aucun sens! Les avancées technologiques devraient nous décharger. Mais ce que l’on observe, c’est tout le contraire: la pression sur les employées et employés augmente, tout comme le multitasking. Dans un tel environnement, il n’est pas étonnant que les chiffres de burn-out explosent.»

En 2017, l’enquête suisse sur la santé démontrait que 49% des personnes qui se déclaraient stressées au travail présentaient un risque accru d’épuisement professionnel.

Après avoir terminé sa maturité gymnasiale, Léa Beyeler, 19 ans, effectue une année propédeutique dans le but de pouvoir commencer des études d’ostéopathie. Le monde du travail? La Jurassienne n’est guère impatiente de s’y plonger. Elle est désormais l’une des figures de la Grève pour l’Avenir, une association nationale qui se bat pour une réduction massive du temps de travail, qu’elle a rejointe en premier lieu pour des considérations écologiques: «Pour faire face à la crise climatique, réduire le temps de travail est essentiel. Cela permet une diminution notable des émissions de gaz à effet de serre.»

Les avantages sociaux d’une telle initiative séduisent également Léa Beyeler: «On aurait davantage de temps pour s’intéresser aux débats publics, pour s’engager dans des associations ou des comités, dans tous ces groupements qui donnent vie aux communes et favorisent les échanges.»

Et ça fonctionne!

C’est précisément cet aspect qui a donné envie à Céline Marty, philosophe et autrice de Travailler moins pour vivre mieux (Éd. Dunod), de diriger ses recherches sur cette thématique. «J’ai toujours été frappée par la place que l’on consacre au travail, au point que ça ne nous laisse aucun temps pour faire autre chose, pour réfléchir à la politique. Comment faire la démocratie si l’on est totalement happés par le travail?»

Pour la chercheuse française, la vie professionnelle actuelle fait souffrir les gens et n’est bénéfique ni pour nos conditions de vie ni pour notre santé psychique et physique. «Ce n’est même pas certain que cela soit bon pour l’économie: nous sommes des travailleurs épuisés, à bout de souffle. Et cela a un coût en matière de santé publique.» Pour Céline Marty, la semaine de 4 jours est une proposition intéressante à tester: «Cela nous montre que l’organisation du travail peut être remise en question, à l’échelle de l’entreprise comme à celle de la société.»

«La semaine de 4 jours est une mesure qui permettrait de réduire les transports, les consommations liées au travail, la fatigue également. Les entreprises qui l’appliquent sont ravies des conséquences sur les travailleurs: les gens sont plus reposés et plus efficaces sur leur semaine. Quand on la met en application, ça marche!»

Céline Marty

Philosophe

Janina Kirchner, marketing manager auprès d’Awin Global, une entreprise internationale active dans l’affiliation, en fait l’expérience depuis le mois de janvier. Après un essai de 10 mois avec une semaine de 4,5 jours, la firme est passée à 4 jours avec une compensation salariale totale. «Cette mesure a un avantage certain pour les employeurs, constate la Zurichoise. Employées et employés sont satisfaits, il y a donc moins de turn-over et d’épuisement. C’est extrêmement motivant de savoir que l’on a toute la confiance de la part de son supérieur.» Janina Kirchner est convaincue par cette nouvelle manière d’organiser sa vie professionnelle, une liberté qui lui permet de planifier aisément ses rendez-vous et de faire ses courses en semaine pour totalement profiter du week-end ensuite.

Halte aux heures sup'

L’application de la semaine de 4 jours doit toutefois se faire dans les règles de l’art pour être efficace: pas question d’augmenter les journées de travail, ni de subir une quelconque réduction de salaire. «Il est nécessaire de revoir les tâches de chacun et de les adapter, met en garde Stefania D’Onofrio, psychologue du travail. Pour compenser cela, il est souvent nécessaire d’embaucher du personnel.» C’était l’un des grands objectifs des 35 heures chez nos voisins français, réforme adoptée au début des années 2000. «Les résultats sont ambivalents, observe Nicky Le Feuvre, professeure ordinaire en sociologie du travail à l’Université de Lausanne. La réduction d’heures n’a été que partiellement compensée par la création d’emplois. Le cahier des charges est, dans la majorité des cas, resté le même.»

«Cela a conduit à une intensification des rythmes de travail et une augmentation des exigences de productivité, faisant croître la fatigue et le sentiment de frustration chez certains employés. Dans de telles situations, on cherche toujours à rattraper les tâches en retard et le travail risque alors d’empiéter sur les autres sphères de la vie.»

C’est d’ailleurs ce que l’Union patronale suisse (UPS) ne manque pas de souligner pour balayer cette idée, qu’elle juge inadaptée à l’ensemble des entreprises. «Sur le marché du travail suisse, où le volume de travail élevé est le moteur de la prospérité et du plein-emploi, les inconvénients l’emportent clairement du point de vue des employeurs, souligne l’association faîtière. La perte de productivité ne pourrait être que difficilement compensée par une augmentation des performances.» Et de citer également une probable perte de compétitivité ainsi qu’une intensification du travail qui ferait croître le stress plutôt que de le diminuer. Pour l’UPS, la réduction du temps de travail doit rester une initiative privée entre entreprises intéressées et collaborateurs.

Profiter des moments libres

L’Union syndicale suisse (USS), elle, dit tout le contraire, et juge urgent d’imposer des normes pour réduire le temps de travail. «En Suisse, nous faisons face à des milieux patronaux et à une droite qui veulent encore assouplir les règles existantes, en supprimant la saisie du temps de travail ou en autorisant plus facilement le travail de nuit ou du dimanche par exemple, observe Benoît Gaillard, coresponsable de la communication auprès de l’USS. Nous devons donc commencer par éviter ces détériorations: la réduction du temps de travail n’a de sens que si on peut planifier les moments libres et qu’on ne risque pas d’être rappelés en permanence pour travailler.»

Les syndicats tentent de faire évoluer la situation en se concentrant sur les conventions collectives de travail (CCT): «Aujourd’hui, ce sont elles qui font que des centaines de milliers de salariées et salariés ont déjà une durée du travail hebdomadaire inférieure à ce que prescrit la loi, ou une semaine de vacances de plus!» Ainsi, le syndicat Syndicom va proposer une semaine à 35 heures pour un emploi à 100% pour la prochaine CCT chez Swisscom.

La semaine de 4 jours n’est certes pas une baguette magique qui permettrait de tirer un trait sur le stress professionnel et de réenchanter l’existence. Néanmoins, elle reste une piste intéressante à creuser, ne serait-ce que pour son aspect égalitaire. Au niveau européen, la Suisse occupe la deuxième place en termes de temps partiel, juste derrière les Pays-Bas (les chiffres datent de 2020). Presque 60% des femmes âgées de 25 à 55 ans, contre seulement 14% des hommes, travaillent à temps partiel. Or, on le sait, le temps partiel comporte des inconvénients non négligeables, comme le souligne Nicky Le Feuvre: il réduit le salaire, la couverture sociale, les rentes du 2e pilier, et est souvent synonyme de stagnation dans la carrière de celles qui y souscrivent.

«On a fait ces dernières années de la réduction du temps de travail une affaire individuelle, avec plus de temps partiels, observe également Benoît Gaillard. Mais c’est une approche qui est injuste: concrètement, il faut un certain niveau de salaire pour pouvoir s’autoriser une réduction de 20%.»

Une mesure hautement féministe

«Si l’on imposait le temps partiel pour tout le monde, on rééquilibrerait la situation: ce ne serait plus un choix que fait encore souvent la mère par rapport au père, abonde Céline Marty. Les pères auraient ainsi du temps et de l’énergie à disposition pour s’occuper des enfants et des tâches domestiques. C’est tout l’enjeu d’avoir une mesure collective et politique.» Un argument qu’avance également Tamara Funiciello:

«Cette mesure est féministe, car elle permettrait de mieux partager le travail du care et de le valoriser. D’une certaine manière, nous serions ainsi toutes et tous payés pour l’effectuer.»

Léna Beyeler ne testera pas la semaine de 4 jours avant un certain temps. Néanmoins, les aspirations de la jeune femme permettent d’esquisser une autre réalité. Un monde idéal pour lequel la Jurassienne continuera de manifester. «J’aspire à une vie où travailler ne serait plus une contrainte, mais une valeur ajoutée. Une vie professionnelle où les ressources seraient respectées. Car combien de personnes perdent leur santé au travail, ou prennent des médicaments pour aller bosser à tout prix, par peur de perdre leur travail? Chaque lieu de travail devrait être un lieu d’échanges et d’épanouissement.» La fin du labeur, le début du bonheur! 

Pour aller plus loin: découvrir l’ouvrage d’Hadrien Klent, Paresse pour tous (Éd. Le Tripode Attila), qui imagine un monde où l’on ne travaille plus que trois heures par jour.

Du temps de loisirs à réinventer

Bénéficier d’un jour de congé supplémentaire, n’est-ce pas prendre le risque de polluer encore davantage? «Aujourd’hui, plus on a un taux de travail élevé, plus on consomme, constate Céline Marty. À cause du travail, on n’a plus le temps de faire certaines choses soi-même, comme les repas et le ménage. On externalise alors ces tâches, on les achète sur le marché ou on paie des gens pour les faire à notre place.» Pour la philosophe, un taux de travail réduit permettrait à tout le monde d’avoir davantage de temps pour effectuer ces dernières. Et de citer l’exemple des Pays-Bas ou de la Norvège, qui ont une industrie du loisir bien différente de la nôtre. Lorsqu’ils ont un jour de congé supplémentaire, les Néerlandais et les Norvégiens ne sautent pas dans un avion: ils font du vélo, de la randonnée, du ski de fond ou passent simplement du temps de qualité avec leurs proches.

«Tout l’enjeu est aussi de nous rééduquer au temps libre, loin des mirages promis par l’industrie du loisir capitaliste, qui nous pousse à prendre Easyjet pour passer trois jours à Copenhague. Il est temps qu’on nous propose des loisirs qui soient bénéfiques pour tous, y compris pour la planète.»

Céline Marty souligne également que seule une frange aisée de la population peut se permettre de sillonner l’Europe ainsi. «En France, 20% des habitants n’ont jamais pris l’avion, rappelle-t-elle. Derrière ces inégalités, il y a un enjeu social de redistribution des richesses.» Et si l’argument du tourisme aérien pose problème pour instaurer la semaine de 4 jours, la spécialiste propose une solution très simple à mettre en place: taxer lourdement l’avion, pour éviter qu’il soit tentant et rentable de partir en week-end par les airs.

L’interview de Stefania D’Onofrio, psychologue du travail FSP

FEMINA Que pensez-vous de la semaine de 4 jours?
Stefania D’Onofrio Être à 80% permet de s’engager dans d’autres projets de vie, d’avoir du temps pour ces projets-là. Cela permet aussi de démocratiser le temps partiel, car aujourd’hui, ce dernier est souvent réservé à celles et ceux qui ont une famille par exemple, une raison valable aux yeux de la société pour ne pas travailler à 100%. Et les employeurs ont aussi à y gagner: les employés sont plus efficaces, plus productifs et moins absents. Sans parler des répercussions positives sur le climat qu’une telle mesure pourrait engendrer.

Toutefois, la semaine de 4 jours est bénéfique à certaines conditions: il faut que celle-ci s’accompagne d’un engagement de personnel. Car augmenter les heures de travail sur une journée n’est pas salutogène, au contraire. Une étude américaine a démontré qu’en moyenne, un employé est productif durant 2h53 sur une journée. Ce serait tout à fait paradoxal d’augmenter les heures de travail.

Il est également important de bien respecter le jour «off»…
Oui complètement, il est primordial de ne pas travailler durant ce laps de temps pour que cela soit bénéfique. Il ne faut ni lire ses mails, ni répondre au téléphone. Des règles bien strictes doivent être instaurées pour que cela se passe bien pour les employé-e-s.

La semaine de 4 jours peut-elle réduire les cas de burn-out?
Peut-être qu’elle aura un impact, oui. Mais ce n’est pas une baguette magique qui supprimera tous les cas d’épuisement professionnel. Car il y a de multiples facteurs qui aboutissent à ces cas de stress chronique. Il est nécessaire de travailler sur les conditions de travail pour améliorer cette situation, comme la réduction de la charge de travail. On a mis en place des technologies pour aider les individus. Mais au lieu d’amener une diminution de la charge, on leur en demande encore davantage, sous prétexte qu’ils peuvent s’appuyer sur ces outils techniques.

De plus, le télétravail induit par la crise sanitaire a démontré que de nombreux employeurs étaient encore dans une mentalité de contrôle vis-à-vis des employé-e-s. Il y a notamment un travail sur la confiance à effectuer, tout comme sur les relations entre collaborateurs, sur les valeurs ou la reconnaissance. De nombreuses dimensions sont à considérer.

Quelles actions mettre en place pour éviter que le travail n’occupe trop de place dans nos vies?
On a tendance à s’identifier par rapport à son emploi, c’est souvent la première question que l’on pose à quelqu’un que l’on rencontre. Il peut être intéressant de s’interroger sur ses valeurs, sur ce qui est important pour soi-même. De plus, dans le cadre professionnel comme dans le cadre de vie, je conseillerais de se questionner sur les éléments d’usure et de ressource que l’on y trouve. Il peut s’agir d’optimiser ses pauses en allant se balader à midi plutôt que de les passer devant son écran, par exemple. Quand on n’est pas au travail, il faudrait essayer au maximum d’être pleinement dans le moment présent, si l’on n’est pas en train de songer à la réunion de la veille alors que l’on joue avec ses enfants. Les outils technologiques, comme les mails pros sur son téléphone personnel, nous poussent à être joignables en tout temps. Or, ce n’est pas normal. Les frontières ont tendance à se brouiller.

Comment aider celles et ceux qui sont en souffrance au travail?
Je milite pour une prévention accrue du burn out. Tout le monde devrait être au courant des risques et des symptômes. Il est important d’observer ses collègues et de s’assurer qu’elles et ils vont bien. Il y a un regard sur son entourage à avoir. Parmi les signes qui devraient alerter, il y a notamment l’absence, le changement d’attitude, la perte de motivation, l’augmentation du stress, l’augmentation des heures de travail, la fatigue, la baisse de concentration, la perte d’estime de soi, une sensibilité accrue, etc. On peut voir arriver les choses et en discuter avec beaucoup de bienveillance. Toutes et tous, nous devrions prendre le temps de demander à nos collègues comment ils se sentent, réellement. Dire simplement «je m’inquiète pour toi» peut parfois être synonyme de déclic pour la personne concernée.

La semaine de 4 jours en chiffres

40%: Hausse de productivité enregistrée par Microsoft Japon lorsque la filiale (2000 personnes) a testé la semaine de 4 jours en 2019.

-16%: Réduction des émissions de gaz à effet de serre lorsqu’une firme réduit de 20% son temps de travail, selon une étude suédoise. Une diminution de 1% réduit d’environ 0,7% la production de ces gaz nocifs pour l’environnement.

34%: Pourcentage de personnes employées qui perçoivent la semaine de 4 jours comme le rythme de travail idéal, d’après une enquête menée par Workforce Institute réalisée auprès de 3000 collaboratrices et collaborateurs dans 8 pays. La semaine de 5 jours convainc 28% des personnes interrogées, celle de 3 jours 20%.

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