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Décryptage

L’«homme rongeur», le nouvel idéal de beauté masculine?

L homme rongeur le nouvel ideal de beaute masculine

Même le New York Times ou le Guardian analysent la «tendance» qui compare de nombreux acteurs à des «hommes rongeurs».

© GETTY IMAGES/STEPHANECARDINALE-SAMIR HUSSEIN-GARETH CATTERMOLE-MARC PIASECKI-TAYLOR HILL - ILLUSTRATION FEMINA

Les points communs entre Timothée Chalamet, Pierre Niney, Josh O’Connor ou Jeremy Allen White? Ils sont acteurs, connus, jeunes, talentueux et font chavirer le cœur de leurs fans. Mais surtout, ils sont ce que la presse anglo-saxonne et les réseaux sociaux appellent désormais des rodent men, ou «hommes rongeurs», soit un nouvel idéal de beauté masculine. Décryptage…

D’où vient ce phénomène?

Tout commence en mai 2024, quand la journaliste du magazine Dazed Serena Smith invente la classification «hommes rongeurs» pour parler d’acteurs qui, dit-elle, «sont généralement plus sveltes que musclés, avec des traits plus pincés et anguleux.» Elle précise: «Souvent, ils ne sont pas conventionnellement beaux, mais cela les rend encore plus sexy.» Et pour illustrer son propos, elle compare alors Josh O’Connor et Mike Faist, les deux vedettes masculines du film Challengers, à Roddy St James (le rat de Souris City) et à Stuart Little (la souris de la saga du même nom).

Puis, après avoir assuré qu’être «beau comme un rongeur n’est pas une insulte mais un compliment», elle relève que Kieran Culkin (Succession), Tom Hiddleston (Loki), Jeremy Allen White (The Bear), Logan Lerman (Le monde de Charlie), Tom Holland et Tobey Maguire (Spiderman) ou encore Timothée Chalamet et Adam Driver (qu’on ne présente plus…) – auxquels on ajoute l’Irlandais Barry Keoghan (révélation de Saltburn) ou Pierre Niney – appartiennent eux aussi à la grande famille des Rodentiens.

En soi, rien de bien terrible, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Sauf que TikTok s’en est mêlé, rendant cette appellation virale et mondiale. Si bien qu’au bout de quelques semaines, le concept est devenu un phénomène qui enflamme les réseaux.

D’un côté, les principaux intéressés, flattés ou amusés d’être associés à des souris, rats, capybaras, hamsters – on en passe et des plus mignons. Mais aussi l’association de défense des animaux PETA, qui se réjouit du buzz en publiant un enthousiaste: «Merci de montrer que les rongeurs sont des animaux merveilleux!» Ou encore les groupies de toutes les stars estampillées «rodent», voire «hot rodent», qui en rajoutent à coup de mèmes et de commentaires élogieux.

De l’autre, les internautes à qui cette analogie animalière fait hérisser le poil. Visiblement pas sensibles à «l’effet Ratatouille» – du nom du film qui a rendu les rats éminemment sympathiques et fait oublier les monceaux de fausses idées reçues sur ces petits mammifères aussi intelligents qu’attachants –, ils et elles se rebellent contre cette «manière gentillette de dire que quelqu’un est moche», la jugeant insultante et dégradante.

Voire raciste, «puisque la plupart des célébrités comparées à des rongeurs sont Blanches» et antisémites, comme en témoignent des messages postés sur X – tel celui-ci: «Non, je n’apprécie pas que vous soyez si à l’aise en disant que Josh O’Connor et Timothée Chalamet sont des «hommes rongeurs» alors qu’ils sont tous les deux juifs et que décrire les juifs comme des rats est une insulte antisémite connue. Je comprends que ce n’est pas ce que beaucoup d’entre vous voulaient dire, mais c’est une pente glissante.»

Et au centre, des médias réputés sérieux comme le New York Times ou le Guardian, qui analysent cette «tendance» – lui servant du même coup de nouvelle chambre d’écho.

Pourquoi les «rongeurs» ont-ils un tel succès aujourd’hui?

Au fil des ans, les canons de beauté masculine évoluent. Tel un reflet des valeurs et préoccupations «du moment», chaque époque réinterprète en effet ce qu’être beau signifie. En l’occurrence, après une longue traversée du désert en termes de «sex appeal» – comme peuvent en témoigner Dustin Hoffmann, Adrien Brody ou Alfredo Linguini (le héros humain de Ratatouille)! – , l’homme rongeur, ou quelle que soit son appellation, a fait depuis quelque temps une remontée en flèche sur l’échelle de «sexyness» parce qu’il «colle» à son temps. C’est-à-dire? Selon Gina Cherelus, reporter au New York Times, cette attractivité tient au fait «que ces gens n’étant pas des stéréotypes masculins de type macho classique, cela peut permettre aux femmes de se sentir en sécurité».

Un avis partagé par le sociologue Daniel Welzer-Lang, spécialiste des masculinités et auteur de l’essai Autobiographie d’un mec sociologue du genre (Erès, 2022). Dans Le Monde, il expliquait: «Beaucoup de femmes qui ont été en contact avec la violence sont rassurées par des hommes qui n’envoient pas des signaux de masculinité dominante. Il y a cinquante ans, l’emblème de la virilité était Alain Delon, le «Guépard». Aujourd’hui, cette image de prédateur est sérieusement malmenée.»

Il ajoutait: «C’est un phénomène assez logique. Le rapport à la masculinité évolue en même temps que les avancées pour les droits des femmes et des LGBTQIA+. Les femmes et les hommes progressistes se tournent de plus en plus vers des personnes éloignées des schémas traditionnels. Le rodent man est plutôt fluet, avec un petit côté discret et intello. Il ne fréquente pas les salles de sport et ne met pas sa virilité en avant.»

Mais ce n’est pas tout! La cote en constante hausse des «rongeurs» devrait également beaucoup à… un ras-le-bol des images de corps idéalisés surexposés sur internet ainsi qu’à une forme de rejet de l’intelligence artificielle, comme le résument Gina Cherelus et sa consœur Stella Bugbee: «Si on nous propose une fausse perfection, nous aspirerons aux imperfections humaines. Nous voulons savoir que les personnes que nous trouvons sexy ont du sang dans les veines et sont le produit de deux humains combinant leurs gènes. Nous voulons voir la vulnérabilité d’un visage asymétrique!»

Cet engouement va-t-il durer? Bien malin qui pourra prédire avec certitude ce que sera le prochain sociotype en vogue sur les réseaux. Mais sachant que la faune est aussi riche en espèces que notre imaginaire l’est en délires potentiels, on ne s’inquiète pas: ça va venir!

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