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Kelly Shawn Joseph: «La violence touche toutes les femmes»

Kelly Shawn Joseph: «La violence touche toutes les femmes»

Lors de son intervention à l'événement TEDxLausanneWomen, Kelly Shawn Joseph souhaite «transmettre un message de solidarité et la nécessité de comprendre les violences faites aux femmes comme étant systémiques».

© MAISIE SNYDER

Le SwissTech Convention Center, à l'EPFL, accueille le vendredi 22 novembre 2024 une nouvelle édition du cycle de conférences TEDxLausanne, actif depuis 2010 et basé sur le modèle américain des talks thématiques devant un public.

L'objectif de cette rencontre au féminin sur le thème «Repenser, Revendiquer, Reconnecter»? Donner la parole à des femmes spécialistes de leur domaine dans un but d'empowerment et de visibilisation des enjeux liés à l'égalité, la santé mentale ou encore l'écologie. Parmi les intervenantes, les Suissesses Sarah Atcho, athlète, et Mélanie Freymond, présentatrice d'émissions, mais aussi la modèle grande taille américaine Tess Holliday, la surfeuse brésilienne engagée pour l'environnement Maya Gabeira ou encore la Néo-zélandaise experte de la tech, Kathryn Topp.

Mieux lutter contre les violences sexistes et sexuelles

À l'approche du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, nous avons posé quelques questions à Kelly Shawn Joseph, invitée à la TEDxLausanneWomen et spécialiste des violences sexistes et sexuelles qui touchent les femmes dans le monde.

Cette Américaine a travaillé dans une trentaine de pays pour l'élimination des violences basées sur le genre, en œuvrant notamment avec des organisations locales. Se qualifiant elle-même de «survivante», Kelly Shawn Joseph s'est d'abord engagée aux États-Unis dans des centres de soins et de soutien pour les travailleur-euse-s du sexe et les victimes de violences domestiques, engagement qu'elle a souhaité élargir à l'échelle internationale. Par la suite, l'experte a travaillé dans des pays touchés par des crises humanitaires comme le Bangladesh, l'Irak et l'Ukraine, où elle a mis en place et soutenu des programmes d'aide immédiate à l'attention des survivantes de violences basées sur le genre, comme des espaces d'accueil pour les femmes et les filles.

Lors de son intervention à l'événement TEDxLausanneWomen, Kelly Shawn Joseph souhaite «transmettre un message de solidarité et la nécessité de comprendre les violences faites aux femmes comme étant systémiques».

FEMINA Quelles ressources permettent de lutter efficacement contre la violence basée sur le genre?
Kelly Shawn Joseph D'après mon expérience, l'essentiel est d’atteindre une relative sécurité. Tant que cela n’est pas assuré, il est impossible de commencer un chemin vers la guérison. Les survivantes ont besoin du soutien d'un-e assistant-e sociale, d'un-e ami-e ou d'une personne aidante et de pouvoir choisir cet accompagnement. Les options peuvent être limitées dans certains contextes: par exemple, l’accès à la justice est souvent hors de portée en cas de crise humanitaire où l’état de droit peut ne pas fonctionner. En plus du soutien psychosocial, les systèmes de santé doivent être capables de fournir des soins adaptés, d'identifier les survivantes et de les orienter vers d'autres services. Enfin, les refuges sûrs pour les victimes de violences domestiques sont primordiaux.

Pourquoi les contextes de crise sont-ils plus propices au développement de la violence basée sur le genre?
Les crises provoquent souvent l’effondrement des institutions comme la police, la justice ou les systèmes de soutien communautaire, ce qui crée un environnement où les violences restent impunies. Les déplacements forcent des populations à s'établir dans des camps temporaires où l’intimité et la sécurité sont limitées, rendant les femmes et les filles vulnérables au harcèlement et aux agressions sexuelles. De même, l’instabilité économique les laisse dépendantes d’autres personnes, ce qui les rend vulnérables à l’exploitation.

Aussi, dans les zones de conflit, la violence sexuelle est fréquemment utilisée comme arme pour terroriser les communautés et asseoir un contrôle. Face à ces réalités, il est essentiel que les réponses humanitaires soient sensibles aux questions de genre dès le départ.

Les enjeux liés aux violences sexistes et sexuelles sont-ils les mêmes, partout dans le monde? Les femmes occidentales devraient-elles se contenter de leur situation sous prétexte que la violence est pire ailleurs?
Les frontières, les passeports et les langues peuvent donner l’impression de nous séparer, mais les femmes et les filles font toutes face à des violences. Les restrictions des droits des femmes dans une région sont liées à la libération de ceux-ci dans une autre. On peut imaginer que certaines se sentent chanceuses de vivre dans des sociétés où les protections juridiques, les ressources et les droits sont relativement solides. Mais n'oublions pas que les violences (domestiques, harcèlement, féminicides ou encore abus en ligne) persistent à des niveaux inacceptables en Europe ou en Amérique du Nord et qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir pour assurer la sécurité et l’égalité.

Comparer la situation dans les pays occidentaux à celle d’autres régions peut entraîner une complaisance dangereuse, si l'on suggère que les femmes devraient accepter un certain niveau de violence simplement parce que c'est «pire ailleurs». C'est un problème mondial et les Occidentales peuvent utiliser leurs plateformes, ressources et influence pour soutenir les droits des femmes à l’international.

Comment expliquer que, malgré la prise de conscience permise notamment par le mouvement #MeToo, les violences sexuelles restent parfois mal comprises dans des sociétés comme la Suisse?
Le patriarcat est profondément ancré dans nos normes sociales, nos cadres juridiques et nos biais culturels. Les structures sociales continuent souvent de privilégier la réputation, la carrière ou la position sociale des hommes accusés de violence, au détriment de la sécurité et de la dignité des victimes. La culture du blâme envers les victimes persiste: on interroge leur comportement, leurs choix vestimentaires ou leurs intentions.

Bien que la sensibilisation ait progressé, les cadres juridiques et les systèmes de soutien accusent souvent un retard, laissant des lacunes dans la responsabilisation des auteurs.

Quel rôle jouent les organisations féministes dans l’élimination des violences?
Les groupes locaux représentent une bouée de sauvetage pour les femmes de leurs communautés. Ils sont les premiers à répondre en cas de crise et ceux qui tirent la sonnette d’alarme face aux politiques visant à saper les progrès réalisés. L'impact des organisations féministes est profond car elles comprennent les dynamiques locales et peuvent offrir des solutions spécifiques au contexte. Aussi, elles sont souvent moteurs des changements juridiques et politiques en faisant pression sur les gouvernements, en plaidant pour des protections renforcées et en exigeant justice pour les survivantes.

Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus actuellement?
Les futures mères à Gaza, les femmes ayant fui l’Ukraine et qui, leurs ressources épuisées, risquent d’être victimes de la traite, les déplacées en Haïti qui font face à des niveaux sans précédent de violences sexuelles, nos sœurs restées en Afghanistan et les violences en ligne qui débordent souvent dans le monde réel. Enfin, je m'inquiète du recul des droits des femmes en Occident, car ces régressions auront des répercussions dans le reste du monde.

Au contraire, qu'est-ce qui vous réjouit?
La ratification en 2023 de la Convention d’Istanbul (entrée en vigueur en 2018 en Suisse, ndlr.) par l'Union européenne, un traité visant à prévenir et à combattre les violences faites aux femmes. Signalons aussi qu'en Amérique latine, plusieurs pays ont adopté des législations révolutionnaires pour lutter contre les féminicides, et que des nations comme la Suède, le Canada et la Nouvelle-Zélande ont intégré la prévention des violences basées sur le genre dans leurs programmes scolaires.

Ces exemples montrent que des changements positifs se produisent partout, portés par de nouvelles législations, une coopération internationale, des programmes communautaires et des technologies innovantes.

Pensez-vous qu'un jour l'égalité femmes-hommes pourra être atteinte dans le monde? Comment y parvenir?
L’égalité passe par un changement global qui mêle éducation, transformation sociale et volonté politique. Les lois peuvent créer un cadre pour promouvoir l’égalité, mais ne suffisent pas pour changer des attitudes culturelles profondément enracinées. Cela commence par l’éducation: enseigner dès le plus jeune âge le respect, l’égalité et le consentement peut remodeler les normes sociales. Un empowerment économique, un accès égal aux opportunités et des solutions intersectionnelles sont également essentiels.

Je garde espoir qu’un jour nous atteindrons l’égalité, car je suis de nature optimiste, mais je sais aussi que ce combat est loin d’être terminé. Pour y parvenir, il faudra une action collective, allant des gouvernements aux mouvements sociaux, pour démanteler les systèmes patriarcaux et soutenir de nouvelles normes inclusives.

TEDxLausanneWomen 2024, billetterie en ligne (92 fr. l'entrée pour la soirée, dès 18 h).

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