Apprentissage
Journée internationale de la langue maternelle: Quid des parents bilingues?
À l’origine de cette Journée internationale de la langue maternelle, un constat: plus de 43% des quelque 6700 langues parlées dans le monde sont menacées de disparition. Au niveau de pays ou de régions qui gomment par assimilation les particularités linguistiques et culturelles, mais aussi au sein de familles qui, parfois par choix ou par obligation, renoncent à parler dans leur langue première.
En Suisse, on n’en est pas là. Pourtant, la question de savoir quelle langue parler à son enfant se pose inévitablement, et ne prend pas la même couleur qu’on vive à Sion, à Bâle ou à Locarno.
Une question d’attitude qui a son importance, puisque la fille de Patrick comprend le suisse allemand, même si elle ne le parle pas aujourd’hui.
La langue de papa ou celle de maman?
Maternelle ou paternelle, dans le fond, peu importe puisqu’on préfère aujourd’hui parler de langue première. Et si la référence à la mère reste la norme, cela s’explique par certains schémas qui ont la vie dure.
Un apprentissage qui se fait comme par contagion affective donc, que ce soit avec maman ou avec papa. «Avant 6-7 ans, on apprend de manière plutôt implicite, par automatisme, comme quand on apprend à marcher. Ça ne veut pas dire qu’il y ait moins d’efforts à fournir, mais on le fait un peu sans s’en rendre compte, décode le médecin neurologue fribourgeois Jean-Marie Annoni. Ce qui compte, c’est de se coordonner au sein du couple. Ça demande un certain effort et une constance, mais il ne faut pas avoir peur de parler plus d’une langue à son enfant, tant que cela a un sens.»
Un lien émotionnel qui fait sens
Ainsi, Antoine et Marco, qui vont bientôt accueillir leur premier enfant, ont bien réfléchi à la question. «Pour nous, c’était clair dès le départ que nous parlerions en français et en italien à notre futur enfant. Parce qu’il (ou elle) aura de la famille des deux côtés de la frontière, parce que c’est une chance de pouvoir vivre comme cela dans deux cultures… et parce que je regrette beaucoup de ne pas avoir eu cette chance – je suis né en 1978, les années Schwarzenbach n’étaient pas loin, et mes grands-parents italiens ont tout fait pour rentrer dans le moule. Question de génération», regrette Antoine.
Des regrets aussi pour Nadège, dont le père arrivé en Suisse du Cambodge à l’âge de 8 ans n’a jamais voulu parler dans sa langue maternelle à sa fille. «Il disait qu’il ne maîtrisait pas assez bien. Je me souviens que lorsqu’il parlait avec mes grands-parents paternels, il mélangeait français et cambodgien, c’était bizarre à entendre. Moi je ne savais dire que «manger» et «bonjour». Une frustration pour moi, et l’impression d’avoir été coupée d’une partie de mes racines, sans pouvoir en parler à mon père ouvertement, car pour lui c’est un crève-cœur même s’il ne l’a jamais avoué», confie Nadège. Un lien émotionnel associé à une langue maternelle qui disparaît parfois de génération en génération, souvent pour des raisons assez rationnelles.
Et si le bilinguisme a le vent en poupe, pas la peine de culpabiliser en tant que parent au moment de choisir dans quelle(s) langue(s) parler à son enfant. C’est lui qui finira par choisir sa langue de référence. Généralement quand il entrera à l’école. «L’environnement et les pairs ont un fort impact. Il ne faut pas mettre tout le poids de cet apprentissage sur les parents», souligne le linguiste.