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Instagrameuses sexo: elles bravent la censure pour notre plaisir

Instagrameuses sexo: elles bravent la censure pour notre plaisir

«Dans ma pratique, je conseille ces comptes Instagram. Les messages quotidiens rappellent des notions importantes, et le partage à travers les commentaires permet de se rassurer, d’atténuer la honte et la culpabilité», explique Romy Siegrist, psychologue FSP et sexologue.

© Getty Images

Le 19 août 2021, le site Madmoizelle publiait un cri d’alarme. Celui d’Edwige, détentrice du compte Instagram @wi_cul_pedia. Dans sa tribune Parler d’éducation sexuelle sur Instagram et en faire son métier, c’est vivre avec la peur au ventre, l'instagrameuse suivie par 119 000 personnes dénonce la froide censure de la plateforme contre ses contenus d’éducation sexuelle. «Parler de sexe ne plaît pas à tout le monde. Pire: ça attise la haine, et au milieu des messages d’amour et de remerciements sont venus se nicher des menaces, des insultes et des signalements», écrit-elle.

Les sexologues d’internet

Le travail d’Edwige est régulièrement menacé, parce qu’elle poste sur @wi_cul_pedia des photos, des illustrations et des vidéos explicatives autour de la sexualité. L’infirmière de formation s'est lancée sur Instagram, car pour elle, l’éducation sexuelle est pauvre et mal enseignée. Et parler de sexe reste tabou, même en milieu médical. «Les comptes sexo marchent bien, parce que les gens ont besoin d’informations sur le sujet», affirme-t-elle, sans pour autant prétendre au titre de sexologue. @wi_cul_pedia reçoit beaucoup de questions, du genre «Suis-je normale?», «Pourquoi ma libido est-elle en berne?». «Les gens se réfèrent encore une fois au porno, à la performance, où la notion de consentement est absente», soupire Edwige, qui échange énormément avec sa communauté.

Pour la psychologue FSP et sexologue Romy Siegrist, ces contenus sexo en libre accès sur internet sont des ressources particulièrement précieuses.

«Dans ma pratique, je conseille ces comptes Instagram. Les messages quotidiens rappellent des notions importantes, et le partage à travers les commentaires permet de se rassurer, d’atténuer la honte et la culpabilité, explique-t-elle. Les contenus inclusifs permettent aussi de briser les clichés hétéro-cis-normatifs et phallo-pénétrocentrés.»

Malgré les bienfaits qu’apportent ces contenus sexo, ceux-ci sont souvent réduits au silence par les plateformes qui leur servent de support: les réseaux sociaux.

Des pratiques de censure opaques

Instagram, propriété de Facebook, est régulièrement pointé du doigt pour sa politique peu claire en matière de conditions d’utilisation de ses services. On se souvient de la censure de l’affiche du film de Pedro Almodóvar, Madres paralelas, à cause d’un téton féminin, au début du mois d’août 2021.

En effet, selon les Règles de la communauté, la nudité est interdite sur le réseau social. Instagram précise: «Cela inclut les photos, les vidéos et les autres contenus numériques présentant des rapports sexuels, des organes génitaux ou des plans rapprochés de fesses entièrement exposées.» Les créations artistiques (sculptures, dessins, peintures) sont toutefois acceptées. Si un contenu ne respecte pas la règle, il peut être signalé par les internautes. «Nous disposons d’une équipe mondiale qui examine ces signalements et travaille aussi rapidement que possible afin de supprimer tout contenu qui ne respecte pas nos règles», explique Instagram.

Les comptes sexo dans le viseur d’Instagram

Sur @wi_cul_pedia, aucune photo d’organes génitaux, mais des illustrations de clitoris et de vulves, des images suggestives qui ne montrent rien mais titillent l’imaginaire, des textes et des vidéos dont l’objectif est d’informer. Rien n’indique que le compte transgresse les lois d’Instagram.

Pourtant, le compte d’Edwige a été désactivé. Une catastrophe pour l’infirmière psychothérapeute qui a mis son travail de soignante sur pause en avril 2021 pour s’y consacrer. Un job à plein temps, qu’elle a perdu du jour au lendemain.

«Tenir un compte sexo sur Instagram empêche de dormir. En mai, je me rends compte que la plateforme a supprimé mon compte. Je venais de perdre mon travail.»

«Je ne mangeais plus. Je me suis battue, mais aucun humain n’a jamais répondu à mes appels à l’aide.» @wi_cul_pedia a été suspendu pendant 12 jours, puis il a été rendu à Edwige. «Si je ne l’avais pas récupéré, j'aurais perdu tout mon contenu et mes abonnés: le résultat d’un an de travail.»

D’autres instagrameuses promouvant une sexualité positive subissent la censure. C’est le cas de l’illustratrice Jüne Plã, créatrice de @jouissance.club. Suivie par 905 000 personnes sur son compte francophone, elle poste ses dessins minimalistes et colorés. En somme, des conseils pour donner du plaisir à sa ou son partenaire.

Pour son contenu, @jouissance.club a été suspendu à deux reprises. Jüne sent la menace de la censure planer, constamment. «Il y a un malaise palpable. Les internautes signalent beaucoup. Ils pensent que notre travail de féministes dans la sexo n’a rien à faire sur Instagram. Par contre, la plateforme autorise les comptes masculinistes, des photos de femmes montrées comme des objets, dénonce-t-elle. C'est décourageant. On essaie de faire avancer les choses dans le respect, malgré cela, on se sent hors la loi.»

Elvire Duvelle-Charles, créatrice du compte @clitrevolution aux 121 000 abonnés, tient le même discours. «Début 2019, plusieurs comptes sexo ont été bloqués en même temps. Et on ne sait pas pourquoi!» décrit l’influenceuse.

«Personne n’est capable d’expliquer pourquoi une publication qui ne viole pas les règles d’utilisation peut être supprimée. On se retrouve face à un mur de silence.»

«Notre théorie? On soupçonne que des raids de signalements anti-féministes ont été organisés contre nous.» Une autre forme de censure est apparue plus récemment: le shadow ban. «Cette pratique, qui consiste à réduire significativement la visibilité d’un compte, a été démentie par Instagram, précise Elvire. Mais elle se voit: nos statistiques chutent de manière radicale.»

Pour Romy Siegrist, l’hypersexualisation du corps des femmes est délétère à l’information sur la sexualité. «L'utilisation de certains mots, la représentation de certaines parties du corps, sont proie à la censure. On condamne les tétons des femmes par exemple, et pas ceux des hommes. Et puis sur ces comptes, on parle de manière décomplexée, remarque-t-elle. Ça peut paraître cru, mais on ne fait que nommer les parties des corps, ce n’est pas impudique, c’est souvent juste de l’anatomie», informe la sexologue.

En France, Facebook assigné en justice

En colère contre Instagram et son propriétaire Facebook, un groupe d’activistes dont font partie Jüne et Elvire ont assigné le géant du web en justice en mars 2021. Jüne a peu d’espoir que la procédure aboutisse, elle espère toutefois que l’action poussera d’autres personnes à interpeller Facebook. «On ne fait pas le poids. Mais on veut changer les règles, qu’elles soient plus claires et transparentes. Et que nous, qui respectons les règles mais dont le commerce est en lien avec la sexualité, soyons immunisées contre les risques de censure. Qu’on arrête avec le corps des femmes, là!», proteste-t-elle, exaspérée.

«Instagram ne veut-il pas de contenu autour de la sexualité ou ne veut-il tout simplement pas de nous?», interroge Edwige.

«Si la sexualité était totalement proscrite, pourquoi des comptes comme Dorcel (ndlr: producteur de films et de produits érotiques), qui montrent des femmes objets, peuvent-ils exister, et même être vérifiés?» Pour l’influenceuse, Instagram devrait prendre conscience de la souffrance des créateurs de contenus. Ces personnes qui font vivre le réseau social. «Psychologiquement, je suis passée par des phases terribles. Voir son travail s’envoler est très violent. Surtout lorsqu’on n’a aucun interlocuteur en face, déplore Edwige. Instagram doit prendre ses responsabilités.»

Sortir des algorithmes

La solution d’Elvire pour ne plus subir les lois incompréhensibles d’Instagram a été de migrer @clitrevolution sur la plateforme payante Patreon. «Ça filtre les internautes et ça permet de créer un espace plus sécurisé, explique l’influenceuse. La charge émotionnelle n’est pas la même avec une petite communauté: on a des relations plus proches, on recrée du lien humain.» Elvire revit depuis ce changement. «Les militantes féministes se reposent sur les réseaux sociaux, mais ceux-ci nous enferment dans un environnement nocif. La santé mentale des créatrices de contenu est précaire, prévient-elle. La seule manière de regagner de la visibilité est de produire toujours plus. Et je ne veux pas dépendre financièrement d’Instagram.»

Pour diversifier ses activités, Edwige souhaite de son côté proposer des accompagnements dans la suppression des fausses croyances liées à la sexualité. Quant à Jüne, elle a écrit le best-seller Jouissance Club, une cartographie du plaisir. Sans censure. Une vraie liberté. La jeune femme ne souhaite pas pour autant quitter Instagram. «J’aimerais continuer à proposer des ressources gratuites. Pour les personnes étudiantes, précaires, qui n’ont pas les moyens de me suivre sur des canaux payants.»

La situation est difficile pour les influenceuses sexo, Edwige reconnaît cependant que le jeu en vaut la chandelle. «Ça m'apporte du positif, parce que j’aide beaucoup de personnes.» Et pour la jeune femme, le fait que @wi_cul_pedia dérange autant est finalement un signe de reconnaissance.

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