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Indépendants, la fin du rêve?

Indépendants, la fin du rêve?

Etre son propre boss, cela fait rêver, mais ce n'est pas que du plaisir. L'administration, les heures de travail sans fin et le souci de boucler ses fins de mois sont le prix à payer pour la liberté.

© Brooke Lark / Unsplash

Ouvrir un petit resto cosy, un concept store gipsy chic ou un food truck, ces projets faisaient encore rêver en 2019. Imaginez: quitter un travail abrutissant, être son propre patron, vivre en en accord avec ses valeurs... les injonctions à oser pour être enfin épanoui étaient le mantra préféré des magazines féminins et des ateliers de développement personnel. Un élan qui s’est cogné le pied dans un gros caillou nommé covid-19.

Quoique… cet arrêt forcé a aussi offert à certains un break bienvenu, mais aussi le temps et la disponibilité mentale de se poser et de cogiter. C’est le cas de Stéphanie Meylan, photographe en quête d’un nouveau challenge après des années dans la presse. Avec son compagnon graphiste et web designer, elle a lancé fin mai, bobine.ch, une agence de communication. Leur objectif: accompagner des petites structures, des associations culturelles, dans le développement de leur image.

Cela va d’un simple post Facebook à une identité visuelle complète, logo, site internet et photos personnalisées plutôt que tirées d’une banque d’images. «L’idée n’est pas de régater contre les gros acteurs de la branche, mais de créer des projets très personnalisés qui portent notre patte, celle qu’on a mis 20 ans à construire», résume la Lausannoise. Un pari audacieux en pleine crise sanitaire? «Nous y pensions depuis longtemps sans avoir de temps à y consacrer. Puis, tout s’est arrêté et nous avons soudain eu 10 heures par jour pour y bosser concrètement. Nous n’avons pas eu vraiment le choix! J’ai dû fermer temporairement la galerie d’art (lasonnette.ch) que je gère, trouver des solutions pour tout digitaliser, ça oblige à être inventif.» Un pari oui, car il faut néanmoins s’assurer de quoi vivre, un équilibre financier souvent fragile comme l’a montré la pandémie et qui a nécessité la mise en place d’aides urgentes.

Des Suisses prudents

En Suisse, la sécurité d’un emploi fixe reste privilégiée. Le statut d’indépendant y est très réglementé, recouvrant plusieurs types de situations (à son compte, Sàrl, entreprise avec employés). Selon les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie, le nombre de travailleurs indépendants est en légère baisse depuis une vingtaine d’années. En 2017, ils représentaient près de 13% de la population active, soit presque 600’000 personnes. En 1996, cette proportion était proche de 15%. En comparaison, aux Etats-Unis, le ratio salariés/indépendants est de 50/50! Avec la précarité qui va avec. La Suisse est un des rares pays qui protège autant les indépendants, d’où la difficulté d’y imposer des modèles dits d’ubérisation. Avec les changements de société que nous vivons, ce paysage pourrait toutefois évoluer.

En France, c’est déjà le cas et ce statut explose, notamment grâce aux métiers du digital. La start-up française Coworkees, qui met en relation des freelances avec leurs clients recense ainsi 25’000 affiliés. Face à la demande, elle a ouvert une antenne à Genève l’automne dernier. Sa fondatrice, Julie Huguet, analyse:

«Il y a un véritable phénomène de désengagement des salariés qui s’ennuient dans un emploi répétitif ou en inadéquation avec leurs valeurs. Passé la quarantaine, on devient expert dans son domaine et on a envie d’exercer son métier à sa façon, en gérant ses heures de travail et en améliorant la balance vie privée/professionnelle.»

Pour elle, la crise ne va faire qu’accentuer le trend: «Les indépendants sont habitués à jongler avec des rentrées d’argent fluctuantes, des mois creux. Ils sont en général très souples et réactifs pour adapter constamment leur offre à la demande. On l’a vu durant le covid avec le passage à des systèmes de commerce en ligne et de livraison, du click & collect.»

La restauration en a été l’exemple type. Boris Spicher, 25 ans, venait de quitter son poste de chef de cuisine et d’investir dans un food truck quand l’épidémie a commencé. Avec sa femme mexicaine, il s’est lancé dans un service traiteur de tacos revisités, Taqueria don vergas, avec des ingrédients suisses et de saison. Il prévoyait de cumuler les extras en cuisine le temps que son entreprise soit rentable. La fermeture de tous les établissements a sérieusement compliqué son business plan! Pas découragé par ce gros imprévu dans sa jeune carrière, il y voit même du positif: «J’ai pu consacrer ce temps d’arrêt à aménager correctement mon food truck, réfléchir à ma carte et à plein de trucs. J’ai aussi élaboré des kits, que je livrais, pour cuisiner ses tacos à domicile, un concept que je voulais de toutes façons développer et qui, du coup, s’est mis en place plus rapidement que prévu.» Une année qu’il n'est pas prêt d’oublier.

Tout comme Erelle Bertolini, dont la jolie marque de bijoux bohême chic Baies d’Erelle fête ses 10 ans. La créatrice s’est adaptée durant les deux mois et demi où elle a dû fermer son petit concept store lausannois qui vend bijoux et accessoires: «J’ai la chance d’avoir un e-shop depuis le début de ma marque qui fonctionne très bien. C’est la moitié de mon revenu en temps normal et, même si je n’ai pas fait mon chiffre ces derniers mois, je m’en sors pas trop mal,» reconnaît-t-elle avec gratitude et optimisme. Elle a, elle aussi, eu l’idée de concocter des kits tout simples pour monter ses propres bijoux chez soi, qui ont cartonné. Et si la collection spéciale sur laquelle elle travaillait pour marquer son anniversaire a pris un peu de retard, elle sortira en automne, comme prévu.

Agilité, le skill tendance

Après la bienveillance et l’authenticité, l’agilité va être le terme à la mode, comme le relève Julie Charef, coach en transition et formatrice. Après plus de 10 ans dans une grande entreprise, puis un passage en start-up, elle s’est mise à son compte pour vivre sa passion, le coaching de carrière. «Dans un monde compliqué où tout va très très vite, on est obligé de s’adapter. L’agilité, c’est être flexible, monter des projets rapidement, acquérir de nouvelles compétences si nécessaire, des qualités qu’ont les freelances, par opposition à la complexité de l’organisation en entreprise.» Et de rappeler que des business models innovants comme Airbnb, Uber ou Whatsapp ont été créés en période de récession.

L’argent, le nerf de la guerre

L’immense majorité des indépendants interviewés ne regrettent pas leur choix, à l’exception de certains cafetiers restaurateurs dans une situation critique. Pour beaucoup, le monde du salariat et de l’entreprise n’est tout simplement pas gérable émotionnellement. Certains essaient d’avoir un job alimentaire pour payer les factures, puis trouvent leur épanouissement dans une activité qui leur convient mieux mais rapporte peu.

«Quand on ne trouve pas le job qui nous convient, il faut se le créer, relate Stéphanie Meylan. Je préfère vivre avec peu mais gagner en liberté. Même si ce n’est pas non plus que du plaisir. Il y a la comptabilité, l’administratif, le fait qu’on ne s’arrête jamais de bosser, ni le soir, ni le week-end.»

Habitués à vivre chichement, les indépendants font souvent de gros efforts financiers. Et la retraite alors? «Je n’y pense pas, lâche Stéphanie Meylan, la petite quarantaine. Comment savoir aujourd’hui ce qu’on aura demain? Le confinement n’a fait que creuser les inégalités. En tant qu’indépendants, on sait qu’on ne peut compter que sur nous-mêmes.»

Une attitude partagée par Muriel Dousset, patronne depuis 12 ans de la boutique de vêtements second hand Chabada Vintage, à Lausanne. «Divers événements de mon parcours m’ont amenée à ce statut d’indépendant, la naissance de mon fils, des problèmes de santé, ce n’est pas forcément le choix de la liberté. C’est aussi des sacrifices: pas de vacances, peu de sorties au restaurant…» Pour cette pétillante sexagénaire, la retraite, c’est pour bientôt. Une retraite qu’elle sait déjà minuscule. Pour autant, la prévoyance professionnelle ne l’a jamais préoccupée:

«Si on commence à penser à l’AVS, on ne peut plus être jeune, on est déjà vieux, on peut directement réserver sa place au cimetière!»

Indépendant, un état d’esprit et un statut qui a de beaux jours devant lui. Paralysées par la pandémie, obligées de se redimensionner, de se réinventer, les grandes entreprises sont pénalisées par des structures trop lourdes et doivent revoir leur modèle. Ainsi, le titre de cet article qui devait être Le blues des indépendants s’avère être plutôt Le blues des salariés!

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