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Interview

Ignazio Cassis: «La diversité doit nous rendre plus fort-e-s»

Ignazio Cassis: «La diversité doit nous rendre plus fort-e-s»

«Je me rappelle plein d’épisodes où je me demandais pourquoi ma mère ne m’aidait pas davantage. Après coup, j’ai compris: elle me laissait me débrouiller pour que j’apprenne la vie.» - Ignazio Cassis

© KALONJI

FEMINA: Quel rôle jouent les femmes dans votre vie?
Ignazio Cassis Un rôle essentiel et enrichissant: j’ai eu la chance de grandir aux côtés de ma mère et de mes trois sœurs. La cohabitation avec le monde féminin a marqué toute mon enfance et mon adolescence.

Auriez-vous été l’homme que vous êtes aujourd’hui si vous n’étiez pas entouré de tant de femmes?
Non, je ne pense pas. On est tous le résultat d’une évolution sociale, et la mienne a été marquée par le destin de grandir dans une famille avec une majorité de femmes.

Quel souvenir gardez-vous de votre mère?
Son engagement sans relâche pour la famille. Elle était secrétaire dans une entreprise qu’elle a quittée quand elle est devenue maman. En six ans, elle a eu quatre enfants. C’était donc sportif: un travail à 100%. Mon père était loin toute la journée, il rentrait souvent tard le soir, vers 21 heures, quand nous étions déjà au lit.

Elle ne s’arrêtait jamais. Elle se réalisait dans cette mission de mère. Elle pouvait être en même temps très tendre et très sévère. J’ai appris très tôt qu’il fallait avoir une grande discipline. Apprendre à vivre, c’était savoir confronter et tolérer les frustrations. Je me rappelle plein d’épisodes où je me demandais pourquoi elle ne m’aidait pas davantage. Après coup, j’ai compris. Elle me laissait me débrouiller pour que j’apprenne la vie.

Y a-t-il eu des femmes qui ont contribué à votre carrière?
Une femme a été un guide important pour moi en politique: l’ancienne cheffe de groupe et conseillère nationale PLR Gabi Huber. Quand elle m’a demandé de devenir son vice-président, je me suis demandé: pourquoi moi? Elle venait d’Uri, le canton des glaciers… On l’appelait «Iron Lady» parce qu’elle était sévère et impénétrable. Elle se faisait comprendre en un regard. Elle m’a marqué par son intelligence et sa capacité à conduire le groupe parlementaire. Ce qui n’est pas chose facile au parlement, parce que les membres ne sont ni vos employés, ni des gens qui dépendent de votre élection. Ce sont des personnes qui ont été élues, qui se sentent légitimées par ce fait et non pas parce qu’elles appartiennent à un ensemble. Elle avait cette capacité, au sein d’un groupe hétérogène et très masculin à l’époque, il y a quinze ans, à gérer les affaires avec «une main de fer dans un gant de velours».

Vous avez fait des études de médecine, quelle était la place des femmes?
«Mademoiselle, n’oubliez pas de le dire aux médecins…», disaient certains patients à ma femme, qui est médecin-chef, après une visite médicale à l’hôpital. Heureusement, elle en riait.

«À mon époque, le monde médical était dominé par les hommes. Il y avait peu de figures féminines. Cette tendance est en train de s’inverser aujourd’hui.»

Ignazio Cassis

Président de la Confédération suisse

Pendant mes études, j’étais particulièrement fasciné et inspiré par Marie Curie, tout comme ma femme d’ailleurs. Au musée qui lui est consacré à Varsovie, on s’est rendu compte de la force du symbole de ses deux Prix Nobel. Au-delà de ses travaux révolutionnaires sur la radiologie, ces prix sont le résultat de sa lutte de genre: elle a dû être tellement meilleure que les autres que, à la fin, on a reconnu sa qualité.

Vous avez été médecin cantonal…
Oui… Une période qui m’a particulièrement marqué parce qu’à cette époque, avant le changement du Code pénal suisse sur l’avortement, dans la majorité des cantons, c’était au médecin cantonal de donner son aval sur une demande d’avortement. Autrement c’était punissable. Au Tessin, il fallait deux expertises pour autoriser un avortement: une gynécologique et une psychiatrique. Du coup, je retrouvais, étalées sur mon bureau, toute la vie et l’intimité de ces femmes, qui vivaient dans une région où tout le monde connaissait tout le monde.

J’ai fait ce travail deux ans et demi avant le changement de loi, à la fin des années 90. Avec la cheffe du département, qui heureusement partageait le même avis que moi, je me suis beaucoup engagé pour cette votation, parce que je trouvais dégradant que les femmes doivent vivre tout ça. C’est une question, tout comme d’ailleurs l’arrivée du sida, qui m’a beaucoup sensibilisé à l’importance de la santé publique, sur l’ouverture de la société, sur les différentes manières de vivre sa sexualité.

Vous êtes ministre des Affaires étrangères, vous avez rencontré de nombreuses personnalités à l’étranger, dont des femmes. Lesquelles vous ont particulièrement marqué?
J’en citerais deux: une venant d’un très grand pays et l’autre d’un tout petit. En 2019, j’ai rencontré la ministre des Affaires étrangères de l’Inde, Sushma Swaraj. J’ai été fasciné par sa sagesse. Il y avait une dimension de Gandhi en elle. Elle avait deux vice-ministres hommes, un musulman et un hindou. Lors des échanges, elle sortait du lot. Elle avait cette incroyable capacité à lire le monde. Ses réponses claires, nettes, courtes aux problèmes éminemment complexes, étaient bluffantes.

La présidente de la Moldavie, Maia Sandu, que j’ai rencontrée au début de la guerre en Ukraine m’a particulièrement marqué, tout comme sa première ministre, Natalia Gavrilița. La première est sage, la seconde combative. L’une joue le rôle de mère Helvetia, la seconde celui de chef de l’armée. Elles avaient fait leurs études ensemble, leur collaboration fonctionnait parfaitement, c’était frappant. J’ai eu l’occasion de bien discuter avec la présidente. Elle me confiait le combat que c’était de monter au pouvoir dans une société très fortement masculine. Elle avait une telle détermination.

Aujourd’hui son pays est dans un état de fragilité, menacé par la Russie. Sa clairvoyance et le calme avec lequel elle fait face à cette situation sont impressionnants.

Justement, mère Helvetia, vous l’imaginez comment?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Peut-être grise, au vu de son grand âge. J’imagine une femme forte, mûre, qui a de l’expérience, de la sagesse.

Que diriez-vous aux lectrices de Femina, aux femmes de Suisse romande?
Le message que je souhaite adresser à tout le monde, et aux jeunes gens en particulier: engagez-vous pour avoir le pays que vous voulez, dans lequel vous souhaitez vivre. Rien n’est donné dans la vie. Avancer c’est nager à contre-courant. Dès qu’on s’arrête, on recule. 

La jeunesse est plutôt engagée aujourd’hui, non?
Oui, les plus sensibles. Ce n’est pas encore la majorité de la population. La pandémie, la guerre en Ukraine nous a désorientés. Je sens très fortement ce désarroi. Toutes ces incertitudes… Que se passe-t-il avec les frontières? Avec les armes nucléaires? Avec l’énergie pour le prochain hiver? Avec le réchauffement climatique? Que va-t-il nous arriver d’ici dix ans? Toutes ces préoccupations, nous les vivons intensément. La fatigue va se faire sentir d’ici cet hiver et l’an prochain.

Nous avons déjà vécu cette situation durant la pandémie, quand, par trois fois, nous avons eu le sentiment que c’était terminé alors que ce n’était pas le cas. La fatigue de l’illusion que c’est fini et ce n’est jamais fini. Je constate l’impact que peut avoir ce genre de crise sur le tissu social du pays. Dès que nous nous sentons menacés dans notre existence, nous sommes moins tolérants à la diversité, alors qu’elle est un enrichissement.

Rien qu’en Suisse, nous avons quatre langues, quatre manières de penser, de rêver, d’écrire. La diversité doit nous rendre plus fort-e-s et non nous fragiliser…

Dans votre département il y a beaucoup de femmes aux postes clés, une question d’image?
Je n’ai pas choisi des femmes pour être populaire. J’ai simplement choisi les meilleurs éléments. Le genre n’a joué aucun rôle. Au DFAE, on a d’ailleurs plus de femmes que d’hommes.

Du côté des diplomates?
Le milieu s’est féminisé. Au début du mois, j’ai accueilli la relève du DFAE lors d’un événement. Sur 40 jeunes qui démarrent leur carrière, 30 sont des femmes. Et parmi les 10 diplomates qui ont pris leur retraite cette année, 9 étaient des hommes. Le monde évolue! Aujourd’hui, je dois quelquefois veiller à ne pas créer des clusters uniquement féminins. Certaines femmes disent: «Mais avant ce n’était que des hommes.» À cela, je réponds: «Oui, mais justement c’était faux. Ce n’est pas parce que la représentativité des femmes a évolué qu’il faut reproduire ce schéma.»

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