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Interview

Grossesse et accouchement: la doula, nouvel ange gardien

Grossesse: la doula, nouvel ange gardien

Fraîchement formée comme doula, Karin Schapfl accompagne Séverine, une jeune maman, durant la grossesse, mais aussi durant l’accouchement, et post-partum. La photographe vaudoise Sophie Robert-Nicoud, qui a immortalisé ces moments en pleine nature, s’est spécialisée dans le reportage de naissance et de maternité.

© Sophie Robert-Nicoud

Il y a quelques semaines, le couple Meghan et Harry annonçait avoir eu recours à l’accompagnement d’une doula pour la grossesse de leur deuxième enfant. Ce mot ancestral d’origine grecque, signifiant «femme de soutien», n’a pas manqué de susciter l’intérêt dans les médias. C’est en effet l’une des toutes premières fois que des personnalités publiques révèlent faire appel à cette figure encore rare dans les pays occidentaux. En Suisse, en dépit de l’existence de formations spécifiques, la doula n’est pas encore une profession au statut reconnu officiellement. On estime qu’environ 500 personnes seulement exercent cette activité dans notre pays, même si de plus en plus de futures mères décident de collaborer avec elle pour les guider avant, pendant et après leur accouchement. Décryptage du phénomène grandissant des doulas avec Andrée Rivard, chercheuse québécoise spécialiste de l’histoire de l’accouchement.

FEMINA Quelle est l’origine des doulas?
Andrée Rivard Traditionnellement en Occident, la femme accouchait entourée de personnes familières s’agissant de parentes, d’amies ou de voisines. La sage-femme, la matrone ou le médecin était une personne connue. Le père de l’enfant demeurait aux alentours et il était parfois présent auprès de son épouse au moment de la naissance, lui donnant une assistance psychologique, physique ou matérielle, bien que ce rôle ne lui soit pas formellement attribué.

Or, l’institutionnalisation de l’accouchement durant le XXe siècle a transformé ce paysage. La femme doit tout à coup accoucher dans un environnement étranger et stressant dans lequel ses accompagnants traditionnels et ses proches sont exclus.

Depuis quand voit-on cette activité revenir en Occident?
Les doulas ou «accompagnantes à la naissance» apparaissent durant les dernières décennies du XXe siècle. Dans les hôpitaux, elles sont conçues comme des compléments aux services offerts dans les services d’obstétrique, souvent débordés. Elles arrivent en outre dans un contexte d’affirmation des femmes – ces années étant marquées par le féminisme – qui ressentent le besoin de briser leur solitude. Leur popularisation peut ainsi être associée à l’intensification du féminisme durant les années 1970 et 1980. Dans certains pays, c’est notamment à ces accompagnantes que des femmes se sont adressé pour obtenir une assistance lors d’un accouchement à domicile à un moment où les gouvernements avaient fait de l’hôpital le lieu quasi unique de l’accouchement. Bien des femmes étaient alors mécontentes des services périnataux donnés dans le cadre du système de santé qu’elles trouvaient déshumanisé, peu accueillant pour les pères et peu sensible aux besoins des personnes désirant avoir un accouchement naturel. A cette époque, les accompagnantes à la naissance ont été en quelque sorte des «sages-femmes» avant la lettre, c’est-à-dire avant qu’une loi vienne reconnaître la profession et l’encadrer à l’issue d’importantes mobilisations féministes.

Grossesse: la doula, nouvel ange gardien
© Sophie Robert-Nicoud

Quel est son rôle?
L’exigence d’efficience de la médecine se marie mal avec les besoins ressentis par de nombreuses femmes d’être soutenues selon un mode personnalisé et de manière continue, c’est-à-dire par une même personne en qui elles ont confiance et bien au fait de leurs besoins particuliers. Dans le fond, la doula concentre des rôles autrefois exercés dans les domiciles par une variété d’autres acteurs et actrices. Elle donne un soutien émotionnel et physique à la femme et vit avec elle l’intensité et la joie de ce fabuleux moment. Elle comble des besoins auxquels les systèmes de santé s’avèrent incapables de répondre.

Elle doit être présente tout au long du travail et de l’accouchement, quelle que soit la durée.

Si l’accouchement est au cœur de sa tâche, la doula joue également un rôle dans les jours suivant la naissance, donnant une nouvelle vie à l’ancienne entraide féminine durant la période des relevailles. Le positionnement idéologique des doulas, dont leur approche globale des personnes, semble ces années-ci entrer en résonance avec les besoins de réhumanisation de la naissance manifestés depuis quelques décennies par les femmes et leur conjoint ou conjointe.

On présente en effet le recours à une doula comme une sorte de retour aux sources, un retour à une époque où les femmes auraient été mieux accompagnées psychologiquement qu’aujourd’hui en Occident, dans lequel l’accouchement serait décrit comme trop clinique, déshumanisé. Or, dans le passé, les accouchements prenaient-ils mieux en compte le vécu de la mère (et du père) ou n’est-ce qu’un fantasme contemporain?
Qui sait réellement? L’affaire était sans doute variable selon les sociétés, les communautés et les acteurs ou actrices impliqués. Ce que l’on peut toutefois affirmer, de manière générale, c’est que l’approche des soins était autrefois plus globale, donc nécessairement plus humaine. La bénéficiaire de soins était considérée selon ses diverses facettes: physique, psychologique, familiale, sociale et spirituelle.

L’accouchement était un moment fort de la vie, un moment d’entraide entre les femmes. Il était vécu dans un cadre familier et l’accueil de l’enfant était un moment de joie partagé.

Or, depuis que domine une culture technocratique de la naissance (pour reprendre les termes de l’anthropologue américaine Robbie Davis-Floyd), soit depuis le XXe siècle, il s’avère que l’accouchement n’est plus considéré comme une expérience normale de la vie appartenant d’abord aux femmes, à leur famille et à la communauté, mais comme un événement médical encadré par des Etats, des lois, des règlements et des protocoles, sur lequel les acteurs du monde médical portent un regard pathogénique.

Grossesse: la doula, nouvel ange gardien
© Sophie Robert-Nicoud

Quelles sont, justement, les réactions du corps médical devant cette tendance?
Cela dépend des individus. La doula peut être considérée comme un complément utile allégeant la charge des équipes médicales. A l’inverse, il arrive que la doula soit perçue comme une «adversaire», étant donné sa relation privilégiée avec les parents lui permettant de donner des avis qui peuvent parfois aller à l’encontre de ce qui est souhaité par l’équipe médicale, souvent portée à privilégier la technologie. Par ailleurs, son rôle de gardienne du plan de naissance complique la tâche des équipes médicales – souvent contraintes par le temps – qui peuvent plus difficilement imposer leur point de vue et doivent prendre le temps d’expliquer et de convaincre. Du côté des sages-femmes professionnelles, il arrive que les doulas soient considérées comme des concurrentes usurpatrices d’un travail qui est le leur, surtout lorsque ces doulas exercent dans la clandestinité.

Il arrive en effet que des femmes recourent aux services d’une doula justement pour échapper aux contraintes imposées par les encadrements professionnels des médecins et des sages-femmes. Ces futures mères aspirent à plus de liberté, comme accoucher chez elles, sans temps prédéterminé.

Peut-on voir le phénomène actuel des doulas comme s’inscrivant dans une tendance de fond où l’accouchement est souhaité plus «naturel»?
Le «naturel» semble en effet de plus en plus populaire. Cela pour trois raisons, il me semble. Premièrement, côté santé, les femmes sont de plus en plus enclines à considérer que leur corps est fait pour accoucher, que la grossesse et l’accouchement sont des phénomènes «normaux», donc qu’elles n’ont pas besoin de l’attirail médical pour mettre au monde un enfant. Deuxièmement, elles cherchent à vivre une expérience signifiante, pleinement humaine et joyeuse, ce qui cadre mal avec l’environnement médical, très éloigné du milieu de vie quotidien où sont habituellement vécues ces expériences affectives positives. Troisièmement, de plus en plus de femmes reconnaissent les risques engendrés par la médicalisation abusive (comme l’effet en cascade des interventions conduisant ultimement à une césarienne qui, bien qu’elle puisse sauver des vies, a ses propres conséquences délétères). Le fait est que les services d’une doula s’avèrent souvent indispensables pour qui souhaite avoir un accouchement naturel. Les services d’obstétrique s’appuient sur un modèle souvent très médicalisé de l’accouchement auquel il peut être difficile de «résister» lorsqu’on se sent seule. La doula, parce qu’elle a elle-même confiance dans le processus physiologique et qu’elle dispose des connaissances utiles pour l’assister, offre donc une aide souvent déterminante.

Annabelle, 34 ans: «Recourir à une doula répondait à mon désir de sororité»

J’avais entendu parler pour la première fois des doulas il y a huit ans, au moment de ma première grossesse. A l’époque, je ne pensais pas que j’aurais un jour besoin d’une telle aide. Pour moi, une sage-femme à mes côtés me suffisait. C’est lorsque je suis tombée enceinte de mon troisième enfant que j’ai regardé les choses différemment.

Il est devenu évident qu’une doula pouvait apporter des services que les sages-femmes ne proposent pas: un accompagnement émotionnel, une soutenance en continu, un côté chaleureux et bienveillant. Surtout, j’ai ressenti un besoin de cette sororité qui est devenue si rare de nos jours.

Après deux maternités que je m’étais sentie de gérer juste moi et mon mari, j’ai eu envie, cette fois, de nous décharger de certains poids. Je désirais notamment vivre la période post-partum de façon plus tranquille. Lors de mes deux premières grossesses, je m’étais trouvée très seule avec le nourrisson durant les premiers jours suivant l’accouchement. Je n’avais pas le courage de recevoir des personnes autres que mes proches, de préparer des boissons aux visiteurs. Avec l’aide de la doula, j’ai vécu cette période autrement. Elle était une présence bienveillante, passant deux fois par semaine pour prendre des nouvelles, faire des massages, prodiguer des soins, préparer de bons petits repas. C’est chouette de vivre cela entre femmes. Apaisant et irremplaçable.

Fanny, 35 ans: «Je suis devenue doula»

J’ai découvert la figure de la doula lors de recherches sur le féminisme, dans des articles évoquant la justice reproductive. Après la naissance de mes deux enfants, je me suis aperçue que de plus en plus de personnes, comme moi, cherchaient à être accompagnées de façon plus large dans cette période. La parole se libère également autour des violences obstétricales et des difficultés de devenir parents. J’ai ainsi décidé de suivre la formation d’un an nécessaire pour exercer comme doula. La doula apporte de précieuses informations pour la grossesse, la naissance et le post-partum, notamment sur les notions de consentement. J’accompagne désormais ces personnes pour les orienter au mieux dans leurs choix selon ce qu’elles désirent pour elles. La place que j’occupe auprès d’elles se décide au cas par cas. Certaines veulent que la doula les suive depuis les premiers mois jusqu’après la naissance, d’autres préfèrent un accompagnement seulement autour de la période du post-partum. Quoi qu’il en soit, il y a l’idée d’une collaboration à large spectre, d’être dans le don de soi avec les personnes que j’accompagne, dans la confiance et le soutien total sans jugement.

Marie, 33 ans: «La doula s’avère plus disponible qu’une sœur ou une meilleure amie»

Lors de la grossesse de mon premier enfant, en 2017, j’ai vite ressenti l’envie d’un accompagnement qui soit également hors du médical, offrant à la fois soutien émotionnel et conseils éclairés sur la maternité. C’est une amie qui m’a parlé d’une connaissance suivant une formation de doula. Celle-ci est entrée dans ma vie au troisième mois, me suggérant des lectures sur la grossesse et sur les différents types d’accouchement. J’ai énormément apprécié de pouvoir partager émotionnellement avec elle. C’était comme parler à une copine qui aurait des connaissances pointues sur le sujet. L’entente a aussi été parfaite avec mon partenaire. Il y avait ainsi un équilibre, une harmonie, entre mon homme, la doula et la sage-femme.

Venant me voir chaque mois avant et après la naissance, ma doula m’a apporté ce que le monde médical ne peut pas fournir habituellement: le sentiment intime de vivre cet événement entre femmes.

Il y avait ce côté clan, communauté. Mon accouchement s’est déroulé à la maison et, en plus du personnel médical, la doula était présente pour m’accompagner pendant ce moment. Bien sûr, peut-être que j’aurais pu vivre cela avec une proche plutôt qu’avec une personne que je ne connaissais pas au départ, pourtant je ne pense pas qu’une amie ou une sœur puisse remplir ce rôle. Même de très bonnes copines ou des sœurs exceptionnelles n’auraient pu être aussi proches dans de telles expériences.

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